vendredi 19 novembre 2021

Moi Tarzan, toi Jane

Dimanche dernier, dans un élan de désœuvrement spontané, j'ai commis, non pas l'irréparable mais du moins, le truc que je ne pensais jamais faire.

Roulements de tambour...

Vous allez voir, c'est d'un banal...

Oui, je me suis inscrite sur un site de rencontres. Je crois que c'était juste pour voir, en fait, mais je sais pas, il y a eu ce moment où j'ai imaginé le frisson me parcourir l'échine, ce moment d'ivresse lorsque le prince m'écrirait ses mots doux, mon côté fleur bleu qui ressortirait.

Au lieu de ça, "Amour sensible" - le sosie de Mr Bean -, Jeannot, 53 ans de Palavas-les-Ploucs, Ben et son regard de satyre, Boboss qui a l'air trois fois plus vieux que mon père ou Gilbert, 57 ans, de Montigné St Mauges (j'invente à peine) ont "liké" mon profil. Jean-Pierre m'a proposé, je cite: "j’aimerais beaucoup échanger avec vous et pourquoi pas découvrir un chemin commun se dessiner avec simplicité et complicité pour ces prochaines années 🙂"

On est sur des perspectives d'avenir immédiates, là, non? L'idée qu'un homme s'engage avec moi n'est pas pour me déplaire, mais sans même avoir échangé la moindre conversation, euh, comment dire, ça va pas un peu vite, là?

J'ai pris peur, aussitôt.

Encore plus quand j'ai cliqué sur un bouton, pensant aller juste sur un profil, et que le site m'a affiché: "Coup de coeur partagé". Aïe, boulette, comment on efface? 

J'aurais dû m'en douter en voyant s'afficher le placard de portraits, comme si j'allais sélectionner mes produits dans un drive. Poussée par ma vilaine curiosité, j'ai voulu découvrir ce qui se cachait derrière ces cases. Eh bien, comment vous dire... De vraies têtes de vainqueur. Le poil rêche ou la bedaine prégnante, le repris de justice ou l'alcoolique repenti, le punk à chien ou le cadre sup au sourire pincé, ces hommes ont engendré chez moi un léger sentiment de malaise. 

Pour tout vous dire, j'ai eu l'impression d'un ramassis de gens tout décatis, de vieux beaux ratatinés ou de vrais moches vraiment abîmés. Et exigeants avec ça! Sur le physique de leur princesse, sur ses goûts, son poids... Entre Michel, niaiserie incarnée et regard tout mou, Juste (oui, Juste) (oui, j'ai pensé au Dîner de Cons) qui a l'air d'avoir 70 ans et Régis et ses 15 fautes d'orthographe à la ligne, j'ai vite compris que non, vraiment, ça n'allait pas être possible.

Ma première réaction, ça a été de me dire: mais pourquoi les hommes de mon âge ont-ils l'air si vieux? J'avoue que ça m'a fait flipper. Je me suis dit que j'avais peut-être l'air vieux, moi aussi. Mais mon visage n'est vraiment pas buriné comme ces messieurs, en toute objectivité.

Et puis, sérieusement, je me suis posé des questions sur ces hommes. L'idée, a priori, c'est de séduire, j'imagine. Alors, pourquoi, mais pourquoi te prendre en photo d'en bas? Pour prouver que tu peux avoir plus de plis qu'un bouledogue au niveau du menton? Pourquoi prendre juste ton oreille en photo? Tu penses vraiment que je peux flasher sur un lobe? Pourquoi te prendre en photo de nuit/flou/avec des lunettes de soleil/de dos?

Ah, pour que l'on ne te reconnaisse pas, peut-être? Mais du coup, j'ai pas envie de te connaître du tout, bizarre, non? En fait, j'ai trouvé que tout ça manquait d'humour, de spontanéité, de vrai, tout simplement. C'est premier degré. "Moi, Tarzan, toi Jane". Vous allez peut-être me trouver un peu méprisante - je crois que je le suis, en fait, à chaque fois que je découvre le profil du dernier qui m'a likée - mais je ne peux me résoudre à taper dans le stock des invendus pour me redonner un peu de baume au coeur et me sentir désirée.

Je réalise qu'en allant sur un site comme celui-ci, je me sens comme un bout de viande que je proposerais à l'étal, de façon un peu vulgaire à mes yeux. Je n'ai pas envie de me sentir comme une chose, comme un produit. J'imagine que plein de personnes ayant rencontré leur moitié ainsi trouveront mon discours fermé, borné, stupide. Je respecte pleinement le choix de chacun et je crois que j'aurais aimé y trouver mon compte et clouer le bec à mes aprioris. Mais non. Je n'y arrive pas. 

Bref, ce soir, j'ai fait jouer mon droit de rétractation. L'expérience aura été courte, décevante... et amusante, quand même (je me suis tapé quelques barres de rire à découvrir les profils "intéressés"). Mais, justement, c'est mon jugement teinté de malveillance à leur encontre qui m'a poussé à renoncer à cette expérience en ligne pour laquelle, décidément, je ne me sens pas prête.

Hey, Michel, tu peux rester, hein. Y'aura sans doute, un jour, un coeur à prendre. Le mien va passer son chemin, en tout cas. En ayant pris un bon shoot de rire jaune.