dimanche 27 novembre 2022

Se dépouiller


 Ciel bas, gris. Le ronron de la chaudière ne cesse de se déclencher - il doit faire froid, dehors. Le chat saute sur le plaid, et s'installe tout contre moi. Nouveaux ronrons. La playlist est en route- du piano, des cordes, de la grâce... On est bien, ma mélancolie et moi. 

Le chat s'est relevé et fait maintenant bande à part sur son fauteuil. Oui, chez les vieilles filles, le chat a SON fauteuil, SA gamelle, SON pouf... Vous voyez l'idée. Pas que chez les vieilles filles, bien sûr, mais sincèrement, ce dimanche matin en est tellement la caricature... Pas de tristesse, non, toujours cette mélancolie que j'associe à un vague à l'âme plus profond, où vous laissez les émotions les plus sincères s'emparer de votre moi, vous bercer, vous envelopper, sans recherche d'objectifs, de choses à faire, à finir, à boucler. Juste écouter son moi.

...

Vous savez quoi? Cette intro, je l'ai écrite il y a un an. Le 19 décembre 2021, si je m'en réfère à la plateforme de ce blog. Ce dimanche-là, j'avais été interrompue dans mon élan et je n'ai jamais poursuivi la trame de ce billet.

Pourtant, un an plus tard, je n'en changerai pas un mot. La seule différence, c'est que j'ai maintenant tout loisir de ne pas chercher d'objectifs, de ne pas me soucier de choses à faire, à finir, à boucler. Je peux juste écouter mon moi.

Non seulement je peux, mais je dois! C'est l'injonction d'Abricotine. La maladie vous oblige à une introspection totale et, au risque d'en choquer certains, je considère la mienne comme une... opportunité.

Une opportunité ? Dis, elle est bonne, ta coco, la mouette?

Oui, ma tumeur cérébrale est une opportunité. Depuis qu'elle m'a contrainte à mettre en pause l'activité de mon entreprise, elle m'a paradoxalement ouvert les yeux - qui voient pourtant double, merci la coquine. Depuis cette décision, la semaine passée, je me sens enfin alignée et je dors comme un bébé, moi qui avais fini par copiner avec madame l'insomnie.

La maladie - parce que c'en est une, je l'ai enfin admis - me contraint à faire ma mue et j'entrevois soudain quelques subtilités de l'existence que mon agitation permanente d'avant m'a toujours empêché de toucher du doigt.

Notre vie s'appuie sur des repères temporels communs. La naissance, l'enfance, l'adolescence, le passage à la vie adulte, la vie adulte, la vieillesse et cette notion folle du temps qui passe, sans que l'on puisse rien n'y faire. Notre vie est aussi marquée par des temps forts, une naissance, pourquoi pas un mariage, un divorce, cet éternel recommencement entre les espoirs émergents et les désillusions perdues. Les étapes s'enchaînent et plus rien n'est jamais pareil ensuite.

Depuis 2020, on peut y ajouter le confinement, évidemment.

Et, depuis cette année, dans mon cas, la maladie.

Bien sûr, ce n'est pas la première fois que je tombe malade et mon adolescence a été marquée par une autre saleté, l'anorexie, qui aurait pu me faire basculer dans un au-delà hypothétique. Mais la force de vie que j'ai toujours ressentie m'en a prémunie, à l'époque.

Non, là, je vous parle d'une maladie - dont je vais guérir, très probablement - mais qui ne laisse pas d'autre choix que de se libérer de sa carapace. Je sais déjà que rien ne sera plus comme avant, qu'il y aura un avant et un après. Et vous savez quoi? Ce n'est pas grave.

C'est une chance, je vous dis!

Hier soir, les propos de Guy Corneau dans son livre "Revivre" ont ainsi particulièrement résonné: "Je voudrais dire aux personnes qui sont malades que le principal bienfait de la maladie consiste précisément à se dépouiller de son personnage principal. Je voudrais tant les les aider à entrer dans la grâce de ces moments où nous ne pouvons plus prétendre à quoi que ce soit."

La grâce de ces moments... Libérée de cette pression permanente de faire, de me battre pour des objectifs parfois un peu absurdes, soulagée de ne plus subir les attentes des autres, leurs exigences incongrues, leur agressivité parfois, je la sens, cette grâce. Juste sentir les battements de son coeur le matin, au réveil, le tissu qui se froisse sous mes doigts, savourer le calme soudain de cette chambre ou de ce salon, respirer. Je sais, cela ne fait pas une vie. Mais la vie doit-elle toujours ressembler à ce tourbillon où l'on se débat et tourne comme un hamster dans sa cage?

En écrivant cela, je m'interroge sur mes aspirations profondes et au sens de mon existence sur cette terre, finalement. Je crois sincèrement que ma mission est de nourrir les autres. Le sens en est large. Je sais que je peux encore le faire, autrement. L'univers me laisse ce temps pour faire ma mue. J'en ressens une gratitude infinie.

Vous allez vous dire, mais, elle a fumé quoi, la Mouette, vraiment? On lui colle une tumeur et elle remercie l'univers?

Bien sûr, quand je me lève le matin, je ne sens pas juste les battements de mon coeur, le tissu qui se froisse sous mes doigts, le calme soudain ou ma respiration apaisée. Sans vouloir jouer les drama queen, quand j'ouvre les yeux, je perçois le voile, je vois trouble et double et je me sens dans le brouillard, comme dans un état d'ébriété permanent.

Bien sûr, j'ai un peu peur, j'ignore si Abricotine continue de grossir mais je sens bien que les nausées et les céphalées se sont intensifiées depuis quelques jours. C'est bien pour ça que j'ai accepté ces rayons qui vont brûler (un peu) mon crâne.

Bien sûr, je connais leur nécessité, comme je connais celle de cette pause, comme un temps suspendu pour offrir à mon esprit de la hauteur, comprendre mon état de mortelle et l'envisager comme une chance.

Chez un reptile, la mue dure entre 7 et 14 jours. Je sais qu'il m'en faudra bien plus pour l'achever. Mais je suis prête et me libérer progressivement de cette enveloppe m'apaise tellement!

Un jour, peut-être, je verrai cette exuvie comme le symbole de ma vie d'avant. Je la regarderai avec de l'affection, avec sans doute un peu de cette mélancolie qui m'enveloppe tant. J'ai conscience que l'on ne change jamais complètement et je ne vais pas me transformer en un moine bouddhiste humble, détaché de toute velléité.

Mais je vois maintenant Abricotine comme une alliée, qui va m'aider à aller chercher cet autre moi, dans ce vide que j'ai tellement appréhendé.

mardi 22 novembre 2022

Déconstruire


 Ce dimanche-là, c'était comme un été indien complètement improbable. Songez plutôt, en novembre, là où on a habituellement sorti écharpes et manteaux, le ciel était immaculé et la météo plus que clémente. Pas un brin de vent non plus. Imaginez donc ma surprise devant cet arbre courbé, qui s'est accommodé de sa condition, à force de bourrasques, et a pris cette forme insolite.

L'arbre plie, mais ne rompt pas.

Cette image m'a sauté aux yeux. J'y ai vu une belle métaphore de ma modeste existence.

Après deux mois, malgré mon arrêt maladie, à tenter de sauver les meubles, à répondre par mail ou téléphone comme si de rien n'était aux clients, à m'en cacher quand même - mon air de borgne peut effrayer, je le concède - il a bien fallu me rendre à l'évidence. Un dernier accroc m'a convaincue de jeter l'éponge. J'ai dû mettre en pause mon entreprise pour me concentrer sur ma santé, rapport que le corps, on n'en a qu'un et qu'Abricotine est dans la place.

Une telle décision n'est jamais simple. Ceux qui me suivent depuis le début savent quelle énergie j'ai dû déployer pour faire naître, grandir et voir se développer mon bébé. C'était même le fondement de ce blog, en 2009!

Pourtant, je l'ai prise comme une évidence, ce week-end.

Le lundi, j'ai appelé mes partenaires, puis les clients directement impactés par cette décision. Puis, j'ai informé les autres, modifié les messages sur ma boîte mail et vocale... 'Plus de commandes, plus de prestation, plus de cours..." Tout ce que j'avais mis en place a disparu en une seule journée. L'entreprise va devenir comme un fantôme... Au fil des heures, je sentais que j'étais en train de déconstruire ce projet qui m'a tant animée. En quelques coups de fil, en quelques lignes et messages, j'ai rangé mon bébé dans un placard, bien au chaud.

Ont défilé dans ma caboche toutes ces images, tous ces souvenirs, ces montagnes russes, mes joies lors des premières signatures, mes quelques désillusions parfois, toutes ces premières fois que j'ai vécues comme autant de challenges. La vie parfaitement classique d'un entrepreneur, somme toute, qui se lance en n'ayant heureusement peu conscience de ce qu'il va vivre - sans quoi, personne n'irait ainsi se jeter dans la gueule du loup.

Je n'ai aucun regret. Je ne pousserai pas l'audace jusqu'à remercier Abricotine, car la cocotte n'a clairement rien à faire dans mon cerveau, cette coquine et, qu'elle soit prévenue, ça va bientôt lui chauffer les fesses. Mais si besoin il était, je prends plus que jamais la mesure de la fugacité de notre existence et j'ai bien l'intention d'aller en savourer toute la moelle.

Face à l'adversité, j'ai plié mais soyons clairs: pas question de lâcher l'affaire. Je suis vivante. Et si Abricotine veut se la jouer warrior, je saurais me souvenir de cet arbre de Pen Bé, symbole de résilience et de sagesse.