jeudi 19 mai 2016

La guerre civile (cette légère impression)

Depuis quelques semaines, au moins deux mois, en fait, j'avoue, je fuis le centre de Nantes. Avec les manifestations contre la loi travail, la ville a essuyé beaucoup, beaucoup de casse et voir ces panneaux agglomérés en lieu et place de toutes les vitrines des banques, ces traces de peinture au sol ou ces restes de projectiles me laisse à la fois triste et impuissante.
 
Aujourd'hui, je n'avais pas le choix. Je devais me rendre en plein centre, à la faveur d'un concours (celui de la tarte au citron meringuée), auquel je m'étais inscrite voilà des semaines. Pas envie d'y renoncer, et puis, j'avais confectionné la tarte hier, je trouvais ça dommage.
 
Pourtant, j'avais conscience des quelques éléments à braver.
 
Avec la pénurie d'essence annoncée (la raffinerie la plus proche, Donges, est bloquée) et les files d'attente plus longues qu'un jour sans chocolat pour choper un peu d'or noir, j'ai laissé ma voiture et je me suis rabattue sur le bus. Comme il n'arrivait pas, j'ai songé un instant à retourner chez moi, pour y prendre mon vélo. J'ai eu comme un doute, rapport à la tarte à transporter. Et puis le bus est arrivé. Je ne savais pas encore à quel point le trajet retour serait beaucoup plus compliqué.
 
Après avoir déposé ma tarte, j'ai sillonné les rues nantaises, étrangement calmes. Après un déjeuner fort sympathique avec des amis, retour à la réalité, et au bitume, légèrement modifié... Et pour cause, des centaines de CRS dans les rues, attendant, matraque prête à dégainer. Oui, des CRS partout, en fait, bloquant tous les axes stratégiques pour tenter d'empêcher les casseurs de défigurer plus encore NOTRE ville. Une atmosphère fébrile, des mamans qui font demi-tour avec leurs têtes blondes en apercevant l'armée d'uniformes bleu marine. Des regards lourds, pesants. Des commerçant sortis de leur boutique désertée, inquiets, parlant avec leurs voisins.

Et puis, l'attente.
 
Plus une voiture, que des piétons, tentant de se frayer un chemin entre la ligne de fourgons. Et des sirènes de police, de pompier, à n'en plus finir. Et le bruit assourdissant de l'hélico, tournant sans cesse au dessus de la ville assiégée. Car oui, à un moment, ça a pété, si j'en juge par la fumée sentie à des centaines de mètres du combat.

Tout était évidemment bloqué. Alors, j'ai marché, marché, avec mes sacs pesant un âne mort. Le tram était bloqué, j'ai pris un bus, et puis un autre, et puis un autre... En arrivant enfin chez moi, une heure et demie après avoir quitté cette zone qu'on aurait presque pu qualifier de guerre, j'étais juste lasse. Mais surtout très, très inquiète.
 
La colère fait plus que gronder, aujourd'hui, et cette sensation de guerre civile me chatouille de plus en plus.
 
On va où?

samedi 14 mai 2016

Le skech (Kafka is not dead)

A l'heure où je vous écris, je sors tout juste la tête de l'eau. Cette tête, justement, que je n'osais plus vraiment croiser dans le miroir. En cause, ces drôles de trucs qui ont poussé sous mes yeux, qu'on appelle des cernes. C'est vilain. Le matin, quand je me lève, c'est avec d'infinies précautions. Je laisse le temps à mon cerveau rabougri pour tout resynchroniser, tête et jambes, yeux et bras. Parfois, ça prend un peu de temps et Loulou a même pitié, quand il me voit débarquer à 7h du mat' dans le salon.
 
Il chante "René la Taupe", vous voyez bien.
 
Mais bon, c'est pour la bonne cause.
 
Parce qu'il fallait bien faire bouillir la marmite avant de me lancer définitivement dans ma nouvelle vie, j'ai passé quelques jours sur des retranscriptions, quelques nuits aussi, retrouvant mes bonnes vieilles habitudes, ajoutant juste ça et là quelques commandes de pâtisserie pour égayer mon quotidien.
 
Sinon, c'est pas drôle.
 
Forcément, tout ce qui concerne la gestion, la compta et les menus tracas classiques est passé un peu à la trappe, le temps que je finisse. Enfin, je gardais quand même un œil sur tout ça, mais avec une confiance infinie en la vie et aux administrations, tellement scrupuleuses, tellement pro, tellement...
 
Parmi elles, mon amie Pôle Emploi. Oh, je sais, à l'instar de François Hollande, c'est facile, très facile de faire du bashing avec Madame. Mais quand même, elle le cherche, parfois.
 
Pour vous situer l'affaire, j'ai appris alors que je lançais ma boîte que mes expériences pro, à droite, à gauche, m'avaient permis de recharger mes droits. Pas grand-chose, hein, mais de quoi démarrer en payant son loyer sans avoir à taper dans les caisses de ma jeune entreprise, ce qui, j'avoue, ne se refuse pas.
 
Un peu échaudée par les épisodes kafkaïens vécus par le passé, j'ai anticipé, largement, en me renseignant au maximum pour blinder le truc. Et quand il a fallu déclarer le chiffre d'affaires et communiquer tous les justificatifs, retranscription et pâtisserie ou pas, j'ai tout donné. Et même redonné, puisque visiblement, des courriers se croisaient et Paul me demandait ce que Pierre ou Jacques m'avait déjà demandé.
 
Bref. Rien que du classique.
 
Je démarre le mois et vois le 6 que rien n'a bougé. Zéro sur le compte. Bon. Ce doit être normal. C'est pas comme si j'avais des charges à payer, vous me direz...
 
Le 9, toujours rien. Le 10 non plus. Le 11, les yeux encore collés - j'ai fini ma mission à 3h du mat' - je prends mon téléphone et me résous, entre deux altercations droite-gauche du conseil régional, à appeler mon ami Popol. Qui après m'avoir expliqué qu'il attendait ma feuille de salaire (euh... je ne suis plus salariée, les gens) m'a rassurée. Si si, ça va être débloqué... Il a prévenu l'agence, elle a 48 heures pour exécuter sa demande.
 
Mouais. Vu tous les courriers ne prenant pas en compte mes propres infos, j'ai un léger doute. J'hésite, parce que ma mission à rendre pour hier, elle me regarde avec l'air du 11 janvier, se sentant délaissée. Allez, je file à mon agence. Et là, le sketch.
 
LE sketch.
 
A chaque fois, j'ai l'impression de vivre un condensé de l'activité d'une agence en quelques minutes (enfin, de grosses minutes, hein). Mais là, il y a eu une sorte de best-of, un truc désopilant où les Bronzés, les Monty Python et les Nuls cumulés ne m'auraient pas plus fait rire.
 
Un peu jaune, certes.
 
Cela a commencé dès mon entrée, où je croise, ô heureuse coïncidence LA conseillère que je voulais voir, celle à qui j'avais renvoyé tous mes papiers et qui connaissait mon dossier. Je lui signale que, euh, quand même, on est le 11 mai et que le petit bouton sur lequel elle devait appuyer pour déclencher mon paiement, elle l'a visiblement zappé.
 
"Ah mais non, mais vous savez, on est en sous-effectif."
 
Ah bah oui, forcément. Allez expliquer ça à mon bailleur et mon banquier, l'un qui attend son loyer, l'autre qui me colle les agios qui vont bien.
 
Donc, je fais la queue. Au guichet, je reconnais une autre conseillère, pas vraiment au taquet, qui, alors que vient mon tour, regarde la file (12 personnes derrière moi), regarde sa montre, se tourne vers sa collègue. Laquelle lui dit, "ouais, mais attends, je peux pas rester toute seule, là".
 
Sur ce, la conseillère-pas-au-taquet se redresse et part à la quête d'un gentil collègue qui prendrait sa place, en faisant le tour de tous les bureaux. Eh, c'est sa pause, hein, on va pas non plus revenir sur les droits du travail.
 
Pas de bol, personne ne peut la remplacer. Elle reprend sa place, soupire un grand coup, lève les yeux et me fait signe. J'avance. Je sens que sa lassitude va me peser, j'anticipe, je lui résume en deux mots la situation en lui indiquant que je veux être reçue.
 
Soupir.
 
"Bon, ben d'accord." (Merci, ô prêtresse, de m'accorder pareille offrande) "Y'a 4 personnes devant vous".
 
OK. Vu le timing de chaque rendez-vous, je suis coincée pour un moment. J'ai ma mission qui m'attend, à rendre pour hier. Visiblement, mes yeux disent tout ça, parce qu'elle ajoute:
 
"Ah bah oui, mais si vous êtes pressée, faut venir plus tôt le matin, fainéasse."
 
Elle n'a pas prononcé "fainéasse" mais son ton a suffi. Je lui fais gentiment remarquer qu'elle ignore tout de mon rythme actuel mais elle, ce qu'elle voit, c'est qu'un chômeur, il doit pas venir à l'agence à 10h, oh.
 
Je vais donc m'asseoir et sympathise rapidement avec un entrepreneur qui, lui, attend le déclenchement de son paiement depuis deux mois. Il est venu ce matin, et tant pis pour son chantier en cours. Il me raconte un peu et je me dis que je m'en sors pas si mal, avec mon seul mois de retard. Là-dessus, comme deux petits vieux sur un banc en Sicile, on s'avachit un peu et on regarde ce qui se passe dans la rue. En l'occurrence, dans la file devant nous, en accordéon, tantôt grossissante, tantôt diminuante selon le flux de vilains chômeurs.
 
Ma petite dame-pas-au-taquet soupire toujours.
 
Une femme est devant nous et on voit soudain un homme rentrer dans l'agence et s'approcher de la dite-femme. Visiblement, il la connaît, si bien qu'il lui fait une grosse blague en faisant mine de lui mordre le mollet (qu'il a saisi!) et en imitant l'aboiement d'un chien.
 
Ni une ni deux, ma petite dame-pas-au-taquet s'affole, hein, hein, quoi, qu'Est-ce qui se passe, elle sort de son guichet...
 
"Mais il est où le chien?" demande-t-elle, complètement interloquée.
 
Mon nouvel ami lui répond stoïquement:
 
"Il est parti."
 
Elle soupire, mais cette fois de soulagement. Ouf, déjà qu'elle a pas mal de poussettes, de bébés, de chômeurs fainéants et de cas sociaux à gérer dans la file, alors, un chien, je vous dis pas...
 
Là, j'avoue, je n'ai pas pu me contrôler et je suis partie dans un fou-rire... Communicatif, puisque mon nouvel ami s'est esclaffé à son tour, réalisant le one-man-show qu'on pourrait lancer.
 
Ensuite, ça a été le défilé classique, la dame qui vient pour son fils déposer un document sans savoir, la malheureuse, qu'elle va devoir elle-même tout scanner, puis ce monsieur visiblement paumé qui pense que, parce qu'il est inscrit à Pôle Emploi, on va le convoquer et il aimerait bien voir quelqu'un (ah ah), cette autre femme avec sa poussette tentant de calmer les pleurs de son bébé visiblement affamé. Et puis, cet autre naïf, arrivé à 10h45 à l'agence et demandant un rendez-vous.
 
"Ah ben non, monsieur", lui a répondu la dame en lui montrant l'horloge, "c'est trop tard, ça va plus être possible."
 
L'agence ferme à 12h30. Forcément.
 
Le ballet a continué et puis mon nouvel ami a enfin été appelé. Il est ressorti dix minutes plus tard, en me disant, un peu rigolard quand même:
 
"Ça y est, elle a appuyé sur le bouton!"
 
Habituée à mon heure réglementaire d'attente, j'ai commencé à soupirer à mon tour lorsque j'ai vu les minutes s'égrener. Et c'est finalement 1 heure 30 après mon arrivée que je suis rentrée dans le bureau de la dame qui devait tout arranger.
 
Lorsque je lui ai demandé les raisons d'un tel retard sur mon dossier -  que j'avais actualisé dans les temps - elle a commencé par me dire:
 
"Eh, attendez, je reçois du monde depuis 9h ce matin"
 
Le rapport? On est d'accord, y'en a pas.
 
Ensuite, elle m'a sorti le premier argument-choc:
 
"C'était le pont, la semaine dernière".
 
Ah bah oui, le truc dont tu oublies l'existence quand tu es indépendant, en fait, mais que les gens de Pôle Emploi ont la chance d'appliquer. Eux.
 
Ensuite, l'ultime argument, le best de Popol, en somme:
 
"Y'a eu un bug informatique."
 
Voilà. Voilà la petite tranche de rire du mercredi matin, qui m'aura quand même coûté cher en termes de temps et surtout, sincèrement, réellement inquiété sur le fossé entre la vision qu'a Pôle Emploi du monde du travail et la réalité, celle où, malheureusement, on n'a pas le temps de faire une pause, de se lamenter deux heures sur une panne informatique ou de répondre que, vraiment, on est désolé, mais on n'a pas de solution.
 
Dans la vraie vie, en tout cas dans la mienne, le seul choix est d'avancer. Et à ceux qui seraient un rien excédés par ce Pôle Emploi bashing et qui pourraient penser que, après tout, je profite bien du système, je leur réponds de ne pas s'inquiéter. J'ai bien l'intention de me passer très vite de leur aide, même si, pour avoir travaillé et contribué au système, j'y ai bêtement droit.
 
Ainsi va la vie.

lundi 4 avril 2016

Du syndrome schizo...

Petit souci technique, vendredi. Le grossiste, que j'avais sollicité pour m'imprimer de jolies cartes de visite, n'est pas enclin à le faire. Ou en tout cas a-t-il un doute sur mon activité.
 
"Bonjour", dit la voix sur la messagerie", nous sommes un grossiste pour métiers des arts graphiques et de la communication et à ce titre, vous ne pouvez pas, a priori, bénéficier de nos services."
 
 
Il est beau, non, mon logo? Merci Ivan Loncle!
 
Je rappelle la dame, tombe sur une collègue à qui je résume l'histoire, en expliquant que je suis certes pâtissière - peu de doutes lorsque l'on a sous les yeux mon logo - mais aussi journaliste et travaillant dans la com. Et là, avec l'air le plus dédaigneux possible, la dame au bout du fil me balance:
 
"Mais enfin, comment peut-on être journaliste et pâtissière?"
 
On peut, madame, on peut.
 
...
 
Bon, comme elle n'avait toujours pas l'air convaincu, je lui ai fait remarquer que la vie était longue.
 
Pas sûre que cet argument ait pu résonner davantage dans son esprit très... français.
 
Bah, ce ne sera ni la première, ni la dernière, j'imagine :)

vendredi 1 avril 2016

Ceci n'est pas un poisson d'avril (où le teasing prend sa fin)

Un ciel bas, gris.
 
Un nouveau regard vers la fenêtre. Non, le temps ne se lèvera pas, ce jour-là.
 
Je suis dans ma cuisine. Je prends le téléphone, j'appelle une amie. Je lui annonce que, finalement, mon affaire ne se fera pas. Un rien philosophe, j'ajoute que ce n'est sans doute pas le moment.
 
...
 
Et que c'est probablement un mal pour un bien (on se console comme on peut).
 
Je raccroche. Je crois que j'ai les yeux un peu humides. Une histoire de deuil, à vivre, après près d'une année à monter mon projet.
 
...
 
Oui, je me souviens très bien de cette journée. De ce ciel plombant, de ces sentiments mitigés qui m'ont alors traversée de toutes parts.
 
J'étais dans ma cuisine... Au Mans. J'ai pris le téléphone, appelé une amie. En pensant que, un jour, sans doute, cela finirait par arriver. Que je monterais ma boîte.
 
Il a fallu du temps. Nous étions en 2010. Ce projet que je porte aujourd'hui, je l'avais déjà à l'époque. Il n'était pas dessiné de la même façon. Je crois aussi que je n'étais pas tout à fait la même.
 
Six années ont passé et enfin, les doutes, la peur, le pessimisme ont laissé la place à l'espoir et à l'envie d'entreprendre, plus que jamais.
 
Mes propres freins se sont dissipés.
 
Sans prendre aucune drogue, promis.
 
 
Confectionner des pâtisseries pour les particuliers et les pros, donner des cours culinaires aux petits et grands, et garder un pied, aussi, dans la communication, voire, ô espoir, dans le journalisme, tel est le programme que je me suis concocté.
 
Depuis un mois, je vis jour et nuit au rythme de cette aventure. Elle me porte, me transporte, m'exalte. Où me mènera-t-elle? Je n'en sais rien.
 
Et vous savez quoi? J'ai juste envie de vivre le moment présent.

Le reste suivra.
 
 
 

vendredi 25 mars 2016

L'aventure est en marche!

Alors, vous croquez?
 
 
Eh bien voilà, nous y sommes!
 
Envies, souvenirs, besoins, passions, rencontres, chiffres, j'ai tout mélangé, secoué, trituré...
 
Ceux qui suivent ce blog depuis très, très longtemps le savent. Ce projet, je le porte depuis 7 ans. Il a pris mille visages. Aujourd'hui, il reflète vraiment ce que j'ai envie de vivre, de partager.
 
Il évoque la gourmandise, le partage, l'aventure, aussi.
 
Je vous présente mon bébé.
 
 
Si vous l'aimez, vous pouvez y participer. Votre geste peut être financier, ou pas. Le relayer, ici ou là, c'est aussi très chouette et j'espère que cela suffira pour atteindre mon objectif et lancer ce petit bout de moi qui n'attend que ça!

lundi 21 mars 2016

Financer les Bouchées Douces? C'est possible!

Vous voulez en goûter? Ce sera bientôt possible, si si!
 
 Vous vous souvenez de mon poisson d'avril qui n'en est pas un... Eh bien, le 1er avril marquera la naissance de ma petite entreprise...
 
Les Bouchées Douces!
 
Oui, j'anticipe un peu, j'avais écrit que je ne dévoilerai pas le projet avant cette date.
 
Au programme, de la confection de pâtisseries artisanales, pour les particuliers et les pros, mais aussi des cours de pâtisserie et de cuisine. Je vous en reparle très vite, bien sûr, dès que je sors ma tête des chiffres et derniers détails...
 
L'autre nouvelle, c'est que, dans quelques jours, je lance un financement participatif pour permettre aux Bouchées Douces de partir sur les meilleures bases possibles!
 
Je vous en dis plus très vite... Restez connectés!!

dimanche 20 mars 2016

L'invention d'une vie

Vendredi matin, 7h du mat', le nez dans ma crème citron (c'est une image, je vous rassure), je me suis dit que je ferais bien d'aller me recoucher. J'avais lutté, mais la crève l'avait emporté sur ma résistance. Sans cette tarte au citron à préparer, j'aurais pris un peu de rab sous la couette, rien que pour reprendre quelques forces.
 
Car j'avais deux rendez-vous qui me tenaient à cœur, ce jour-là, extrêmement importants pour la suite des opérations. L'après-midi, j'allais à la chambre des métiers faire mumuse avec les chiffres pour déterminer mon prévisionnel. Le truc un peu sérieux, vous voyez le genre, où il vaut mieux être en forme.
 
Ce qui n'était pas mon cas, vous l'aurez compris.
 
Pas le choix.
 
Il restait donc le rendez-vous matinal. Y renoncer? L'idée a traversé deux secondes mon esprit embrumé mais un je ne sais quoi m'a poussé à maintenir mon programme.
 
Peut-être l'idée d'aller, enfin, rejoindre les rangs de la cuisine partagée, cette structure nantaise qui permet de travailler dans un vrai labo à plusieurs.
 
Là, le pilou spirit qui revient parfois a tenté une incursion envoûtante en me proposant le chemin confortable de la couette. J'ai dit, "non non, j'y vais, ce sera une question d'une heure, et puis d'abord, je t'ai pas sonné, monsieur pilou."
 
...
 
Le pire, c'est que je n'avais pas de fièvre (je m'inquiète, parfois, quand même, sur l'état de mes neurones) (bref).
 
Donc, ma crève, mon regard de zombie et mes mouchoirs, nous sommes partis.
 
J'ai pensé que ça risquait de faire beaucoup de monde, mais j'imaginais aussi que, dans leur grande bienséance, mes hôtes accepteraient de prendre tout le pack.
 
En arrivant, j'ai eu comme un doute. La réunion avait déjà commencé alors que j'étais ponctuelle... Avais-je loupé un épisode?
 
Catherine, la responsable du lieu, m'accueillait chaleureusement, m'expliquant que la réunion prévue ne commencerait qu'une heure plus tard, mais que là, y'avait des gens qui faisaient un tour de France.
 
Un tour de France? Intriguée, je rejoignais le groupe, jouant à la petite souris pour ne pas interrompre la discussion. Raté. Vous voyez, ces personnes vous saluent en vous voyant. Oui, ils sont du genre courtois et avenant.
 
J'ai plus toujours l'habitude, je vous avoue, alors ça m'a fait bizarre.
 
S'en est suivi un tour de table et l'occasion de mieux connaître chacun de ces êtres autour de la table. Il y avait donc Catherine, mais aussi Frédéric, son frère -lui-même fondateur du projet de cuisine partagée - Caroline, jeune entrepreneuse dynamique et créatrice de granolas-qu'ils-sont-trop-bons. Et, en face, le stylo à la main, un couple, la soixantaine dynamique, dont la tenue de randonneurs m'a quelque peu interpellée.
 
Je ne savais pas alors qu'Anne et Patrick parcouraient les régions de France à pied. Et que c'est forcément plus pratique en veste Quechua qu'en tailleur ou costard, on est d'accord.
 
Après nous avoir écouté attentivement, ils nous ont expliqué leur démarche. Ce couple d'entrepreneurs a eu une drôle d'idée: parler de l'humain dans l'entreprise. Prendre ce facteur en compte et décortiquer le fonctionnement de tout ça.
 
Lui venait des "sciences dures", comme il s'en amuse, elle, silhouette à la fois frêle et tonique, s'était déjà attachée depuis un moment à l'être humain dans le monde du travail. Conscients des changements de paradigme (special tribute to Albert, dont c'était le mot favori. Mais je m'égare), ils ont eu envie de comprendre comment marchait la coopération entre les êtres.
 
Et c'est ainsi qu'ils ont décidé de partir un mois plein, trois fois par an, dans diverses régions de France, afin de rencontrer les citoyens, entreprises et acteurs de cette fameuse coopération, pour, ensuite, en définir les ressorts communs.
 
Là, j'ai cherché la caméra. On serait pas en plein épisode II de Demain, là?
 
Histoire de pimenter la chose, Anne et Patrick ont choisi de réaliser ce parcours à pied, privilégiant ainsi la lenteur pour mieux assimiler la tonne de données qu'ils sont en train d'amasser. Voilà comment est né, le 1er mai 2015, "l'observatoire de l'implicite", lui même produit de l'institut des territoires coopératifs, lui-même, fruit de l'imagination d'Inovane... la boîte de nos aventuriers.
 
En mars, ils ont entamé leur marche par les Pays de la Loire et c'est ainsi qu'ils sont arrivés à Nantes, dans ce quartier, pour écouter les acteurs de cette belle aventure qu'est la cuisine partagée, où les jeunes entrepreneurs de la restauration viennent fabriquer leur production. Mais pas que.
 
Le truc magique, qui a même relégué ma crève au rayon des "on verra plus tard", c'est qu'ils ont su réveiller en nous l'introspection nécessaire à tout projet. Car, après tout, dans un monde où le burn out devient monnaie courante, où la maltraitance de certains employés semble normale, où une scrogneugneu de banquière ose vous dire que lorsqu'on a un CDI, on s'accroche (si, si, une telle femme existe et a osé. Je ne m'en suis toujours pas remise), bref, dans un monde où la chair est souvent considérée comme faible, qu' est-ce qui pousse certains êtres à aller chercher, plus qu'une activité, un lien avec les autres?
 
Alors, on a parlé, chacun, de la raison d'être de notre projet, de notre objectif, de notre motivation profonde, des critères de réussite, de nos valeurs et croyances. Je me suis entendue dire que je voulais "inventer ma vie." Que je voulais favoriser l'être au faire, rester fidèle à mes convictions. Avant d'ajouter que, plus que jamais, le plaisir et le partage étaient mes moteurs et que la cuisine et la pâtisserie constituaient un (beau) prétexte à l'échange.

J'ai pu me livrer ainsi sans craindre les habituelles réflexions, les regards perplexes de certains esprits bien rationnels qui ne voient en mon aventure qu'une utopie de plus, dans un monde qui n'aurait pas besoin de rêver.
 
J'ai senti en moi tellement d'émulation que je suis repartie de là avec une énergie inimaginable au vu de mon état larvesque du matin.
 
Autant vous dire que pour les détails techniques de la location du lieu, je suis repartie quasi bredouille. J'étais venue voir de l'inox... j'ai vu de la chair.
 
Peu importe. Et au contraire, même. Vous savez quoi? Je crois que le ressort de la coopération, c'est le supplément d'âme que l'on peut mettre dans sa vie professionnelle.

Ou dans sa vie tout court, d'ailleurs.
 
PS: Anne et Patrick me pardonneront, j'espère, les raccourcis que j'ai osés quant à leur initiative, bien plus complexe et enrichissante que peuvent le laisser supposer ces quelques lignes. Vous pouvez suivre nos deux marcheurs ICI. Et l'arroseur étant souvent arrosé, si vous doutiez de mon état de zombie, voyez LA (où il faut savoir faire taire son ego, parfois).

jeudi 10 mars 2016

Ceci n'est pas un poisson d'avril (prologue)

Le 1er avril, je vous dévoilerai tout.
 
Je sais, rien que la date prête à la confusion, Loulou m'ayant nonchalamment fait remarquer que c'était le jour des poissons d'avril. Et pourtant, je n'ai jamais été aussi sérieuse (enfin, presque. Je me souviens avec nostalgie de mes journées passées dans les hémicycles, où j'aurais pu tracer la ride du lion qui se creusait au fil des heures sur mon front, à écouter au premier degré ces politiciens, sans penser alors que j'assistais en fait à un pestacle de clowns) (naïve que j'étais) (Bref).
 
Petit, gros indice, même, je crée ma micro-entreprise, laquelle sera donc officielle ce 1er avril. Pour le nom et les détails, vous me permettrez de vous faire patienter, que dis-je, languir. Bon, j'admets que la présentation d'un specimen physiquement intelligent pourrait vous permettre de me faire parler davantage.
 
Vous avez ça en stock?
 
Non?
 
Bon, donc vous attendrez le 1er avril.
 
Mais je vous promets qu'il y a du lourd.
 
Et voilà que la mouette s'emballe encore... Ou pas. Disons que je faisais moins la maligne en début de semaine. Engluée dans une angoisse primaire liée à un statut précaire, perdue dans un désœuvrement sans fin, je me suis fait quelques films. Mais flippants, les films. Du genre, "madame, tu vas aller vivre bientôt sous les ponts, mais réjouis-toi, le printemps arrive, tu ne mourras pas d'engelures...
 
Juste de faim."
 
Tentant de surpasser ces idées un rien funestes, je suis partie à la chasse aux opportunités, persuadée que cette débauche d'énergie me permettrait de voir le jour, là, pas loin. C'est alors que j'ai frôlé le double homicide en envisageant l'étranglement radical d'une dame-de-la-banque-moraliste, et d'une non moins radicale pendaison (de moi-même.)
 
Vous voyez le genre.
 
Pourtant, contre toute-attente, mon moral, alors passé sous les -70° (au moment de la pendaison envisagée, je crois) est remonté en flèche pour m'offrir un pseudo-état de sérénité, propice à avancer.
 
A la faveur d'une rencontre majeure, me voilà sur tous les fronts, à aller chercher du devis, cibler mes futurs clients, contacter les fournisseurs, prévoir le plan de financement...
 
J'en oublierai presque que ce 1er avril correspond aussi... à ma fin de droits. Sacrée coïncidence, n' est-ce pas?

J'ai perçu une certaine ironie du sort, ce soir, en passant, sans l'avoir prévu, devant le restaurant que j'ai quitté voilà près de deux semaines maintenant. Quelle opportunité, finalement, d'avoir pu fermer cette porte-là, pour en ouvrir une autre qui, malgré les angoisses et autres envies de meurtre (!) passagères, m'offre un chemin unique.

Un chemin à la fois inconnu et familier, une voie improbable et réjouissante que je construis chaque jour à mon échelle. Et qui verra ses premiers fruits au 1er avril...

mercredi 2 mars 2016

L'art de jouer au kangourou

N' est-ce pas ironique, lorsque l'on a suivi des années durant des matchs de basket, lorsque l'on s'est passionné à ce point pour la balle orange, d'entendre en permanence qu'on va... rebondir?
 
Avec mon côté éponge émotionnelle, je me demande si je ne ressens pas un peu d'empathie pour cette balle, malmenée, secouée, balancée, parfois bloquée dans le cercle... A moins que je fasse un transfert, tout simplement et que je me sente ainsi, souvent en l'air, ballotée de ci de là, sans véritable direction?
 
Bref, toujours est-il que pour mon premier jour de chômage, lundi (enfin, premier, depuis quelques mois, j'ai désormais un peu d'expérience en la matière, hum), je me suis réveillée avec une sacrée gueule de bois. Les images de mon départ du restaurant, vendredi soir, me sont revenues en pleine face.
 
Au moment de quitter les lieux, la boss, visiblement désolée, m'a ainsi offert une coupe de champagne. Amusée d'avoir finalement mon pot de départ, je me suis tournée vers le chef, pour trinquer. Il m'a regardé, osant la phrase fatale :
 
"-En fait, tu étais au point, là."
 
Vous avez dit incongru?
 
Depuis ce moment, j'avais joué l'évitement. Mais la réalité est palpable: lundi matin, je me suis levée tôt, certes, mais pour préparer le petit déj de Loulou. Certes, j'avais le choix de faire corps avec ma couette, sitôt son départ au collège.
 
Mais, je sais pas, une histoire d'urgence (tic tac, la fin de droits, tic tac, l'insécurité finale, tic tac...) m'a assez facilement convaincue de rester debout, et digne.
 
Depuis, j'ai l'impression d'être rentrée dans un nouvel espace-temps, où chaque minute passe beaucoup trop vite au vu de tout ce que je veux faire. Il se passe des choses, les zamis, il se passe des choses... Hier, par exemple, j'ai repris mes notes, mes cahiers griffonnés de plein d'espoir et d'envie et j'ai présenté le tout à un monsieur, comme à la bonne vieille époque où j'allais défendre mon macaron rose.
 
J'ai senti l'énergie monter comme la température d'un caramel ambré, et j'ai loué cette magie du kangourou, celle qui nous permet justement de rebondir, quelle que soit la nature accidentée du terrain.
 
Il est trop tôt pour en dire plus et je garde quelques biscuits pour la suite, parce que, comment vous dire, je commence à être un rien échaudée. Mais j'ai l'espoir que ces sauts me donnent suffisamment d'impulsion pour avancer, enfin, vers là où je veux aller.

jeudi 25 février 2016

Comme tu n'es pas du métier (l'épilogue)

Voilà. C'est officiel. Demain, je rangerai mes affaires, sans même avoir besoin d'un carton, et je pousserai pour la dernière fois la porte du restaurant. Sans plus de regret ni d'amertume.
 
La pilule est passée.
 
Après trois premières semaines passées sans stress ni pression particulière, le vent avait tourné, en cuisine. Le chef, impatient et un rien ronchon, tournait en rond et marmonnait dans sa moustache sans jamais vouloir répéter ce que je supposais des pensées intérieures qui auraient involontairement rippé vers le système sonore.
 
Je vous jure, c'est bizarre.
 
Avant d'être prise dans ce restaurant, il avait été beaucoup question de pâtisserie. La boss voulait de nouveaux desserts et mon goût prononcé pour la chose l'avait forcément séduite.
 
Pourtant, j'ai vite compris qu'au delà des jolies intentions, il y a la réalité, celle d'un restaurant ouvrier où, ce qui compte, c'est le buffet d'entrées.
 
Le reste, on fait comme on peut. Les crèmes brûlées sortiront toujours d'un carton, les mousses au coco aussi, poudres industrielles censées en mettre plein les yeux à des clients que l'on suppose non friands de sucré - ou dont le palais ne serait pas éduqué pour distinguer du fait maison d'un ersatz en paquet.
 
Je me suis donc résignée, m'offrant le luxe de confectionner quelques desserts ça et là, au moment du service, entre deux allers-retours à la plonge ou en salle. J'allais devoir être patiente. On me demandait de me concentrer sur le froid? Je me concentrais dessus.
 
De l'extérieur, ça marchait. Pourtant, je sentais un truc pas net, pas franc du collier. Et c'est une vraie claque que j'ai prise lorsque la boss m'a fait part de ses doutes. Oh, non, elle ne me reprochait rien, bien sûr! Elle me disait même "très courageuse".
 
Simplement, m'a-t-elle dit, je n'avais pas "l'expérience de la restauration ouvrière".
 
Dit la dame qui avait vu mon cv, demandé à me voir à plusieurs reprises avant l'embauche, à me tester en cuisine, à me tricoter encore au téléphone.
 
...
 
La vérité, vous comprenez, c'est que "je ne suis pas du métier."
 
Et pour le chef, c'est juste pas possible.
 
Passée la stupeur, j'ai réfléchi. Me suis demandé où était ma place. J'avais pris ce travail comme une étape vers autre chose. Je m'étais investie dedans, malgré les quelques désillusions concernant mon rôle réel et l'absence de pâtisserie, alors même que ma double casquette avait alors joué en ma faveur au moment de mon embauche.
 
Je pouvais encore m'accrocher. Et titiller la patience du chef.
 
Soyons honnête, je n'avais pas envie de me sentir une petite chose en cuisine comme je l'ai ressenti par moment.
 
J'aurais donc passé deux mois là-bas. Une fois dans ma vie, j'aurais été officiellement commis de cuisine.
 
Une fois encore, l'inquiétude et la déception sont passées. J'ai comme l'impression que l'aventure, elle, ne fait que commencer...

jeudi 4 février 2016

Essaie encore...

Après de multiples tergiversations, voilà, ce soir, j'étais à fond: enfin, j'allais ouvrir ma petite boîte de pâtisserie.

En micro-entreprise, oui oui.

Le diplôme? Check.

Le stage d'installation préalable? Check (dispensée, après de longs mois afpaiens, eh oui!)

Le compte bancaire obligatoire? Check. Je sortais de chez le banquier physiquement intelligent (j'y peux rien, il l'est, objectivement), ce soir, quand j'ai commencé à m'enregistrer sur le site officiel de l'auto-entreprise.

Et là, c'est le drame. Il faut, évidemment, scanner sa pièce d'identité, en ajoutant une mention manuscrite sur le document. Et pour ça, vous me direz, il faut 1/ un scan: j'ai. 2/ une pièce d'identité: j'ai...

... Enfin, le banquier physiquement intelligent l'a, lui qui l'a gardée, ce soir.

C'est moche.

samedi 16 janvier 2016

Comme tu n'es pas du métier...

A l'heure où les figures people tombent comme des mouches en ce début d'année, j'ai envie de vous souhaiter le meilleur pour 2016, d'abord. Et de vous confirmer - vous vous en seriez douté - que je ne suis pas mourue.
 
Je suis juste passée dans une sorte d'ouragan-tourbillon-tornade (vous voyez le genre) qui m'a laissée un rien lessivée. Mais heureuse.
 
Souvenez-vous, je n'étais plus qu'une boule de nerfs rongée par l'angoisse, ces derniers temps. Après près de deux ans consacrés à me former pour exister dans un domaine réputé dur et exigeant (ah bon? à peine :) ), j'étais arrivée là, devant un mur intimidant, très intimidant. A quelques jours de ma fin de droits, je ne savais vers où me tourner, me démenant pour trouver, enfin, sinon une place au soleil, au moins le droit de profiter de quelques rayons.
 
Et puis, soudain, le tourbillon. Un premier entretien pour travailler dans un restaurant. Un bon feeling avec la boss. Un deuxième entretien et un bon feeling, cette fois, avec le chef de cuisine. Un essai, un nouvel entretien au téléphone, un deuxième essai et la sortie d'une arme, avec l'espoir qu'elle soit fatale:
 
Ben quoi? Pourquoi ne pas tenter le coup ? Sur un malentendu, ça peut marcher...
En quittant la cuisine après mon second essai, sans avoir revu la boss retenue ce jour-là, j'ai donc déposé cette tarte au citron, que j'avais confectionnée au préalable at home. Qui ne tente rien... Il n'y avait plus qu'à attendre.
 
Et puis, une proposition inattendue du snack, pour lequel je travaillais le midi, m'a créé quelques gros nœuds au cerveau et à l'estomac. Choisir un temps plein dans un restaurant à 120 couverts ou un mi-temps avec des personnes humainement extra, me laissant le temps de développer ma petite entreprise?
 
Chercher le challenge en allant puiser au fond de moi des ressources dont je ne me sentais pas forcément pourvue ou continuer d'envoyer des assiettes de snack dans un contexte convivial sans avoir les mains liées ?
 
L'aventure dans un monde tant espéré mais redouté, ou le bricolage entre un peu de rédaction, un peu de cuisine, un peu de pâtisserie?
 
Nous étions mi-décembre et j'attendais avec une hâte non dissimulée un peu de répit, une once de moments insouciants avec Loulou, le retour vers une vie normale, le temps des vacances. J'avais clairement dans ma ligne de mire le samedi 19 décembre, premier jour de la trêve.
 
Alors que je retournais ce joyeux bazar dans mon cerveau déjà bien mal rangé, un texto, alors que j'allais entamer mon service au snack: "j'ai besoin de vous".
 
La boss de la pâtisserie-chocolaterie pour laquelle j'avais travaillé cet été m'appelait en renfort pour la période de Noël.
 
Un CDD, à partir... du 19 décembre.
 
J'étais à plat.
 
Evidemment, j'ai dit... oui. Trop facile.
 
Je crois que mon chat se moque de moi, en imitant l'état larvesque dans lequel je me sentais alors...
 
Le soir, alors que je mettais toujours en balance le snack et le restaurant, la boss du second établissement m'a appelée, l'air un peu grave.
 
J'ai cru que c'était mort. Et j'ai senti la déception monter en moi.
 
"Je voulais vous dire, Stéphanie : il va falloir que vous nous fassiez beaucoup, beaucoup de tartes au citron meringuées."
 
J'étais bien alignée. Ok, allons-y pour le challenge, puisque mon cœur et ma conscience me l'indiquaient. Sautons le pas.
 
Le lendemain, je retrouvais le labo de la pâtisserie et j'ai ainsi assisté à la multiplication des bûches, sous mes yeux, quoiqu'épuisés, émerveillés. J'ai connu cette drôle d'effervescence de Noël quand on travaille ainsi, petites mains avec petites mains, pour sortir le meilleur.
 
On est parfois arrivé à 5h du mat' au labo pour en sortir à 18h... Pour réaliser en rentrant à la maison que j'avais, de mon côté, des bûches à confectionner, m'étant emballée quelques jours plus tôt sur cette idée... Autant vous dire qu'au moment de démarrer ce que j'ai vécu alors comme une contrainte, j'étais aussi enthousiaste que Thomas Thévenoud devant sa feuille d'impôt.
 
Pourtant, contre toute attente, j'ai aimé créer ces desserts, et j'ai même senti une pointe de plaisir, entre deux bâillements.
 
Mangue framboise, ou comment éviter la bûche crème au beurre!
 
L'ombre, c'est ma fatigue, je crois, elle était devenue omniprésente.
 
Bon, un ermite n'aurait sans doute pas renié le rythme de mon existence mais je l'ai vécu comme une expérience, une de plus. Une qui me menait jusqu'au 3 janvier... Avant d'enchaîner le 4 sur mon premier CDI en restauration (disons qu'un autre était prévu, mais un kit "souris-trou au plafond - œufs brouillés au micro-ondes" avait eu raison de ma bonne volonté).
 
Oui, je me pince. Je travaille comme cuisinière (ou commis? Je ne connais même pas l'intitulé de mon poste!), de façon officielle, je veux dire, je suis payée pour ça... et j'ai commencé à 9 jours de ma fin de droits!
 
Evidemment, le chef m'a rappelée que je n'étais pas du métier et je dois clairement faire mes preuves. J'ai deux mois d'essai. Mais, après deux semaines, je peux l'écrire: je ne vois pas les journées passer. Le rythme est intense, j'apprends, j'emmagasine, j'observe et surtout, je taille, je cisèle, j'émince, je découpe.
 
Parfois des petits bouts de chair, aussi, on ne se refait pas. Mais, promis, je n'ajoute pas ces suppléments aux salades, malgré l'apport protéinique certain.
 
J'ai même déjà ma petite routine. A 6 heures 20, j'appuie sur le bouton du réveil pour qu'il m'accorde quelques minutes supplémentaires, et puis encore, avant de réaliser que là, bon, faut y aller. J'entame alors ma petite marche en avant perso: saut du lit, enfilage de jean express, hop, le pull, hop, la salle de bains, hop, le bisou à Loulou à qui il reste encore quelques minutes de sommeil - le veinard - hop, la case thé qu'il faut sauter parce que plus le temps, hop, le trajet en voiture et à 7 heures, je suis en poste, ne sentant plus, soudainement, toute cette fatigue qu'il me semble pourtant si difficile à éradiquer lorsque je suis encore sous la couette.
 
La journée a démarré et le rythme s'emballe.
 
La vie est dingue.
 
Vive 2016!