dimanche 6 décembre 2015

J'ai envie de vomir

6 décembre 2015. La peste brune menace la France. On y est.
 
 
Plus jeune, face à la montée du FN, j'ai espéré que jamais, jamais mes enfants n'auraient à connaître la France dirigée par un parti fasciste.
 
J'ai grandi. J'ai eu un début de carrière placé sous le signe de la passion et de la chance et, globalement, j'ai eu ma part de responsabilité dans les obstacles que j'ai eus à affronter.
 
Ensuite, parce que j'ai pris le risque de la reconversion, j'ai connu et je connais encore la précarité. Je cherche du travail, je me donne les moyens pour ça, et je suis encore au chômage à 30 jours de ma fin de droits.
 
C'est vrai, certains matins sont difficiles, quand la chape de plomb ne te laisse entrevoir que le gris du ciel.
 
C'est vrai, je suis parfois découragée.
 
C'est vrai, je me fais parfois penser à Caliméro, quand je pense à ma situation actuelle. "Pas assez expérimentée"... "Trop vieille"... "Trop femme..." "Trop intello..." J'en ai entendu, des arguments sape-moral.
 
C'est vrai, aussi, j'ai peur pour la France. Les attentats nous ont tous bouleversés et atterrés.
 
Mais je n'accuse pas la terre entière d'être ainsi engluée dans cette galère. Je n'attends pas des autres qu'ils me sortent de mon bourbier. Je vais y arriver.
 
Je suis seule maître de mon destin.
 
Jamais je ne m'en remettrai à un parti haineux et fasciste.
 
J'ai hésité à aller voter, aujourd'hui. Pourtant, je me suis dit que c'était le seul pouvoir que j'avais. Même dans une région - les Pays de Loire -  moins menacée par le FN, m'opposer, comme je peux, à cette montée inexorable de la peste brune.
 
J'ai suivi le même raisonnement, finalement, que les gens qui galèrent et qui n'en peuvent plus de leur quotidien. Eux aussi, se sont dit qu'ils avaient un pouvoir, celui de rejeter en bloc notre classe politique. J'imagine déjà leur argument, les premières justifications...
 
Ne l'oublions pas...
 
 
Moi aussi, je suis déçue de la classe politique, désespérante et ignorante, stupide et vaine. Droite ou gauche, ces politicards ont leurs responsabilités dans la montée du FN. A force d'ignorer la colère du peuple, à force de vivre dans leur bulle et de montrer ce visage arrogant quand la situation supposerait un peu d'humilité, ils ont réussi à se décrédibiliser.

Ils ont réussi à nous dégoûter.
 
Aujourd'hui, ils ont déroulé le tapis rouge pour Marine Le Pen. Sa clique et elle peuvent jubiler. Toujours plus démago, la leader du FN a répondu à cette attente irraisonnée de gens désespérés qui ont choisi la voie de la haine pour crier leur colère.
 
A ces gens, j'ai envie de dire que, certes, on peut toujours se révolter en tapant sur l'autre. Mais on n'en sortira jamais grandi.
 
L'anéantissement, c'est ce qui attend la France si la peste brune revient nous envahir.
 
Je reviens. Je vais juste vomir.

dimanche 22 novembre 2015

Bon jour

Ce matin, mon épi, mon chalazion (pas du tout dramaturge, j'ai vu mon ophtalmo en urgence cette semaine, croyant que j'allais perdre mon œil), mes poils aux pattes (je vous ai dit que j'étais célibataire? Au cas où vous ne le sauriez pas, là, c'est juste l'indice parfait.) (j'ai honte) (mais au moins, j'ai chaud aux mollets), bref, tout ce monde-là et moi, nous sommes partis courir.
 
Etait-ce le vent frais mais sec, ce soleil, le ciel bleu, la couleur des feuilles? Je ne sais pas, j'avais juste envie de dire bonjour à tout le monde.
 
Même à celui qui m'a collé son gros chien dans les pattes.
Même au cycliste qui m'a couvert de boue à son passage.
Même à cette vieille dame qui m'a regardé comme si j'avais tué sa mère au moment où j'ai osé la saluer.
Même à ce couple visiblement amoureux, que j'ai zieuté avec un rien de jalousie.
Même à cet homme visiblement célibataire depuis bien plus longtemps que moi, à qui j'ai eu envie de rabattre la langue tellement il bavait... (Vous me direz, c'était peut-être la fatigue extrême qui lui donnait cet air lubrique) (honnêtement, ça devait être ça, en fait, parce qu'avec mon épi, mon chalazion et mes poils aux pattes, j'étais pas au comble du glamour, hein).
Surtout à ce jeune homme physiquement intelligent qui a eu la bonne idée de croiser mon chemin (toujours ça de pris, hum).
 
Oui, j'avais le sourire, celui qui incite les autres à s'y mettre aussi et à le lâcher, ce fichu "bonjour", même du bout des lèvres.
 
Oui, je me suis dit que c'était quand même bête de crier à la fraternité sur les réseaux sociaux et de se renfrogner en vrai. Tel un bisounours, j'ai envie d'aimer les autres. J'ai envie de penser qu'on est tous dans le même bateau et qu'on a peut-être intérêt, mine de rien, à le piloter ensemble.
 
Et puis, de toute façon, le chien, il m'a même pas fait tomber, d'abord. Et puis, la boue, elle est partie du premier coup. Pourquoi il aurait fallu s'énerver, hein? :)

vendredi 20 novembre 2015

Schizophrène

Schizo. Voilà comme je me sens en ce moment.
 
Ce matin, par exemple, j'étais dans l'hémicycle du Conseil régional pour retranscrire les débats de personnes politiques ou pas, d'ailleurs.
 
En rentrant, j'avais ça dans la boîte aux lettres:
 
Déjà, un DRH qui prend encore la peine d'envoyer une lettre, fût-elle de refus, on frise le paranormal.
 
Ah oui, c'est vrai, j'envoie des candidatures à la pelle, en ce moment, pour dégoter un poste en cuisine, pâtisserie, traiteur, vous voyez bien.
 
Je fais ça entre deux articles parce que, oui, je cherche aussi de la pige et j'ai même enfin découvert Star Wars, si si, à 41 balais, à la faveur de deux papiers (que je n'ai finalement même pas rédigés, la loose). A la place, j'ai analysé le rôle de Disney dans le 7e art. Cherchez l'erreur.
 
J'ai écrit un portrait aussi, cette semaine, sur un entrepreneur nantais... en rentrant de mes services du midi. Je devais un peu sentir la frite, j'imagine, en écrivant ce papier, après avoir monté du burger et des panini.

Hier soir, libérée de ces petits retours vers le futur (ou était-ce des réminiscences du passé?), j'ai pu passer un entretien. Je retiens mon souffle, mais j'ai adoré ce moment et je reste en course pour ce poste de commis de cuisine. Fingers crossed.

De quoi bien finir la journée après un début larmoyant. Je devais en effet évoquer mon projet de pâtisserie avec une coopérative d'entrepreneurs, hier. Face à l'urgence financière (dans moins de 2 mois, plus de droits, c'te blague), j'ai dû me rendre à l'évidence: il me faut reporter mon projet, remballer mon bébé et mes idées, mettre le tout sous couveuse et attendre le retour des éclaircies...

Et donc réfléchir à mon avenir, faire ces sauts de puce d'un monde à l'autre, envisager ma place dans le travail comme quelque chose d'aléatoire et fluctuant.

C'est un peu fatigant, devrais-je admettre. Pour tout dire, j'ai l'impression de sauter d'un univers à l'autre en un éclair, de troquer ma panoplie "d'intellectuelle" (hum) pour celle de manuelle, avant de tout enlever et de me ressentir un peu... déboussolée, peut-être?
 
Pas le choix, je crois. Ainsi va ma vie.
 
Ce matin, la conférence traitait du "travail en 2030". A écouter le consultant parler, je me suis dit que je n'étais pas la seule à virer schizo. Les amis, on est beaucoup à avoir basculé, et le mouvement va grossir, entre deux activités qui n'ont parfois rien à voir.
 
Schizo, oui. Je ricane intérieurement quand j'affirme que j'irai à la soirée pyjama chez Jawad, ce soir, événement organisé sur Facebook, me délectant des commentaires sur ce vrai mytho (ah pardon, supposé mytho, n'oublions pas la présomption d'innocence, les amis) qui a accueilli à l'insu de son plein gré des mecs armés jusqu'aux dents. Oui, je me marre franchement devant les trésors d'imagination des internautes. Et puis, je bascule dans la tristesse extrême en lisant ce témoignage de Louise, si touchant; Louise, qui n'a pas renoncé à son humour pour raconter l'horreur; Louise qui me tire les larmes et me remue les tripes.
 
Schizo. Ou juste très, très humaine, à assister comme chacun à la transformation de notre monde...

samedi 14 novembre 2015

Le deuil


 
L'horreur a frappé à notre porte. Elle relativise évidemment nos petits bobos et peines de cœur, soucis quotidiens et autres tracas qui deviennent soudain si futiles.
 
Pensées pour toutes les victimes, pour leurs proches.
 
Je suis en deuil.

jeudi 12 novembre 2015

Clark et moi

"Non, mais oh, t'es vachhhhhheeeeeeee!"

Un jour de novembre 2014, assis derrière son ordi, il a levé la tête, m'a regardé, mi-courroucé, mi-stupéfait et il m'a dit ça :

 "Non, mais oh, t'es vachhhhhheeeeeeee!"

Je me suis touché le torse, j'ai cherché le bouton mais je n'ai pas réussi à faire "meuh" (j'avais un drôle d'humour à l'époque, je m'en rends compte).

Pourtant, j'ai compris rapidement l'objet de son courroux.

L'homme parcourait mon blog et lisait ce post.

Dedans, j'écrivais notamment : " je n'ai pas mon Clark Gable à disposition (on fait avec les moyens du bord, y'en avait plus en rayon, quand on parle de pénurie, je vous jure, ce ne sont pas de vains mots) "

Laissant entendre, donc, que j'étais comme une âme en peine, sans la moindre trace d'amour à mille kilomètres à la ronde. Alors qu'un homme, un vrai, était bel et bien à quelques mètres de moi, là, dans ce salon soudain envahi d'incompréhension et de gêne.
 
...
 
 
Pourtant, il était là, mon Clark, revenu après avoir pris le large.
 
Et puis, la vague l'a de nouveau emporté.
 
Un an après avoir écrit ces premiers paragraphes, Clark n'est plus mon Clark. J'ai envie de me recroqueviller et puis, dans un même élan, de relever la tête.
 
J'ai envie de taire ma douleur; en même temps, j'ai l'impudeur de vouloir la partager, comme pour mieux évacuer toutes ces choses qui pèsent sur mon cœur.
 
Je me sens sereine mais j'ai les yeux embués.
 
Je suis solide mais mes jambes sont en coton.
 
Je me dis que tout ça ne regarde que nous deux. Je me dis que la tristesse fait partie du processus très banal que je vis, de nouveau. Je relativise.
 
Mais après tout, pourquoi retenir ses larmes? Je sais, le temps fait son œuvre, patin couffin.
 
Aujourd'hui, c'est juste que si je tourne la tête vers cette chaise désormais vide, c'est juste le souvenir d'un air mi-courroucé, mi-amusé, qui me reste en mémoire.
 
Rien d'autre.
 
Et pourtant tellement.
 

lundi 26 octobre 2015

Dégoter la tenue de Shiva

Quand tu rentres du boulot et que tu ramènes ce genre de douceurs, tu mesures l'intérêt de bosser en pâtisserie plutôt que dans un magazine de sport...
 
 
"- C'est négatif."
 
Au bout du fil, un pâtissier, qui cherchait une personne pour deux mois et la folle période de Noël.
 
Pas assez expérimentée.
 
Deux jours plus tôt, j'avais commencé ma journée dans ce labo bien agencé, prenant mes marques au plus vite, histoire de faire un essai qui serait le plus concluant possible. Après avoir dressé des entremets, couché et garni des macarons, coupé des abricots en brunoise, préparé des glaçages, foncé des tartes, mais aussi broyé des biscuits, jeté des cartons, raclé le sol (je sais, je vends du rêve), j'avais l'impression d'une immersion à la fois express et longue dans ce nouvel univers.
 
Express parce que j'ai vu en un éclair un condensé de ce qu'exige le travail en labo ; longue par la multitude de tâches réalisées en une seule journée.
 
Si j'avais mes chances? Bah, nous étions cinq sur le poste et je savais pertinemment que d'autres avaient d'autres atouts, en termes d'expérience, évidemment. Je suis repartie du labo un rien fourbue, quand même, mais contente. D'abord, j'avais appris, notamment ces gestes techniques où je tâtonnais encore, tant le chef sait donner de sa personne pour former.
 
Et puis, j'avais donné ce que je pouvais, en m'appuyant sur ce que j'avais déjà acquis cet été lors de mon premier CDD dans une autre boîte.
 
Visiblement, ce n'était pas assez.
 
Pourtant, ce samedi au téléphone, je ne me suis pas sentie envahie par la déception. Après tout, j'avais répondu à l'annonce avec envie, mais sans vraie conviction quant à mes réelles chances. Peut-on parler d'élan du désespoir? Vous savez, quand vous avez cette impression d'être au milieu du désert sans l'espoir d'une oasis à moins de 10 000 à la ronde...

Oui, j'étais désespérée quand j'ai postulé et je demeure dans un état un rien équivalent (mais avec le sourire, allez comprendre). Je ne sais pas quoi faire de ce dilemme que je vis, entre l'envie de lancer mon entreprise sans un sou en poche ni indemnité, et la nécessité de trouver, vite, un job pour renflouer les caisses.

C'est cette nécessité qui m'a conduite dans ce labo, après une nouvelle exploration dans les méandres de la création d'entreprise. Car, quelques jours plus tôt, j'étais allée raconter mon "grand projet", suite à mon premier contact avec une coopérative d'entrepreneurs. Trois heures de face à face, pour exposer les grandes lignes, mes envies et mes doutes.
 
"Vous ne les vendez pas assez cher, vos pâtisseries", en a conclu la conseillère, de façon très lucide.
 
Lisant mon découragement, elle a ensuite tenté de me rassurer, m'a encouragée à poursuivre dans cette voie... tout en travaillant à côté.
 
Ce que j'avais déjà imaginé, donc, en me demandant où j'allais bien pouvoir dégoter la tenue de Shiva.
 
Je suis rentrée mi figue mi-raisin de cet entretien. J'ai eu du mal à en parler, gardant pour moi ce mix d'inquiétude et d'enthousiasme. Et puis, le lendemain, c'est monté, et j'ai craqué.
 
Je me suis dit que, vraiment, je faisais fausse route, qu'il était inutile de s'entêter et que la pâtisserie, c'était fini pour moi.
 
Après, dans un ultime sursaut, il y a donc eu cet essai.
 
En toute honnêteté, je suis partagée entre l'idée de jeter l'éponge et celle de chercher, encore, une alternative pour ne pas foutre en l'air tout ce chemin que j'ai dessiné et tracé depuis deux ans.
 
De toute façon, ai-je le choix?

mardi 13 octobre 2015

Hic et déclic

On s'amuse comme on peut, hum?
 
Souvenez-vous, je vous parlais de cette dame un rien sournoise, l'Angoisse, qui me paralysait parfois, me rappelant que la route était décidément bien tortueuse.
 
Autant vous dire que j'ai mis pas mal de choses en place pour l'abattre. Il y a eu le sport, d'abord. Courir pour oublier, courir parce que c'est juste bon, aussi. J'ai cru que, à force, mes cuisses allaient être aussi dures que ma caboche et, en bonne Bretonne que je suis, je peux vous dire que là, y'aurait eu perf.

Là-dessus, le fantôme de Pierre Richard a fait son come-back et je me suis offert un joli moment de solitude en tombant comme une crêpe de mon vélo. Oui, oui, étalée de tout mon long, la poitrine sur le guidon et les pattes emmêlées je ne sais comment...
 
Aussi raide d'une gousse de vanille desséchée, il a bien fallu improviser. Heureusement, tout s'est enchaîné. Consciente que, de toute façon, j'aurais eu du mal à faire de mes deux, trois courses quotidiennes mon métier-de-quand-je-serai-grande, eh bien, je me suis mise à pousser les portes, fureter ça et là, envisager tout et son contraire... Et au milieu de cette agitation, entre doutes et espoir, j'ai surtout senti une énergie précieuse circuler.

Eh oui, que les nostalgiques du pilou fassent leur deuil: j'ai tout remisé au placard pour inventer de nouvelles pistes, plus, comment dire... constructives. Alors, un rien clouée à mon canapé, j'ai regardé les annonces. J'ai rencontré un cuistot passionné, adepte du fait maison, et qui m'a rappelé mon forçat toqué d'il y a longtemps. Il m'a parlé comme si j'allais bosser à ses côtés, sauf qu'il avait déjà embauché une autre personne. Visiblement, cette dernière a dû faire l'affaire puisque depuis, c'est silence radio.
 
Après, j'ai poussé la porte d'une association d'employeurs, histoire de montrer ma trogne à des gens qui, éventuellement, voudraient bien de moi en cuisine. Depuis, c'est silence radio.
 
Et puis, j'aurais pu menacer l'Amazonie de déforestation si nous n'étions pas à l'ère numérique, à force d'envoyer lettres et CV.
 
Résultat, silence radio.
 
Y'a pas de secret, en même temps. Je suis jeune diplômée, mais j'ai quand même 41 balais. Je ne veux pas bosser en coupure (entendez, faire les services du midi et du soir) tous les jours dans une usine de 200 couverts. Alors, il reste les petites adresses, les chefs artisans, les amoureux du goût... Oui, tous ceux qui peinent à s'en sortir tant les charges sont lourdes et qui préfèreront logiquement renforcer leur cuisine avec un ou deux apprentis, plutôt que de recruter une jeune-mais-vieille commis...
 
Défaitiste? Allons... Je constate, c'est tout, sans aucune amertume. Après tout, je le savais tellement, tout cela, que c'est avec mon projet individuel que je suis partie, bille en tête, me former en cuisine et patoche.
 
Et c'est bien ce qui est en train de me rattraper.
 
Parce qu'entre les silences radios des uns et les refus polis des autres (oui, certains ont la classe de répondre, et même si c'est négatif, c'est quand même drôlement appréciable), les coups de fil se sont un rien multipliés, qui pour un framboisier, qui pour un Royal, qui pour des macarons, qui pour... Des commandes un peu inespérées, qui m'ont permis de pâtisser avec l'objectif de répondre à une vraie demande... et de (me) faire plaisir aussi.
 
Ensuite, les retours m'ont tellement encouragée que je me suis prise à rêver.
 
Et si?
 
Oui, et si je tentais de nouveau l'aventure de la P'tite Madeleine? Et si je confectionnais de nouveau des pâtisseries, un poil plus pro quand même qu'à l'époque mancelle? Et si je les livrais, aux restaurateurs et aux particuliers?
 
Bien décidée, je suis montée au créneau, lançant même un site juste-pour-voir, afin de présenter mon projet à une coopérative, sorte de pépinière d'entreprises.
 
C'est là que la schizophrénie s'en mêle, tant je sens mon cerveau se dédoubler.
 
Un côté me dit que, de toute façon, vu l'état de mes recherches, autant construire sa propre voie sans s'entêter dans un salariat qui ne veut pas venir, à trois mois d'une fin de droits très redoutée.
 
L'autre côté me rappelle cette douloureuse échéance en me tillant juste pour savoir si, par hasard, j'ai songé que j'avais un loyer et des charges à payer. D'où la nécessité d'être salariée, sans aller inventer des histoires et s'illusionner une nouvelle fois.
 
Parce que c'est bien le sentiment actuel qui domine. J'ai envie, très envie, de lancer vraiment mon affaire.
 
Le déclic, ça a été la visite d'un labo, partagé par plusieurs entrepreneurs, et que je peux concrètement louer pour confectionner mes douceurs.
 
Le hic, c'est que je marche actuellement au-dessus d'un précipice, sans aucune visibilité et je sais décemment que mon affaire ne pourra être viable d'emblée.
 
Le déclic, c'est une rencontre entre futurs entrepreneurs qui voudraient comme moi rejoindre une coopérative, pour lancer leur business en prenant le temps nécessaire pour ce faire.
 
Le hic, c'est que je n'en ai plus, de temps.
 
Alors, voilà, maintenant que je suis diplômée, que j'ai la possibilité d'avoir un lieu de travail opérationnel, un statut (enfin, un numéro SIRET!), je me retrouve dans cette jungle de doutes et de questionnements. C'est au delà de la peur, sincèrement. C'est juste cette confrontation terrible avec la réalité.
 
Vous me direz - avec une pointe d'humour ou de cynisme, sans doute - joue au loto ou gagne une assurance-vie en fricotant avec un vieux riche.
 
Je vous dirai que là, je n'ai même pas envie d'essayer. J'ai juste l'impression d'être au bord du plongeoir, prête à réaliser le plus gros saut de ma vie, mais bloquée par cet élastique infernal qui semble parfois disparaître, pour m'enserrer l'instant suivant toujours plus fort.

mardi 22 septembre 2015

Elle

Je ne vois pas la vie en négatif, je vous rassure. Y'a juste une petite maligne qui essaie parfois de m'enfermer dans cette case sclérosante... (Copyright: Loulou)
 
 
Telle une couleuvre, elle s'immisce silencieusement, insidieusement. Elle est partout, surgissant à n'importe quel moment. Elle survient, là, alors même que la journée a été belle. Elle me salue pile à l'instant où j'ai envie de savourer la joie qui m'envahit, de capter le rayon de soleil, de retourner le sourire que j'aperçois sur le visage soudain lisse de l'autre. Elle glisse, s'amuse à ces va-et-vient épuisants et me laisse atone.
 
Bien sûr, j'essaie de la chasser. J'y mets du cœur, même. Pas question qu'elle me gâche espoirs, mini-bonheurs et projets. Pourtant, telle une chape de plomb, elle ne m'épargne jamais tout à fait.
 
Bien sûr, j'essaie de ne lui laisser aucune chance. Un simple mouvement de commissure, un mot, un "oui", un moment d'abandon et elle semble perdre illico de sa superbe. Elle prend alors ses distances.
 
Oui, elle me laisse tranquille. Un peu de répit, et soudain, tout ce qu'elle bloquait jaillit là, par flots, me laissant presque débordée par tant de possibilités.
 
Libérée, je flotte. J'ai juste à lever les yeux, oh, de quelques millimètres, pour être éblouie par la lumière du ciel, par ce bleu qui se dégage.
 
Vite, vite, j'en profite, je fonce. Pleine d'énergie, je multiplie les rendez-vous, évalue les combinaisons gagnantes, m'agite dans tous les sens... Terriblement alléchée par cette accélération, ce pic incandescent de stress pourtant positif, elle revient et gagne de nouveau du terrain.
 
Bien sûr, je sors alors la carte que j'imagine infaillible, la méthode Coué. Je pense à la phrase magique, "il fera jour demain"... Elle bat légèrement en retraite mais elle s'installe confortablement au creux de mes paupières, le soir venu. Je la sens, triomphante, espérant sans doute me priver de ce sommeil qu'elle déteste.
 
Je repense à ces moments où elle m'a vraiment joué de sales tours. Lorsqu'elle m'isole de tout le reste, qu'elle me met la tête à l'envers, qu'elle me laisse imaginer les scenarii les plus sombres. Lorsqu'elle me paralyse les mains, à l'instant même où je peaufine une décoration de gâteau. Lorsqu'elle me prive de mes mots, ternit le rose des choses, lorsqu'elle commande mon cœur et s'appuie sur la raison pour mieux justifier son travail de sape.
 
Alors, oui, je lutte et je loue les nouvelles, les projets, les rencontres et les conversations qui offrent à mon enthousiasme la meilleure des armes pour s'exprimer. Je chasse le négatif, les nuages et l'inertie.
 
Pourtant, j'ai compris que je pouvais aussi l'accepter, et même la voir avec davantage de bienveillance, l'imaginer comme une alliée. Après tout, si elle ne m'épargne pas, elle m'offre une fenêtre grande ouverte sur la réalité de mon monde. Elle me contraint à inventer, initier, réagir. A vivre.
 
Je lui demande juste une faveur: qu'elle ne s'acharne pas et qu'elle me fasse suffisamment confiance pour lui montrer ce dont je suis capable.
 
Hein, tu promets, dis, madame l'Angoisse?

mardi 1 septembre 2015

Le jour où j'ai dit non

Lundi matin. Un fort orage a éclaté cette nuit et m'a laissé un rien exsangue. Pourtant, c'est surtout l'agitation de mes rêves qui a plombé mon sommeil.

J'ai réfléchi à une liste de recettes viable pour la semaine, avant que l'on passe la commande. Je vais sans doute batailler, car il y a un certain investissement dans des produits ou matériel de base, inexistants dans la cuisine (des poches à douille, par exemple? Ah bah oui, par exemple).

Mais je suis assez contente. Allez, un peu de méthode Coué, ça va bien se passer, ça va bien se passer.

Je rentre dans la cuisine, accueillie par une odeur de rat mort. Une infection. Tiens, un bout de muffin au chocolat entamé sur le poste. Le bain-marie pas vidé, avec quelques boulettes d'œufs brouillés dedans. La serpillère dans son seau - et son eau stagnante.
 
Miam.

Je me lave les mains. Pas de papier absorbant, j'adore. Je prends un torchon, faute de mieux, que je mets de côté pour ne pas le mélanger avec les autres.

Je lance les viennoiseries, tentant de faire taire la voix rugissante en moi. Deux, trois formalités habituelles, je balance au passage le crumble du 23 août qui traîne encore là - au moins, il était daté, celui-là, contrairement à tous les autres desserts que je place dans la vitrine réfrigérée... Ah, sale, elle aussi.

Je sors la terrasse, dépitée, je tente de cacher mon désarroi au téléphone quand Albert II me sonne, je fais un rapide tour des frigos...

Et là, c'est le drame. Les portes, que j'avais quand même briquées vendredi soir, sont collantes, clairement pas nettoyées du service de la veille. Il reste des denrées non filmées, sèches (le Brie et le Saint-Nectaire de chez Promocash n'aiment pas l'air, si j'en crois leur couleur), voire périmées ou même grouillantes (miam bis).

Je fais le tri, je balance, ce qui m'oblige à m'approcher de la poubelle qui pue la mort. Je lance des paniers de plonge et je prie pour qu'aucun client ne se pointe. J'ai en moi les deux voix qui se parlent:

"Non, mais ça va aller, une fois que tu auras fini de nettoyer, tu vas préparer ta petite cuisine comme tu l'entends...

- Mais tu vois bien que ça ne marchera jamais, c'est juste pas possible.

- Allez, il faut tenir, tu ne vas pas partir, là...

- Eh, mais si je partais, là? Non? Noooooon?"

L'éclair. Partir. Fuir tant qu'il est encore temps.
 
Mais je ne peux pas faire ça, moi!

Et pourquoi pas, au fait?

J'ai continué à nettoyer. Au début, je me suis dit que je resterai jusqu'à midi, le temps que la manager arrive.

Je me suis dit aussi que j'étais folle de partir comme ça, quand même, ça ne se fait pas.

J'ai ouvert l'un des frigos, aux joints bouffés par la moisissure.

Partir comme ça? Si, si, ça se fait. Circonstances exceptionnelles, en l'occurrence.

Deux clients sont entrés. Ils voulaient deux cafés au lait, à emporter. Je ne savais même pas où se rangent les gobelets. La classe. Je leur ai proposé de repasser, ou de consommer sur place.

Deux femmes se sont installées à leur tour. "Faites, faites", ai-je pensé, "mais ce sera sans moi."

Ma décision était prise. J'ai laissé en plan le frigo immonde, en prenant quand même soin de ranger les denrées au frais. Je suis allée ranger mes couteaux, mes douilles et même les épices que j'avais rapportées de la maison (!). J'attendais Albert.

Albert II n'est pas arrivé à l'heure prévue. Deux, trois minutes de retard, peu, mais trop pour que je reste indulgente.

Je l'ai accueilli sur la terrasse, en lui serrant la main.

"Bonjour, dites-moi, je vais vous agacer, vous allez m'agacer, je n'ai rien signé, alors il vaut mieux qu'on en reste là. Je suis vraiment désolée que ça finisse ainsi mais je ne vois pas d'autre issue. "
 
Il m'a répondu très sèchement, mettant fin à tout échange.

Il y avait toujours les clientes, qui n'étaient pas encore servies, mais peu importe, au lieu de s'en occuper, il a fini la terrasse, s'entêtant à placer ses tables et chaises dehors alors même que la pluie menaçait.

Je suis allée me changer dans les toilettes (les seules, les mêmes que celles des clients, hein), j'ai pris mes sacs et je lui ai rendu ses clés. Il a maugréé. Je lui ai dit "Bonne journée", je crois.
 
Je suis sortie, hagarde. Quelques mètres plus loin, un jeune homme est venu à ma rencontre, en tenue de jogging. Il m'a expliqué être perdu et a commencé à me balancer des noms de rue pour que je l'aide à retrouver son adresse. J'ai fini par lui dire que là, c'était juste le brouillard dans ma tête. Il a dû penser que j'étais une junkie.
 
Finalement, j'ai repris mes esprits et trouvé sa route.
 
La mienne reste indéfinie, mais j'avance la tête haute.

lundi 31 août 2015

Le règne d'Albert II

Bon, après toutes ces premières péripéties et ces coups de chaud, Albert II a fini par sentir le malaise. J'ai grogné à chaque fois qu'il m'a demandé d'alléger mes préparations, en termes de temps.
 
C'est sûr qu'à force d'ouvrir des bocaux et des sacs, il a dû perdre depuis longtemps la notion de ce qui est nécessaire pour laver, rincer, éplucher, tailler, mitonner...
 
Ah oui, j'oubliais, il cuisine à la maison.
 
Le même qui m'avait vanté les bienfaits du « fait maison » et sa volonté farouche de ne servir que du frais se fournit en priorité chez Promocash, où il a obtenu 20 %, quand même. Argument imparable, surtout quand se cache un Picsou sous la couverture du pseudo-artisan.

Il a râlé à son tour quand il s'est rendu compte que je rajoutais de la crème à ses œufs brouillés, histoire de les rendre un peu plus moelleux. Le monsieur est sorti de ses gonds. « A 2,83 euros le litre, je ne veux pas en mettre, le lait, c'est 70 centimes, ça suffit bien ! »

Peu importe qu'une cliente, visiblement habituée, soit venue me dire que « les œufs étaient vraiment bons, ce matin. » Ce qui compte, c'est le fric, le reste on s'en fout. On se fout des clients et on ne respecte pas les serveuses. Albert II m'a quand même expliqué qu'il ne voulait plus venir servir le dimanche parce que, franchement, c'était trop pénible.
 
Il appelle ses serveuses le matin pour qu'elles décalent leur planning et travaillent l'après-midi. Demande à une autre si elle n'accepterait pas de réduire son contrat d'une semaine. Refuse de payer les heures sup, d'autant que faire 40 minutes de plus tous les jours, ce n'est pas, justement, faire des heures sup...

Ah oui, il les filme, aussi. Il y a une caméra dans le restaurant et il peut espionner tout son monde, depuis son autre restau... Evidemment, ce léger détail n'est en aucun cas indiqué sur le contrat, ni spécifié auprès de la clientèle, filmée à son insu.
 
Autant vous dire que la moutarde commençait sérieusement à me monter au nez. Jeudi matin, j'ai ouvert toute seule. A 8 heures 30, les premiers clients sont arrivés, ils voulaient des petits dej. Je me suis rendue compte que je bloquais complètement sur cette idée, que je ne m'y ferai pas, jamais, que j'étais venue, alléchée par l'idée de cuisiner des plats maison et que j'allais me retrouver piégée dans une boîte à fric, qui fait ses 300 brunchs le dimanche mais sans aucune âme.
 
Quand il m'a appelée, depuis son autre restau, pour savoir si tout allait bien, j'ai lâché :
 
« Je n'y arriverai pas ».
 
Et puis, j'ai posé le combiné téléphonique à côté de moi. La serveuse, qui venait d'arriver à ma rescousse et qui courait déjà partout, m'a rejointe dans la cuisine. On a parlé. Indignée par ce qu'elle venait de me raconter – il ne tarit pas d'éloges sur sa vivacité mais refuse, trois minutes plus tard, de lui payer ses heures sup, parce qu'elle « n'est pas assez rapide » (!!) - je commence à baver sur lui. Je menace de le planter. Je me lâche totalement, à bout et on parle, pendant 30 minutes, toujours affairées.
 
Là, la serveuse me dit que Albert II l'appelle sur son portable. Affolé, il lui annonce qu'il ferme son restau et qu'il débarque dans deux minutes. Je ne comprends pas, je regarde le combiné que j'avais posé... sans raccrocher.

Bien, bien, bien...
 
Je vous laisse deviner la discussion musclée qui s'en est suivie. Plus de cdi, ça, j'avais déjà décliné, mais plus de cdd non plus. En mon for intérieur, j'ai senti un vrai soulagement. Et puis, quand même, un léger tiraillement. Car le projet restait envisageable (bon, ok, à condition de changer quelques légers détails) et l'ambiance est bonne entre nous, les filles, celles qui bossent et qui font tourner la boutique.
 
J'ai besoin de travailler. J'ai besoin de sous. Dans six mois, je suis en fin de droits. Alors, j'ai accepté un CDD de 2 mois, en espérant que ce ne soit pas encore trop. A deux jours d'y retourner, je continuais de douter sur l'intérêt même de remettre les pieds en cuisine là-bas. En même temps, je me suis dit que ça me ferait de la matière pour coucher ça, ensuite, sur le papier et m'en servir de base pour mon métier d'après...
 
Bref, quand j'ai ouvert le restaurant lundi matin, j'étais bien déterminée, armée de ma liste de recettes pour la semaine...
 
A suivre...

Albert II, Bertha et le mythe de la mariée trop belle

J'ai l'impression d'avoir passé quinze jours dans un shaker. Ou une machine, à l'essorage 1400 tours. Vous voyez le genre.

Secouée? Naaan, à peine.

Vendredi soir, j'ai achevé ma PSMPmachin, la convention que Popol met en place pour que tu puisses travailler en acceptant de taper dans tes allocs, dans une entreprise qui pourrait t'embaucher.

En l'occurrence, c'était le cas puisqu'à l'issue du contrat, il y avait un CDI. Le truc devenu presque virtuel ces dernières années, mais si...

Je crois que je serais capable de dresser un autel pour saluer la pertinence de ce protocole. Je brûlerais même un petit cierge pour l'employée de Popol qui, au téléphone, m'a conseillé de refuser le CDI, au vu de ce que je lui racontais. Sans elle, dans deux mois, je finissais tel Jack Nicholson dans Shining, sourire carnassier et pet au casque, totalement hystérique et dangereuse.

Et pourtant...

Souvenez-vous, j'étais plus heureuse encore qu'un gosse devant le sapin de Noël, qu'un gagnant du Loto, qu'une nana au régime qui aurait vu sa balance afficher -2, qu'un fan de NBA rencontrant Tony Parker.

Je n'ai pas dormi, la nuit précédant mon arrivée. Complètement excitée.

Même le lendemain matin, quand le boss - appelons-le Albert II, vous comprendrez plus tard - m'a prévenue que je ne serais jamais vraiment seule en cuisine (une souris avait décidé d'y fonder sa petite famille), je me suis sentie tellement chanceuse d'être ici, chef de cuisine de cet établissement, pour proposer une nouvelle carte, des suggestions à l'ardoise, de la "cuisine plus pointue"!

Bon, y'a dû avoir un espace temporel, un truc. Le soir même, je savais que ça allait être compliqué.

Cuisiner plus pointu, oui, d'accord, mais euh... enfin, c'est normal qu'il n'y ait qu'une plaque à induction? Que son fil d'alimentation soit rafistolé?

 

Finalement, une deuxième plaque était cachée au fond de la cuisine...
   
Deux fours, dont un qui ne ferme pas? Une seule casserole, une unique poêle, pas de chinois? Et les trous dans le plafond, là?

C'est la voisine du dessus qui, en cherchant son chat sur les toits (véridique!!), a rippé... J'attends le jour où il vraiment pleuvoir.
Vous me direz, ça fait une sortie d'air, vu qu'il n'y a pas d'extraction...

Euh, c'est normal de faire cuire les œufs au micro-ondes? Coque, brouillés, œufs durs, si, si, tout passe dans la machine infernale! Le jour où la mélancolie vous gagne, je vous jure, ça vaut le coup d'essayer. Si vous ne sortez pas votre œuf à temps, vous le verrez exploser, c'est rigolo.

Les œufs au micro-ondes? Ici, tout est possible!
Je ne vous parle pas de Bertha, cette coquine de souris (qu'on a fini par surnommer ainsi pour éviter de faire fuir toute la clientèle à coup de "Ah, la souriiiiiiiissss!!!"), qui est venue nous narguer à plusieurs reprises, se délestant de ses besoins naturels dans les assiettes, se préparant au marathon sur les postes de travail, chipant le parmesan qu'on avait posé en guise de piège...

Voilà, j'ai compris que le rêve avait pris un sacré plomb dans l'aile. Mais bon, rien ne changeait, après tout, j'étais là pour cuisiner, j'allais m'adapter.

 Au troisième jour, déterminée, j'émince mes oignons, puis fais revenir mes courgettes dans la fameuse poêle, lorsqu'Albert II débarque. Un œil sur la poêle, l'autre sur les fours.

"Pourquoi les deux fours sont-ils allumés?"

 Je lui montre mes tomates en train de confire, mais si, vous savez, c'est à basse température, très longtemps (j'ai réalisé à cet instant que la cuisson des tomates confites est le cauchemar de tout radin), alors que mes cakes, dans le four à côté, doivent cuire à 180°.

 Il élude, me montre la poêle, remplie, je vous le rappelle, d'oignons émincés et de courgettes, et lâche:

 "Par contre, faudra probablement simplifier les préparations à l'avenir."

...

Comment vous dire...

 Ce n'était que le début.

 J'ai vraiment compris mon malheur à J+4, lorsque j'ai ouvert seule le restau, avec toute la mise en place nécessaire (allumer tout, vitrines, musique, tutti quanti; sortir la terrasse; faire chauffer les viennoiseries; bref, rendre le tout opérationnel), ma suggestion du jour à préparer, mais surtout, ah ah, c'te bonne blague, les clients à servir.

 Si, si, prendre les commandes, leur faire leur petit café, mais pas que: leur servir des petits déj complets, aussi, et pis des brunchs, et pis...

Consciente de n'avoir que deux bras, j'ai en revanche eu la sensation que mes alertes se démultipliaient, au niveau du cerveau. C'est quand je me suis retrouvée devant la machine à café, incapable de m'en servir, que j'ai paniqué. Et compris que, vraiment, c'était du n'importe quoi.

 Ah oui, je ne vous ai pas précisé: il y a une bonne cinquantaine de couverts dans la salle, sans compter la terrasse.

 Je suis revenue en cuisine, j'ai aperçu Bertha, mais de toute façon, mes bras en étaient déjà tombés, alors...

 Alors, j'ai préparé les petits déj, les œufs brouillés au micro-ondes, toussa... Bon, en bonne rebelle, j'ai quand même fait les œufs durs et à la coque à l'ancienne, dans de l'eau, quoi, avec une feuille de salade dans l'assiette pour faire tenir le tout au moment de dresser l’œuf coque...

Lorsqu'Albert II est arrivé, la bouche en cœur, je fulminais. Lui, ne voyant rien, me demandait alors si, à tout hasard, je ne pourrais pas travailler ce week-end. En plus des cinq jours passés cette semaine, évidemment. Mais, grand seigneur, il m'offrirait deux jours de congés, les lundi et mardi suivants.

Bonne poire, j'ai cédé au départ. Et puis finalement, le lendemain, je lui ai dit que ce ne serait pas possible. On n'a pas vraiment le droit de bosser 7 jours de suite, paraît-il, et la convention Popol ne me l'autorisait pas, de toute façon.

Il en a été contrit, mais s'est résigné. Après, cherchant sans doute à atténuer mes petites poussées de rébellion, Albert II a tenté le tout pour le tout. Dès le début de deuxième semaine, il allait acheter du matériel que les filles en place réclamaient depuis des mois, juste parce que je l'avais demandé...

Lors de cette deuxième semaine, la manager a réussi à sortir Bertha de la cuisine et moi, quelques plats. J'ai même pu, ô exploit, prendre le temps de faire des tartes citron. Pas suffisant, néanmoins, pour dissiper mes doutes.
 
Il va sans dire que j'avais ramené de la maison douilles et poches, parce que le monsieur, il n'a pas ça en cuisine, même si ça fait 14 ans qu'il gère des restaurants, oh... (respect)

 
J'ai compris très rapidement que ce type était la copie conforme d'Albert. Contrôle absolu des choses et des gens, discours différent selon les personnes, manipulation... Mais le personnage a, en plus d'Albert Ier, cette méchanceté latente qui rend tout espoir vain.

Je ne me sens pas de faire la cuisine ET la salle (ce qui n'avait jamais été prévu, au passage) ?
- "Mais tu n'es qu'à 40% de ta productivité".

Et puis "Tu n'es pas rapide ni efficace."

Et puis, encore "Tu sais, j'ai regardé de nouveau ton CV, en fait, tu n'as fait que des stages, tu n'as jamais tenu de restaurant."

"Tu as bien de la chance qu'un restau comme celui-ci te propose un tel poste! Alors que tu n'as pas d'expérience!"

Et puis: "ça fait 14 ans que je fais ça, je sais ce que c'est, tu verras, dans un mois, tu en rigoleras."

J'ai cru entendre la cerise sur le gâteau, lorsqu'il m'a sorti:

"Tu sais, ce que tu fais en quatre heures, je peux largement le faire! Je fais de la cuisine, à la maison."

 Ah bah, effectivement, c'était l'argument imparable. Il a deux restaurants où il papillonne à longueur de journée et, imaginez, il cuisine à la maison. Là, je m'incline.

 Pourtant, il a atteint de nouveaux sommets, quelques jours plus tard. Albert II, qui ne sait visiblement pas faire une meringue italienne (en tout cas, il voulait me mettre du sucre dans mes blancs, alors qu'il faut faire un sirop. Bref), et qui n'a pas une seule poche à douille dans sa cuisine, a osé la phrase qui tue :

"Tu sais, ta tarte au citron, elle est très jolie, mais moi, je peux faire la même!"

Bah alors, qu'est-ce que je fais là, hein? Quelqu'un m'explique?

A suivre...

dimanche 16 août 2015

A table!

Alignement parfait... Attention, la mouette débarque!
 
Voilà. J'y suis. Je dois encore préparer ma tenue et mes couteaux mais la tête, elle, est prête.
 
Demain, lundi 17 août, je m'en vais jouer au "chef de cuisine" (n'y voyez aucune prétention, c'est simplement le titre sur le papier) (en fait, je serais chef de moi-même) (on est d'accord, c'est déjà pas mal).
 
C'est un vrai saut dans l'inconnu. Autant vous le dire: je suis excitée comme une petite puce!

jeudi 13 août 2015

Je veux être ce quelqu'un

 
Ceux qui traînent leur misère ici depuis des années connaissent la suite: fin du rêve, bricolage, remise des rêves dans la malle des soupirs, là- haut dans la caboche. Retour vers une réalité, celle de l'écriture dans de drôles de conditions, et puis burn out, et puis formation en cuisine, en pâtisserie, et puis rencontres, et puis diplômes et puis sourire, et puis un premier boulot, et puis...
 
"Mais tu vas faire quoi, après?"
 
...
 
Et puis... le vide?
 
Début août, pour la dernière fois, je suis sortie des vestiaires, j'ai  enfourché mon vélo et dit au revoir à ce laboratoire dans lequel rien n'était jamais tout à fait pareil, chaque jour. Presque trois semaines dans ce haut lieu de la pâtisserie nantaise et voilà que j'avais engrangé tellement que je me demandais bien ce que j'allais faire maintenant.
 
Souffler, peut-être?
 
J'ai un peu imaginé cela. Nous étions début août, la ville s'était vidé de ses habitants, il était peut-être temps de s'octroyer un répit.
 
Oui, mais. Je finissais samedi après-midi et, par la grâce d'un ami aux bons tuyaux (c'est déjà lui qui m'avait rencardée pour mon premier CDD!), je m'escrimais sur un tout nouveau CV dès le lundi soir. En effet, petit miracle, un restaurant, dont la cuisine et l'esprit étaient proches de ce que j'avais imaginés voilà donc des années, vous disais-je, cherchait "quelqu'un".
 
Quelqu'un? Soudain, toutes les pièces du puzzle se rassemblaient. Tout ce que j'avais vu, vécu, espéré, attendu, appris... Tout ça était juste posé là, comme sur un plateau et j'étais ce quelqu'un, j'en étais sûre. J'envoyais ma lettre le soir-même. Le restau allait m'appeler, il ne pouvait en être autrement.
 
Comment pouvais-je en être si certaine ? Tout collait, je vous dis. Et lorsque, dès le lendemain matin, le boss me demandait de l'appeler, c'était comme une évidence. Le pire, c'est que je vous l'écris sans arrogance. J'étais ce quelqu'un, c'est tout.
 
J'ai compris au fil de ces mois que la cuisine et la pâtisserie étaient à mes yeux des (jolis) prétextes à l'échange, au lien. Je n'ai jamais tant aimé me mettre derrière les fourneaux que pour mieux partager, ensuite. D'un coup, un poste est créé, où il s'agit de mitonner des plats maison, simples, goûteux, sans prétention. Où il s'agit, aussi, de pâtisser, pour des goûters gourmands et des clients pas (forcément) pressés, heureux de s'installer dans un lieu qui a une âme, et pas juste des assiettes.
 
Après une première discussion téléphonique, nous nous sommes rencontrés, le boss et moi. J'ai senti cette même évidence.
 
Lundi prochain, je démarre, à l'essai pour quinze jours. Ensuite, si tout va bien, c'est le début d'une aventure que j'espère belle et généreuse, équilibrée et gourmande.
 
Jamais été aussi contente de ne pas partir en vacances, tiens...
 

dimanche 26 juillet 2015

Le rêve et la réalité

Sentiment incroyable que je ressens, lorsque j'enfourche mon vélo au petit matin. Cette impression d'être seule au monde. Enfin, presque.
 
Je quitte la maison endormie et la rue ne trahit pas non plus le moindre murmure. Seul mouvement de vie, ces ombres furtives que je croise et qui rejoignent les fossés au moment où mes roues s'approchent d'elles sur le bitume. Des chats, des lapins, peut-être des rats (mais j'aime autant faire comme si c'était autre chose).
 
Et puis il y a le cri des mouettes, oui, à 5 heures et des poussières, qui continue de me surprendre, à cinquante kilomètres de la côte. Je les regarde, elles volent au dessus de ma tête et j'imagine qu'elles m'accompagnent jusqu'à ce domaine où je travaille maintenant depuis près de deux semaines.
 
Vision poétique avant l'entrée dans le dur.
 
Après dix jours passés dans le labo, j'ai enfin une vision concrète de ce métier de pâtissier, ainsi exercé, dans sa conception la plus noble, j'imagine, mais aussi la plus laborieuse.
 
J'avais déjà eu une vision de l'envers du décor voilà quelques mois, mais dans le cadre d'un stage et au sein d'une grosse entreprise. Je n'étais qu'une observatrice - qui travaillait, oui, mais sans véritablement mettre la main à la pâte - là où je deviens désormais actrice de ce tourbillon.
 
Là, nous sommes sept - chocolatiers et boulanger compris - et nous ne ménageons pas notre peine, chacun, pour sortir chaque jour des entremets, tartes et autres tueries qui se doivent être parfaits.
 
Le genre de caisses qu'on envoie, le matin...
Où comment vivre un casse-tête pour aligner correctement les fraises sur une pâte sucrée.
 
 
Ici, pas d'approximation, la moindre imprécision est visible et immédiatement repérée. On chasse le temps perdu, les gestes lents, les mauvaises positions. On économise ses pas et on les multiplie en même temps, sans courir.
 
La journée commence tôt, oui, mais aucune ne ressemble vraiment à l'autre. A chaque jour ses surprises. Je vous passe mes premières questions - pour savoir où on range quoi, dans quel micro-espace de la réserve on trouve le stab ou le mono - mes premières boulettes, mes premières sensations d'être là comme un éléphant dans un magasin de porcelaine...
 
Ah si, quand même, je me dois de partager avec vous ce grand moment de solitude lorsque, un matin, je suis arrivée en robe pour constater, une fois dans les vestiaires, que j'avais laissé mon pantalon de travail sécher dans le salon... J'en ai été quitte pour un aller-retour express en vélo, à effrayer plus que jamais ces formes auxquelles je me suis attachée, affolées par le tracé de cette dégénérée essoufflée.
 
J'en ai été quitte, aussi, pour cette image de gaffeuse que j'aimerais tenter d'estomper.
 
Un jour, peut-être, un jour.
 
Le changement de rythme, les incertitudes, les nouvelles habitudes à prendre très vite, les couchers et les levers prématurés... J'avoue que je me suis sentie déstabilisée au terme de mes premiers jours. J'ai songé plus que jamais au gouffre entre le rêve à la réalité.
 
Le rêve ? Pâtisser toute la journée et créer des merveilles.
 
La réalité? Enchaîner les gaffes, accepter la pression, aller plus vite que la musique et se finir, suintant, à la raclette.
 
Ah, et éviter les chiens de garde du manoir, qui vous coursent à 4 heures du mat', le samedi, votre vélo et vous...
 
Il n'y a pas eu de révélation à proprement parler. Pour l'avoir un peu vécu, je savais à quoi m'attendre. N'empêche qu'il faut le vivre pour réaliser à quel point le métier est exigeant, prenant et rédhibitoire pour qui n'est pas réellement passionné.
 
...
 
Et puis, j'ai pris le pli, me suis accordé un peu d'indulgence. Surtout, j'ai accepté l'idée que cette étape d'adaptation était obligatoire, que je ne travaillerai pas toute ma (nouvelle) vie dans un labo mais que cette expérience était juste très précieuse pour envisager la suite.
 
J'apprends chaque jour. La confiance en moi me fait toujours défaut, évidemment, mais je ne suis plus effrayée par certains gestes qui me tétanisaient auparavant. Je fais, j'agis, j'écoute sans doute davantage mes collègues - j'ai de la chance, je suis très bien tombée. Ah oui, je continue de me brûler régulièrement (deux belles cloques aux doigts depuis que j'ai glacé des choux hier, j'adore), mais je mesure les (petits) progrès accomplis, comme des petits pas vers un avenir où, enfin, je ne me considèrerai plus comme une petite chose.
 
On est d'accord, y'a encore du boulot, mais enfin, ça me fait un joli programme à suivre...

mercredi 15 juillet 2015

Le champ des possibles

Dimanche, je jouais au commis, en plein air, dans le cadre d'un événement organisé par "Le Voyage à Nantes." Cela s'appelait "le champ des producteurs." L'occasion de retrouver quelques personnes déjà croisées récemment, et de s'amuser à jouer les petites mains pour des chefs.
 
L'idée était simple et géniale: autour d'un site verdoyant, les gens venaient faire leur marché auprès de fournisseurs souvent plus habitués aux restaurateurs qu'au grand public. Ils s'inscrivaient et quand venait leur tour, ils déballaient leur course sur le devant du tipi. Mission du chef: mitonner en un quart d'heure un plat pour deux personnes avec les ingrédients choisis !
 
Il y a parfois eu du sport, des sourires jaunes et quelques oreilles grattées. Il y a eu, par exemple, ce moment de solitude, quand une femme a présenté son fenouil, sa rhubarbe et son gingembre. Va créer un plat harmonieux avec autant de saveurs si différentes et fortes! Pourtant, chaque chef a relevé le défi, chacun assurant deux heures de service, avant de céder sa place à un autre.
 
J'ai eu de la chance, beaucoup de chance. Pour débuter le bal, j'ai retrouvé le chef roi de l'improvisation et la chefette. Autant dire que pour lui qui a fait des menus mystère sa spécialité, c'était tranquille. J'ai eu l'impression de voir des assiettes de son restaurant, là, comme ça, en quelques minutes, comme si de rien n'était.
 
Et en plus, il prend la pose et le temps de se marrer!!
 
 
A ce niveau, c'est de l'art. Je crois que je ne serais jamais blasée.
 
Ensuite, j'ai fait la connaissance d'autres magiciens tout au long de la journée. Ils ont tous joué le jeu et j'ai pu mettre la main à la pâte, sans juste me contenter d'observer (même si le spectacle suffisait en soi, on est d'accord). J'ai désarrêté à la main des filets de poisson, détaillé, coupé en brunoise des légumes de toutes les couleurs, effeuillé du basilic thaï, ciselé mille herbes et, cerise sur le gâteau, levé des filets de bar. OK, j'étais un rien fébrile, tout de même, parce que je le faisais pour un chef doublement étoilé. Oui, rien que ça.
 
Normalement, c'est pas le commis qui bosse sous l'œil du chef? Quand on a un double étoilé qui vient s'amuser, on savoure, les amis, on savoure...
 
 
Je vous explique pas, avec les autres commis, on raclait la moindre de ses poêles avant qu'elle parte à la plonge... Et sans aucune vergogne, qui plus est. On a ri de notre gourmandise, de cette complicité instantanée qui se dégageait de notre équipe, de cette journée folle et joyeuse où, soudain, tout vous paraît possible.
 
L'équipe de choc. Ou comment savoir, dès le début, que ça va marcher.
 
 
Au delà du talent de ces chefs, on a lu dans leurs gestes la passion, l'envie de partager, de vivre.
 
Oui, ce dimanche, j'ai senti à quel point la cuisine me nourrissait. Dans tous les sens du terme.

jeudi 9 juillet 2015

On dirait que je serais pâtissière...

Mardi soir, vous disais-je, mes pieds avaient poussé et j'étais tellement épuisée que j'ai sombré devant "qui sera le meilleur pâtissier". Pour conclure le tableau ô combien glamour, je me suis couchée, telle une loque, avec l'impression d'avoir avalé une plaquette de somnifères tellement j'étais dans les vapes.
 
Pff, les émotions, ça use.
 
Il faut dire aussi qu'après m'être couchée à 7h du mat' samedi matin, je bouleversais un rien mon horloge en me levant à 5h mardi. Que voulez-vous, à 40 piges, on fait moins la maligne quand il s'agit de sommeil, cette chose précieuse que je chéris.
 
A 6 heures, mardi, j'étais donc en poste pour effectuer mon essai. A la clé, un premier CDD de 15 jours pour une pâtisserie renommée de Nantes. Autant vous dire que, sommeil ou pas, peu importe, j'étais concentrée pour convaincre mon potentiel responsable que oui, il devait absolument me prendre.
 
Forcément, lorsqu'il m'a dit "au revoir" au terme de la journée, en ajoutant, stoïquement, "on te rappellera", j'ai un peu douté.
 
Mince, pourtant, la journée s'était bien passée, pas de boulette à signaler, aucune coupure ni brûlure, j'avais rangé mon Gaston Lagaffe à l'intérieur pour pas qu'il sorte et, cerise sur le gâteau, j'avais appris plein de choses en une seule journée!
 
Mais voilà, syndrome de l'imposture aidant, je me suis dit qu'il avait dû voir que je n'étais pas à la hauteur, mais qu' est-ce que je croyais aussi, hein, et puis en plus, vu que les résultats du CAP n'arrivaient pas, j'ai songé que la journée allait vraiment être pourrie: pas de diplôme, pas de boulot et... plus de mec, tiens, puisque Clark, lassé de mes propres impatiences, frisait l'apoplexie.
 
Bon, le lendemain, Clark me réveillait d'un "bonjour la pâtissière" et la boss de l'établissement m'appelait pour me proposer de commencer le CDD mercredi prochain.
 
...
 
Heureusement que je suis habituée aux montagnes russes, hein. Mon petit cœur pourrait finir par s'emballer, à force...

mardi 7 juillet 2015

Le diplôme tant attendu...

J'avais les pieds qui poussaient, en rentrant ce soir de ma journée d'essai. Mais avant de sombrer, j'avais besoin de savoir, enfin. Mes brioches allaient-elles m'être fatales? Allais-je devoir repasser par une année pleine, avant de tenter de nouveau le CAP? Le pari était quand même très osé, de passer ce diplôme en trois mois.
 
Les résultats n'arrivaient pas. A 17 heures et des poussières, avec Clark, nous sommes même allés au centre d'examen pour voir les résultats. Rien d'affiché. Rrrrrrrr.
 
Et puis, d'un coup, la délivrance, sur le net. Et ces cinq lettres: ADMIS.
 
Ce soir, je suis officiellement pâtissière. Je vous dis pas, je ne me sens plus.
 
C'est peut-être la fatigue, aussi, remarquez. Dix heures dans un labo, en se levant à 5 heures, ça pique.
 
Quoi? Quoi? Ah, on me dit que c'est le quotidien du pâtissier, vous savez, le titulaire du diplôme que je suis allée chercher.
 
Ah bah oui, c'est vrai.

lundi 6 juillet 2015

Quand je suçais mon pouce (et autres histoires de sorcière)

J'avais 6 ans. Avec mes parents et ma sœur, nous étions en Normandie, où nous avions de la famille. Totalement insouciante, j'adorais courir après les poules et ramasser leurs œufs, avec, aux pieds, ces bottes que je ne mettais jamais dans mon quotidien.
 
Il faut dire que nous étions plutôt des citadins, à la maison. Nous avions passé les premières années de ma vie à Paris, nous venions d'arriver à Nantes... Alors, à chaque fois que nous arrivions dans cette ferme à Condé-sur-Noireau, j'avais en tête ce refrain que j'adorais, "on dirait que ça t'gêne de marcher dans la boue" de la chanson de Michel Delpech, "Le Loir et Cher".
 
De fait, je me sentais à la fois libre pour courir dans les pâturages et un rien intimidée par l'ambiance rurale, austère et en même temps décomplexée, les visages très ridés que l'on croisait (la famille en question était la sœur aînée de ma grand-mère, et son mari), les échanges et les regards parfois rudes. Du coup, dans cet entre-deux, du haut de mes 6 ans, je suçais plus que jamais mon pouce, cherchant du réconfort dans un environnement ni hostile, certes, ni vraiment rassurant.
 
Un jour, alors que nous étions chez une vieille dame qui me faisait penser à une sorcière, j'ai eu un choc. Cette dernière, me voyant mettre ce pouce à la bouche, me regarda sévèrement. Elle s'approcha de moi et me raconta une histoire. Celle de ce petit garçon qui, comme moi, avait pris cette sale habitude et à qui, m'assura-t-elle, on finit par couper le doigt.
 
Ma réaction fut immédiate. J'enlevais mon pouce de la bouche et je ne le remis plus jamais.
 
Je n'avais pas mesuré les conséquences d'un tel sevrage et de sa brusquerie. Parce que ce pouce, il me rassurait. Or, je suis de ces personnes qui ont constamment besoin d'être rassurées. Je vous jure, ça me tue, ça tue mon entourage, aussi. Mais qu' est-ce que j'y peux?
 
Travailler ma caboche?
 
Hum, oui, bon, d'accord. Mais sinon? Sucer mon pouce? (la sorcière était une mytho, mais j'ai un peu patiné avant de comprendre que mon doigt ne craignait rien, c'te blague). Depuis ce jour où j'ai craint l'amputation, j'ai dû trouver nombre de substituts pour me rassurer.
 
Une bonne façon de faire un banc d'essai de toutes les saletés de maladies qui traînent, du genre anorexie, boulimie, compulsion acheteuse...
 
Je vous rassure, aujourd'hui, j'ai grandi. Marre de maltraiter mon corps et mon compte bancaire, entre autres. Alors, lorsque j'ai besoin d'être rassurée, j'essaie de le faire de façon rationnelle, en réfléchissant le plus posément possible, en cherchant des solutions concrètes ou... en allant faire du sport (je suis tellement fatiguée et détendue après que tout finit par glisser).
 
Mince, je réalise que je deviens raisonnable. Limite chiante. Pffff...
 
Pourquoi je vous parle de ça? Parce que je me rends compte, ces derniers jours, de cette ambivalence que je vis. Mon besoin d'être rassurée est toujours présent, d'un côté. Mais je me sens aussi exaltée par toutes les surprises que je rencontre, ces derniers jours, et je ne me suis jamais sentie aussi vivante que lorsque j'affronte l'inconnu, avec son lot d'incertitudes.
 
Un exemple?
 
Eh bien, demain matin, à 6 heures, je démarrerai ainsi une journée qui s'annonce agitée et, je l'espère, joyeuse. Avant les résultats du CAP, que je découvrirai dans l'après-midi, j'aurais passé un essai chez un pâtissier renommé pour, peut-être, y travailler cet été.
 
Je n'ai aucune idée de la façon dont ça va se passer. Mais, vous savez quoi? Je suis sûre que, loin des angoisses et de la peur qui m'ont trop longtemps envahie, je n'aurai cette fois aucune envie de sucer mon pouce, tant ce rythme haletant me porte et m'emporte.

dimanche 5 juillet 2015

Nuit blanche en tenue noire

5 heures et des poussières, samedi matin. Je quitte l'école d'architecture et m'en vais chercher l'un des premiers trams de la journée. Je regrette d'avoir mis cette robe, hier soir, au moment où je croise les dames du plus vieux métier du monde. Faudrait pas qu'on me confonde avec une fille de petite vertu, hein, j'ai fini ma nuit, les gars, et j'irais bien me coucher maintenant, sans encombres si possible.
 
Je me sens toute bizarre, en franchissant la Loire. L'impression d'avoir vécu un truc fort mais fugace, un peu exceptionnel.
 
Il y a moins de huit heures, commis, poinçonneurs, serveurs, nous écoutions tous les instructions de "Gigi", la maîtresse d'œuvre de cette soirée à part. Ce soir, pour le lancement de la nouvelle saison du Voyage à Nantes - événement culturel qui a lieu chaque été dans la ville - 30 chefs étaient conviés pour proposer "le service du Van", de... minuit à 4 heures du matin. Un truc un peu dingue qui nous laissait tous dans l'inconnu, Gigi y compris. Sans nier que ça allait être chaud, elle nous laissait avec un "de toute façon, si ça se passe mal, on se casse!"
 
 
Le calme avant la tempête...
 
On savait tous que nous irions jusqu'au bout, sinon c'est pas drôle. En tenue de combat - comprenez ma veste et mon pantalon noirs, parfaits en cas de canicule pour perdre des litre de sueur - les cinq commis que nous étions avons donc attendu l'arrivée des chefs à notre pôle. J'avais choisi le "chaud". Notre mission? Dresser les assiettes pour 500 premiers couverts dès minuit, sachant que 1500 convives étaient espérés au bout de la nuit.
 
500 couverts en une heure? Soit 9 secondes par assiette, s'amusait alors à calculer une proche d'un chef. Pas si compliqué avec trois éléments dans le plat, un peu plus chaud dès lors que sont arrivés les premiers pickles, radis émincés et autres sauces multicolores.
 
Alors, on a attendu la grosse vague, on a dressé, trop vite, jusqu'à devoir remettre en étuve les assiettes refroidies. Et puis, soudain, le rush, les gens qui arrivent comme un raz de marée et le mode automatique, où chacun, concentré et précis, se met à dresser sans discontinuer. Ah, ce shoot d'adrénaline!
 
Il y a eu le premier chef, le deuxième, le troisième... Chacun offrant une assiette juste parfaite, sous l'œil attentif de leurs confrères, l'un ayant fini donnant un coup de main au suivant, l'autre nous indiquant de mettre LA feuille de basilic pile à cet endroit, cet autre nous rappelant de gérer le stock d'oignons confits...
 
Et puis, un moment, une personne qui dit "stop", parce que le flux s'est ralenti et que si l'on continue de dresser, on va être bon pour tout remettre au chaud. Et puis le doute. Et si nous n'avions pas les 1500 couverts attendus? Et si tous les chefs ne pouvaient pas servir leur assiette?
 
Au final, on aura vécu une nuit un peu hors du temps, une sorte de tourbillon intense et chaleureux, avec des moments de répit inattendus, le temps de régaler ses papilles. C'est même avec un verre à la main qu'on a dressé les dernières assiettes.

On a eu des "mercis", des sourires, deux, trois brefs éclats de voix, des rigolades, l'impression de faire partie d'une équipe extra. Et quand, à 5 heures du matin, on s'est mis à boire le Muscadet au goulot, j'ai eu l'impression d'avoir 20 ans et toute la vie devant moi.
 
Bref, j'ai été commis pour le Voyage à Nantes.