lundi 2 novembre 2020

Créer ou crever

 Vous allez me prendre pour une folle - en même temps, que celui qui n'a pas pété un câble au moins une fois en 2020 m'asperge de gel hydroalcoolique - mais je sentirais presque une forme de nostalgie. Au Printemps, c'était inédit, un peu effrayant, certes, mais une forme de frisson nous traversait l'échine à chaque fois que l'on osait mettre le nez dehors. Ces grandes allées désertes, ce ciel bleu, le chant des oiseaux, le silence, tout ça était incroyablement beau et poignant.

Oh, évidemment, la situation était difficile et je me souviens des visages marqués, à l'hôpital. Je n'oublie pas non plus mes propres inquiétudes, relatives à mon entreprise, ni la fatigue que le covid m'avait léguée, très généreusement.

Mais il y avait de l'humanité. De la bienveillance, de la solidarité, un élan de générosité qui rassurait. Notre monde se transformerait peut-être, après ça. Il allait y avoir des prises de conscience, une envie de ralentir la cadence, d'écouter davantage la nature. Ca n'allait pas être tout rose, non, mais on espérait un après-covid. Un monde où chacun écouterait l'autre, le prendrait en considération, le laisserait exister.

Excusez-moi, j'avais dû bouffer un bisounours, quand j'ai pensé ça. Je n'étais pas seule, on mâchait tous de l'utopie en barre, on était nombreux à imaginer la béatitude persister au delà de la pandémie.

Parce que clairement, là, la bienveillance, la générosité, la solidarité, l'entraide, toussa toussa, pffff... Tout ça a été rangé dans un placard dont on a jeté la clé. Et vas-y que je râle après tout, que je me révolte sans bouger le petit orteil. Que j'incendie l'Etat pour son inconséquence à propos des masques mais que je mette le feu-Graal bleu en tissu sous le nez "parce que c'est trop dur de respirer avec". Ben oui. Le masque, ça pue la couche pour bébé, ça t'oblige à ouvrir la bouche plus que de raison, comme un chien qui chercherait de l'air après une course à l'os. C'est chiant, clairement. Et?

Perso, si ça doit permettre de nous protéger, je prends mon mal en patience. Bon, visiblement, ça ne nous a pas suffi et à l'heure de la deuxième vague, tellement redoutée et aussi bien préparée (le sarcasme, tu sors), le masque a au moins le mérite de cacher les lèvres serrées, les visages crispés - et les boutons qu'il engendre, au passage. Il agit aussi comme une arme de défense. Avec, la peur se dissipe. Et puis, honnêtement, le masque, c'est vachement pratique contre les postillons.

Mais c'est vrai, je ne suis pas fâchée de rester chez moi, parfois, pour faire comme si de rien n'était. Le bonheur suprême, ça reste de se parer de sa plus belle tenue. Je me suis payé ce luxe, ce matin, en enfilant mon armure. Comprenez que c'était la fête du pilou. Oh, je vous vois venir, vous allez me prévenir des méfaits du jogging sur la décence en général, et les capitons en particulier. Mais loin de me laisser aller, j'avais au contraire réfléchi à ma stratégie - tu crées ou tu crèves. Comme j'ai moyen envie de crever, rapport qu'entre deux confinements, j'aimerais bien revoir mes proches et revivre cette incroyable sensation que la liberté nous apporte, j'ai créé. Autant le faire à l'aise, non?

J'avoue, c'est plus constructif que d'enfourcher Arthur et moins déprimant que de passer sa journée à se lamenter sous son plaid. Et surtout, ça permet d'oublier les incohérences actuelles. Sortez dans la rue, rentrez dans un supermarché ou même, traversez une rue piétonne, vous vous ferez la même réflexion: il est où, le bon gros effort de confinement? Tout le monde vaque à ses occupations, lui le boulot, elle l'école, cet autre qui fait ses courses, et elle son footing. Chacun aura sa justification, son excuse. Pourtant, chaque fois que je remplis mon attestation - quatre fois par jour a minima, boulot oblige - je me souviens avec une nostalgie tout à fait légitime, cette fois, du temps où on sortait le nez à l'air sans se poser de questions.

Pour l'instant, je n'ai même pas tenté le tour de pâté de maison - trop occupée, un comble - mais sincèrement, combien de temps on va pouvoir supporter ça sans péter un câble?

Finalement, ça a du bon, l'expérience, même si ça génère toujours des comparaisons avec un temps que l'on regrette, parce qu'il est passé, évidemment, parce qu'on l'a idéalisé, sans doute. Aujourd'hui, on a un peu l'expérience d'un confinement, de cette privation de liberté qui nous semblait - globalement, à quelques exceptions près - difficile mais parfaitement pragmatique au printemps, qui l'est peut-être encore aujourd'hui mais qui, chaque jour, grignote notre équilibre intérieur.

Attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. S'il faut concéder un effort collectif, je ferais le parfait petit soldat. Mais expliquez-moi juste pourquoi on ne peut pas se balader à plus d'un kilomètre de chez soi (j'ai regardé le rayon. C'est ce qui, je crois, m'a découragée, tant les perspectives sont maigres) tandis qu'il est parfaitement possible de s'attrouper dans un bus, une cour de lycée ou dans les rayons de supermarché. Ce que j'écris est digne du café du commerce - RIP les cafés. RIP les commerces aussi, d'ailleurs, soit dit en passant - j'en ai parfaitement conscience mais j'ai l'impression d'avoir loupé un épisode. Et je ne cesse de me poser la question: à qui profite le crime?

Sincèrement, la situation est plus opaque que les collants que j'ai lâchement achetés ce soir, à l'arrache, je l'avoue. Avec une mauvaise conscience certaine, mais la satisfaction d'avoir autre chose que du tissu filé sur les jambes.

On sait jamais, peut-être viendra le jour où on pourra enfiler une robe et sortir pour de vrai. On peut rêver, non?

jeudi 29 octobre 2020

C'est reparti pour un tour (5 conseils pour survivre)

 Eh bien voilà, nous y sommes. Le confinement, deuxième épisode, est imminent, officiellement lancé à minuit ce soir. Forcément, on a un mini-vécu dont nous étions dépourvus, en mars dernier, et de quoi nous donner envie d'en profiter un maximum avec le couperet.

Pourtant, soyons raisonnables: on n'a pas vraiment le temps d'aller piquer une tête, manger une glace et lézarder au soleil, winter is coming et on fait moins les malins. Dès les premières fuites, bien orchestrées, de l'Elysée, j'ai pensé à ma façon de mieux vivre ce confinement. Voilà mes cinq petits conseils.

1- Sourire

Euh, hein, quoi? Je suis la première à me lamenter, j'ai le trouillomètre à fond pour le sort de ma petite entreprise et pourtant, j'insiste: sourions. Ce truc que nous vivons est tel que l'on peut au moins s'offrir ce petit luxe, sorte de pied-de-nez à la morosité ambiante - tellement logique. Et puis vu que l'on va rester plus que de raison chez nous, on pourra retirer notre masque et faire profiter à notre chat de notre plus joli rictus, pardon, sourire.

2 - Manger 

Euh, hein, quoi? J'ai pris 5kg dans les trois premières semaines de confinement, que  j'ai eu toutes les peines du monde à perdre, et je vous dis de manger? Oui. Mais bien manger. Faites-vous plaisir, mais rappelez-vous qu'un kilo pris en deux secondes = deux mois pour le dégager de là. Je viens d'en faire la cruelle expérience. Au moment où je me déleste péniblement du dernier, voilà que l'on nous reconfine. Les bons petits plats chauds de réconfort, oui, mais de loin.

3- Sortir

Euh, hein, quoi? Le principe du confinement n'est-il pas de rester justement chez soi et de ne pas sortir? Oui, bien sûr. N'empêche que la respiration d'une heure dont je me suis privé au printemps dernier, sous prétexte qu'on me dit de ne pas sortir, eh bien, cette fois, je vais la prendre, histoire d'éviter un nouveau carnage mental à la maison et dans ma tête. Oh, j'irai pas bien loin, évidemment. Mais un poil hors de mes murs, pour se souvenir de la réalité de la nature - et pour quitter mon jogging informe quelques minutes.

4 - Travailler

Euh, hein, quoi? Oui, c'est pas comme si je travaillais dans l'événementiel et que tout avait été annulé. Je vais bosser, autrement, forcément, mais je garde la boutique ouverte et l'espoir que les gens y entrent. Je crois que j'avais peur, en mars dernier, de choper le virus partout. On a appris à vivre avec, me semble-t-il, et puis, de toute façon, de nouveaux mois à zéro de chiffre d'affaires signeraient la fin de ma petite entreprise.

5 - Dormir

Euh, hein, quoi? Les nuits ne te suffisent plus? Disons que si les nuits ne sont plus entrecoupées d'immenses plages de solitude interne, ce sera parfait et peut-être suffisant, effectivement, pour restaurer corps et esprit. Mais là, j'ai un petit déficit de bon gros sommeil qu'il me tarde de combler.

Vous le voyez, rien de bien exceptionnel, je ne prends pas des résolutions de malade. J'essaie juste de rester pragmatique, de vivre, certes sans beaucoup de projet, mais de vivre, en attendant... En attendant quoi? Qui a cru que ça allait redevenir normal? Plus personne n'est surpris de voir des armadas de masqués dans les rues ou de se coller à chaque magasin du gel qui colle dans les mains. On s'habitue (presque) à tout. On n'est jamais content mais n'empêche, parfois, on a juste envie de retrouver nos vies d'avant. Celles où on n'avait pas besoin d'attestations pour sortir, celles où on pouvait se faire des hugs de fou juste parce qu'on en avait l'envie. Celles où on pouvait juste prendre la voiture et filer, droit devant, avec le sentiment incroyable de la liberté retrouvée.

Allez, haut les coeurs, c'est reparti pour un tour et la bonne nouvelle, c'est qu'il y aura toujours matière à rire.

Si, si.


dimanche 10 mai 2020

55 jours

Hier matin, je me suis réveillée avec le pouce droit rouge et douloureux. Vous me direz, c'est pas comme si j'étais droitière, si je reprenais le boulot la semaine prochaine, et que j'avais un travail manuel.

Le truc, c'est que si, justement. Donc, le panaris, t'es gentil, mais tu dégages.

Comme j'avais un peu peur, en vrai, je lui ai parlé gentiment. Je l'ai trempé dans son petit verre de dakin et puis je suis partie à la pharmacie. Ni une ni deux (enfin, façon de parler, hein : si l'on passe la désormais traditionnelle file d'attente dans un silence terrifiant et la progression lente jusqu'au comptoir), j'ai eu le traitement nécessaire. J'étais déjà prête à dégainer ma sans-contact quand le monsieur m'a expliqué l'origine des panaris et m'a demandé: "Vous prenez des vitamines? Faites une cure de Berocca parce que vous devez être fatiguée".

Fatiguée. Comment dire. Voilà deux mois que je ne travaille plus, que mon corps ramolli l'a bien senti, que je dors (mal, certes) et récupère un déficit de sommeil important à coups de levers tardifs, que je prends le temps de ranger toutes mes affaires, à un rythme qu'un escargot ne renierait pas... et je serais fatiguée?

Sur le moment, j'ai trouvé ça cocasse. Mais finalement, j'ai l'impression d'avoir travaillé plus que prévu durant cette drôle de période. Moi qui rêvais de vrai chilling depuis longtemps, à coups de séquence canapé-plaid-séries-cerveau à zéro activité, j'ai l'impression de ne pas en avoir eu le temps! N'est-ce pas un comble d'avoir vu défiler aussi vite ces jours censés être vidés de toute substance?

Au contraire, le confinement m'aura paru d'une grande richesse. Bon, riche dans les assiettes, si j'en crois le gras qui s'est collé sur mon auguste personne... Mais riche humainement parlant, aussi.

J'ai en mémoire tous ces regards souriants (si, si, un regard peut sourire) (quelques mois tous masqués et on en sera tous convaincu), ces moments d'émotion dans un hall vide de CHU, ces larmes coulant toutes seules à la vue de gestes solidaires forts. Ces dons, de part et d'autre, dons de matériel, dons de temps, dons de soi. Je me souviens déjà, comme si c'était loin et proche à la fois, de ces dimanches passés à pâtisser pour les autres, de ces journées pleines où l'on doit prendre son cahier pour noter les priorités et être sûre de ne rien oublier. Ces conversations à rallonge avec les gens que l'on aime, mais aussi avec des interlocuteurs habituellement moins diserts, tantôt le monsieur de l'assurance, tantôt la dame de la banque ou de la compta, que l'on sent au bout du fil fragilisés, eux aussi. Je pense aussi à tous ces moments passés devant des conférences d'inconnus, tantôt passionnants, tantôt soporifiques, mais avec cette même envie de partager, de transmettre et de se tenir les coudes (enfin, de loin, hein, pas touche, les gens).

55 jours de vie entre parenthèses. Ou presque.

Que nous restera-t-il de cette période, dans un an, dans cinq ans, à la fin de notre vie? Qu'avons-nous appris? Que nous étions mortels? Nous le savions déjà. Pourtant, nous continuons à faire les mêmes conneries.

Les images fortes de ces rues vides, de la gravité ambiante, le chant si puissant des oiseaux, tout ça va sans doute se dissiper, au fur et à mesure. J'aimerais en dire autant de la bouée qui s'est incrustée autour de ma taille, d'autant qu'elle ne me servira pas cet été - j'irai pas nager.

La quête du Graal
Je crois, au fond, qu'il est trop tôt pour refermer cette sorte de parenthèse dans nos vies. Nous aimerions tous, j'imagine, repartir, peut-être pas comme avant - merci l'éveil des consciences - mais vivre de nouveau notre liberté d'aller et venir (sans attestation!), de travailler d'exister, tout simplement en étant plus humains, plus sensibles, plus ouverts. Sans doute à l'instar des personnes qui reviennent d'un voyage initiatique et dont la vision du monde aurait été transformée.

 La différence, c'est que si ces personnes posent un nouveau regard sur le monde qu'elles connaissent, pour nous, ce monde - que nous connaissons pourtant tellement, croyons-nous - devient un peu inconnu. Qui saurait dire ce qui va se passer ensuite?

Ah si, y'a une chose dont on peut être quasi-sûr: les bouquins relatant le confinement vont pulluler. Les films, aussi, les chansons, tous les champs d'expression artistique étrangement bâillonnés par le covid et qui pourront de nouveau embellir (ou pas) nos vies. Je serai ravie de retrouver les amis, mais j'avoue le manque de ces à-côtés, les restaus, les sorties au ciné, ce qui me fait dire, une fois encore, que la parenthèse n'est pas totalement refermée. Et qui plus est avec cette limitation de nos déplacements, qui bride pas mal nos envies d'évasion.

Finalement, c'est drôle. J'ai envie de profiter de nouveau de ces plaisirs et en même temps, je me demande si cette effervescence revenue sera signe de joie. En attendant, je vais profiter de cette étrange accalmie pour enfourcher Arthur plus que de raison, histoire d'être au taquet quand nous pourrons simplement piquer une tête dans l'océan.

Piquer une tête dans l'océan? Oui, je sais, j'ai des rêves un peu fous.

mercredi 6 mai 2020

Balance ton monde

La journée a bien commencé: mon chat s'est approché à quelques millimètres de moi, alors que j'étais encore au lit et... m'a éternué au visage.

Le bonheur.

Rien à dire, ça présageait une bonne journée. J'ai eu du mal à me rendormir, alors, je me suis massé le ventre. Un poil plus plat qu'il y a peu. De quoi me rassurer, après les craintes ces dernières semaines. Oui, avant l'arrivée d'Arthur, mon fidèle allié, mon destrier, j'avais senti comme un corps extérieur s'immiscer sur mes hanches. Comme une bouée, vous voyez le genre.


L'un des pièges du confinement. On ne voit pas grand-chose? C'est pour éviter une tentation trop forte.

J'ai sérieusement pris peur. Parce que, la culotte de cheval, ça va, ça fait longtemps qu'elle est intégrée, mais euh, ce truc qui pousse, tout mou, tout moche, on est obligé?

Arthur m'aura donc permis de retrouver un semblant de dignité, de relever la tête, d'imaginer le futur, tonique, dynamique, ... hygiénique... Hygiéniste ?

Et là, ton moral retombe un peu.

Mais quel est donc ce monde auquel on se prépare, là? La semaine prochaine, retour au travail tel un laborantin de Wuhan, tout équipé pour rien choper et bosser. Mais pas comme si de rien n'était, clairement. Tout devient atrocement calculé. On va devoir anticiper nos moindres gestes et dépenser le PIB de la Suisse pour s'équiper, tant en masques, qu'en gel, qu'en charlottes, qu'en... emballages, ce truc dont je m'évertue à me débarrasser depuis le début de mon activité, et qui revient en force. Minimiser les risques de contamination, c'est ranger chaque plat préparé, chaque gâteau dans son emballage individuel. Le truc qui vaut un bras et qui, accessoirement, se jette. Et le zéro déchet, les gars? Tous nos efforts? On en fait quoi?

Bon, j'ai trouvé des alternatives, des contenants en bagasse eux-mêmes issus du recyclage, donc pas fabriqués exprès pour un usage unique. Ma conscience s'en porte-t-elle mieux? Peut-être. Mais c'est tout un monde qu'il faut revoir, avec cette impression désagréable de rétro-pédalage. Moi la relou de base qui prêtait ma vaisselle pour que les clients puissent l'utiliser et la ramener - propre, hein - me voilà à balancer du carton - recyclé, certes- à tout va, dans des sacs en kraft individuels, toujours, et tout ça pour quoi? Ben, pour pérenniser ma propre boîte.

C'est plutôt justifié, on dira. Pas le choix que de se réinventer, d'imaginer un nouveau modèle.

A la réflexion, ce confinement aura justement permis à mon imagination, trop souvent tarie par la fatigue, de s'exprimer de nouveau. Rien ne sera comme avant et nous devons tous rebondir. On nous demande d'inventer, créer, imaginer, explorer. Je me sens comme une enfant à qui on donnerait soudainement le champ libre, qui en serait à la fois très excitée et terrorisée.

Que faire de de cette nouvelle liberté? N'est-elle pas contradictoire avec toutes les contraintes visibles et certaines?

A nous d'inventer de nouvelles stratégies. Il y en a une, en tout cas, que j'ai développée depuis le début de ce confinement : chaque fois que je vais dans ma salle de bains, je ne m'approche pas de la balance. Parce que j'ai peur du verdict implacable? Qu'elle m'annonce quelques kilos pris? Meuh non, pensez donc, rien à voir...

Simplement, elle peut retenir sur elle des traces du coco, donc je la considère comme potentielle porteuse du virus. Il serait tout simplement dangereux et même irresponsable de monter dessus.

Y'a pas à dire : La mauvaise foi, c'est beau quand c'est bien fait.

lundi 4 mai 2020

Le cocon qui n'en était pas

Bon, comment ça, les gens? Toujours dans votre grotte? Parce que moi, oui, plus que jamais. Il faut dire que j'ai eu un bon garde-fou. Ceci:

Joli, non? Mais dangereux, surtout juste au-dessus de ta tête...


Oui, cette oeuvre d'art, que j'ai découverte par hasard, était un nid primaire abritant quelques larves. Le gros frelon que j'entendais à chacune de mes sorties exaltées à la poubelle s'est avéré asiatique. Une reine-mère qui n'avait rien trouvé de mieux que de s'installer sous le porche de ma porte d'entrée.

Nickel. Deux ou trois jours de plus et j'aurais dû escalader le grillage du jardin, derrière, juste pour sortir de chez moi.

En aurais-je été capable? Il est arrivé un moment, dans ce confinement, où je me suis sentie tellement bouffie et rouillée que l'idée même de soulever mes fesses de deux centimètres me fatiguait. Heureusement, j'ai rencontré Arthur.

Oui, Arthur, résistant, solide, fiable. Un bon compagnon, certes un rien volumineux mais au moins sait-il se rendre indispensable.

Arthur, celui qui m'a empêché de craquer. Qui a permis à mes nerfs de se relâcher.

Arthur, qui se fout bien de mon poids, qui l'accepte et m'encourage silencieusement.

Arthur...

J'suis sympa, j'ai laissé Germain, comme ça, ils peuvent se faire la causette tous les deux.


Voilà, un jour, j'ai craqué et à l'occasion d'une sortie professionnelle, j'ai poursuivi ma route quelques minutes pour Arthur, que l'on peut considérer comme un achat de première nécessité. Les gens qui me l'ont vendu étaient soulagés, ils avaient croulé sous les appels depuis la mise en ligne de leur annonce. A croire que l'on en est tous au même point...

Au même point? Je ne sais pas trop, je l'avoue. Tandis que je vois certaines personnes marcher normalement dans la rue ou enfourcher leur vélo "comme avant", moi, je crains les autres, plus que jamais. C'est fou, je n'aurais jamais cru ça de ma part. Je vous le disais, je ne quitte presque plus ma grotte, alors même que l'on entrevoit le bout du tunnel (provisoire? Ne l'espérons pas) et à chaque fois que j'essaie de me raisonner, un micro-événement me conforte dans l'idée que seule la maison - et Arthur - demeure secure.

Ce matin, j'ai voulu braver mes nouveaux blocages en allant chercher des légumes au magasin bio près de chez moi. De grandes allées, un dispositif mis en place réglo... Oui, mais c'est sans compter sur l'humain, cet être qui décidément ne saura se discipliner qu'à une condition que j'ignore moi-même. J'ai renoncé au paquet d'emmenthal (à 8 euros le paquet, mon compte en banque déjà vidé me dit merci, vous me direz) parce qu'au moment où j'allais le prendre dans son rayon désinfecté, une femme s'est approchée un peu trop près à mon goût. Hop, un pas de côté, on oublie le fromage (en plus, Arthur n'est pas très fan, m'a-t-il murmuré) et on se contente des légumes.

Il est temps d'imaginer le futur, la vie revenue, les jours sans Arthur, conscient qu'un jour, il partira sans doute au garage, avec Germain et toutes les lubies que j'ai eues.

Pour l'instant, reste cette illusion de cocon, où je ne me sens plus à l'état larvesque - merci l'instinct de survie - mais en mode "préparation pour le combat". Telle la Reine-mère, je prépare le terrain. Et j'espère bien que personne ne va venir exterminer ma petite demeure intérieure, parce que, les gars, ce serait dommage de tout flinguer.

samedi 25 avril 2020

Un coup de jaja...

La dernière fois, je vous avais écrit : "Demain, je vous expliquerai pourquoi ma nullité légendaire en maths m'empêche de comprendre la suite des opérations."

En fait, je crois bien que la suite des opérations est incompréhensible, nullité légendaire en maths ou pas. Le retour en classe de nos têtes blondes le 11 mai a soumis mon faible cerveau à des calculs et à des hypothèses improbables, alors j'ai abandonné.

Au début, je vous assure, j'ai essayé, en prenant l'exemple de mon fils, lycéen, qui a la chance d'être dans une classe de 15 élèves. J'ai visualisé les salles dans cet établissement. Comment dire, caser ne serait-ce que 8 élèves dans cet espace que l'on appellera "tiny", ça reviendrait à perforer le mur pour que tout le monde rentre en respectant la distanciation sociale. Et à passer du coup de l'autre côté du couloir... où se trouve une autre classe aussi minuscule. Pas fou, comme idée.

Comme mon fils m'a dit que l'assiduité, dans sa classe, n'était jamais dingue  et que l'on pouvait tabler sur deux tiers d'absents, en temps normal (il y a beaucoup de phobiques scolaires, dans sa classe!), j'ai revu mes calculs, tentée de millimétrer les besoins pour que ça colle. 

C'est là que mon fils m'a raconté que, de toute façon, il n'y avait plus de savon depuis trois ans dans les toilettes de l'établissement.

Euh, comment dire. Bah non, alors. On va rester à la maison, hein.

Quitte à rester à la maison, j'en découvre les recoins et les secrets. Il se passe des choses, dans ces petites pièces où tu as entreposé depuis 8 ans des sacs en papier "parce qu'on sait jamais", des boîtes d'emballage, "parce qu'on sait jamais", des tupperware, "parce que..." Vous voyez bien l'esprit. Donc, hier, branle-bas de combat, j'ai passé à la moulinette l'arrière-cuisine. L'occasion de retrouver de la purée de cacahuète, à consommer avant février 2016 ou de la poudre de noix de coco un rien déshydratée - 8 ans d'âge, au bas mot - , des décos en chocolat - parce qu'on sait jamais", du riz, ce précieux que l'on croyait disparu de nos mini-stocks, une bouteille de vin ouverte que l'on avait laissée de côté car elle était bouchonnée - en 2014, je pense... Enfin, bref, plein de pépites trop chouettes, qui te remplissent vite fait ton container poubelle.

Et qui te permettent ainsi de sortir de ta maison deux secondes pour rejoindre la dite-poubelle. Pour constater que le frelon rôde toujours (je vous raconterai).

Forcément, avec un barouf pareil, impossible de couper au ménage, derrière. Et en voyant cette bouteille de 5L de nettoyant-désinfectant, achetée pour le boulot mais confinée à la maison actuellement (jamais eu le temps de la ramener), j'ai eu un flash. Une bouffée de générosité.


Le remède miracle! Mais pourquoi n'y a-t-on pas pensé avant? Merci Donald.


Mais oui, faisons un don! Distribuons des fioles à Donald, ce héros, qui nous propose de désinfecter nos poumons malades avec un peu de ce vert breuvage!

Le monde est-il devenu fou, ou bien je focalise sur un petit détail? Le grand machin UV-tisé et donneur de leçons a tout compris : un petit coup de ja-ja(vel) et tu ressors tout propre pour la morgue. Nickel.

On en parle, de ce monde où l'on marche plus que jamais sur la tête? Parce que le problème, c'est que contrairement aux poudres de coco ou de curry périmées depuis 2016 qui survivent, mais que l'on peut jeter d'un coup d'un seul à la poubelle, ce monde-là, obsolète, continue de pousser toujours loin son incohérence.

Et aucun container ne pourra jamais supporter un tel poids.

mardi 21 avril 2020

Délit de sale joie

Le confinement peut-il créer des dégâts irréparables?

Vous avez deux heures.

Ou un peu plus, cela dit, on n'est pas aux pièces.

Alors, je joue le jeu et me pose la question. Le confinement peut-il créer des dégâts irréparables? Nan, pensez-vous. Prenez mon cerveau, par exemple. Je sens bien qu'il n'est en aucun cas perturbé. Pour vous situer, depuis un peu plus d'un mois, j'ai rêvé que mon fils - redevenu petit, innocent et chevelu - était brûlé par les caténaires du tram, que j'accourais alors qu'il était entouré des pompiers, recouvert d'une couverture de survie, sans que je sache s'il respirait encore ; que des tas de gens étaient tombés comme des mouches le long de cette ligne de tram ; que ma mère était morte ; que je nageais avec des dauphins (mignon) et que mon chat m'arrachait la tête d'un coup sec (moins mignon); que je devais aller à New York avant de réaliser; sur la route de l'aéroport, que mon passeport n'était plus valide ; que je plaquais mon mec (dans trois rêves différents, quand même).

Pas de doute, je suis zen.

Le confinement peut-il créer des dégâts irréparables? Sur la ligne, peut-être pas irréparable, mais enfin, on est d'accord que tout se ramollit vite fait. J'avoue avoir délaissé Germain depuis une bonne semaine, tellement occupée par ailleurs que la nécessité de se défouler m'est apparue moindre. Pourtant, la nécessité demeure, d'un point de vue bassement corporel. Le pire, c'est que j'ai des alliés pour tromper la donne. C'est même ma grande surprise, dans ce confinement ; j'ai en ma possession un nombre de joggings et leggings tel que je peux chiller pour un moment.

Des dégâts irréparables? Sur les cheveux, bah, je suis fataliste. On est d'accord qu'à la réouverture des salons de coiffure, le délai d'attente pour une coupe sera plus long que pour consulter un ophtalmo, période antérieure. Donc, je prendrai mon mal en patience et ferais mine d'ignorer ces nouveaux indélicats qui ont débarqué soudainement et sournoisement: les cheveux blancs. Si. Je vous jure. Mais soyons honnête, si le confinement a probablement accéléré l'apparition de ces intrus, un jour, de toute façon, j'y aurais eu droit.

Des dégâts irréparables? Disons plutôt l'apparition de réactions surprenantes et l'impression de cohabiter avec une étrange hystérique (on est plusieurs, là-haut, ça commence à me paraître évident). L'autre soir, par exemple, j'ai dû me pincer pour y croire. A minuit passé, j'ai été réveillée par de la musique. Des voisins se faisaient une petite party. Sérieux? Vous m'auriez vu, sauter dans mon legging et filer à ma fenêtre comme une bonne vieille commère, scrutant le moindre indice pour deviner d'où venait l'indécent bruit de la fête. J'ai un peu maudit l'arbre de mon jardin, qui m'a empêché de discerner le lieu de la débauche ultime.

J'aurais fait quoi, en même temps? J'aurais crié au scandale? Oui, vous vous rendez compte? Des gens s'adonnent à la joie la plus primaire, ils écoutent de la musique forte, peut-être se déhanchent-ils, peut-être rient-ils, ces odieux personnages?

Alors que, ça se trouve, le type, tout seul, a branché sa sono à fond avant de s'envoyer le tube de Xanax pour en finir.

Demain, je vous expliquerai pourquoi ma nullité légendaire en maths m'empêche de comprendre la suite des opérations. Là, je vais voir ce que racontent mes rêves et espérer m'en sortir sans dommage irrémédiable. Je vous assure qu'au vu du contexte, ça devient une gageure :)

mardi 14 avril 2020

L'histoire du bonnet et du prince

A la maison, hier soir, flottait une certaine excitation, mêlée de fébrilité. "Le Prince" (surnom affectueux que mon ado a donné à notre président) allait parler. De quoi pimenter la soirée. D'ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué mais, depuis un moment, c'est un peu le bonheur d'avoir des micro-événements dans son quotidien. Genre, tu sais qu'à 18h45, c'est Lignac sur M6, et hop! Un petit rendez-vous dans ta journée! Germain qui t'appelle discrètement (=tu viens de te prendre les pieds dedans parce qu'il trône en plein milieu du salon)? Et hop, un autre rendez-vous! Il est 20h? Hop, un rendez-vous avec ton repas! Mercredi soir? Hop, un rendez-vous avec ta poubelle! Quand t'y penses, t'as plein de petits repères rassurants dans ta journée de confiné. Des rendez-vous :


- Avec ta cuisine (qui, bizarrement  ne sait pas fonctionner en toute autonomie et qui a besoin de ton énergie pour se mettre en route)
- Avec ton ado (quand il a des devoirs à faire et qu'il a soudainement besoin de toi)
- Avec tes chats (sont au bout de leur vie, là, je sens bien leur agacement ultime de nous voir traîner dans leurs pattes
- Avec ta série Netflix (Friends est interminable)
- Avec ton lit (ô, toi, lit magique, dont je rêve toute la journée et qui finalement ne me rend que peu d'heures de sommeil)
- Avec le téléphone (beaucoup)
- Avec ton ordi (pas moins)
- Avec ta poubelle (ce doux moment où tu peux la sortir)
- Avec ton jardin (répit luxueux) et le soleil à la fois réjouissant et narquois
- Avec ta boîte mail (remplie de communiqués contradictoires)
- Avec ton travail (où comment rayer les tâches de ta do-list en deux temps, trois mouvements, là où tu mettais des mois à t'y mettre avant)
- Avec le chocolat (trop tentant)
- Avec ton miroir (enfin, on n'est pas obligé non plus, hein)
- Avec tes angoisses (ces garces)
- Avec toi-même (parfois, tu te poses un lapin, tellement tu te supportes plus)

Bref, ta journée est animée de toute part, et pourtant, certaines sont teintées de ce je ne sais quoi d'excitation et de fébrilité, dont je vous parlais (faut toujours que je fasse des parenthèses dans mes textes) (c'est insupportable) (vous comprenez mieux pourquoi je me pose régulièrement des lapins) (bref).

Hier soir, mon ado et moi attendions le moment magique où, lors de son allocution, "le Prince" balancerait LA date. Entendez, le jour où mon fils devrait affronter le regard curieux des gens - ceux qu'il connaît, ceux qu'il ne connaît pas, peu importe.

Ben oui, avec ma frange, j'étais petite joueuse. Lorsque dimanche, j'ai eu l'interdiction de rentrer dans la chambre de l'ado, tout en entendant le doux son du rasoir, j'ai compris l'imminence du carnage capillaire.

L'étendue du carnage. Et non, ce ne sont pas les poils du chat.

J'exagère? Parlez-en à mon ado, qui ne quitte plus son bonnet en laine.

Autant vous dire qu'à l'annonce du 11 mai, il a un peu soufflé. Ça lui laisse un peu de répit. Et moi, j'en suis quitte à le voir pour un mois minimum avec un bonnet sur le crâne (j'ai interdiction de l'enlever). Et à "chiller", comme écrivent les modeuses, tranquillou chez moi = entendez, traîner en jogging toute la journée. La bonne nouvelle, c'est que je n'aurais jamais imaginé avoir autant de molleton chez moi. J'ai un paquet de guenilles, je vous explique même pas. Du doudou à foison. La mauvaise, c'est qu'il va falloir se trouver de nouveaux rendez-vous quotidiens, parce que, perso, je suis pas une adepte de la routine. Et que, un mois, bah, comment dire... C'est long.

Allez, encore un mois, minimum. Penser que l'on a a fait la moitié du chemin, c'est comme l'histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein.

Dans tous les cas,  on n'est pas sorti, les gars, les filles :)

dimanche 12 avril 2020

La ventouse bleue et la voie du corps

Cimetière de robes. Dans ma naïveté, j'ai cru pouvoir m'occuper d'elles, un jour.


Vous me croyez si je vous dis que je ne vois pas les semaines passer? Moi qui pensais faire ma Marie Kondo à ranger tous mes placards et astiquer ma cuisine, me voilà débordée, avec des tonnes de lessive (propre, quand même) à ranger, des robes au sol (un jour où j'ai cru que j'aurais le temps) dans ma chambre, une cuisine débordée de partout, un salon avec des bouquins de pâtisserie au sol et des tas de cahiers emplis de notes inquiètes (audit de la situation actuelle de la boîte) ou ambitieuses (on va tout casser)... La routine, quoi, comme lorsque je bossais entre 12 et 15 heures par jour (dans l'ancien temps) (Il y a deux mois) (Vous voyez bien).

Il n'y a en fait dans ce bronx qu'une pièce parfaitement rangée: celle de mon ado.

Je vous jure.

Mon ado range sa chambre au cordeau (et fout tout le superflu dans les pièces d'à côté) (ben oui, sa tactique est efficace, pour lui, mais plombante pour les autres) (les autres étant moi-même). Passe l'aspi tous les jours, mais uniquement dans sa chambre, évidemment. Vous comprendrez bien que je serre beaucoup les dents pour ne pas m'énerver.

Mais la lutte est rude. Le stress est là, insidieux, prêt à surgir à la moindre occasion. Il monte de façon vertigineuse et aspire tout le reste de raison dont je peux disposer.

Vous l'aurez compris, un facteur vivant permet d'enclencher rapidement le phénomène. Mais parfois, je me l'inflige toute seule. Par exemple, lorsque je découvre une première photo de moi-même prise en début de semaine, où j'ai l'impression de peser à peu près 100 kg. J'en parle à ma copine, auteur de cette photo- la challengeuse - et elle me raconte alors son secret (douloureux): une ventouse bleue qui aspire la cellulite. Je lui explique que dans mon cas, il faudrait un aspirateur industriel mais je me rassure en pensant à mes nombreuses séances sur Germain, mon fidèle destrier. Le stress redescend.

Quelques jours plus tard, rebelote. Sauf que cette fois, on dirait que je suis tombée dans l'obésité morbide, sur la photo. Là, c'est plus de l'aspiration, mais de l'amputation qui devient nécessaire. Après "Balance ton porc", c'est "Balance ta graisse". "Suce-toi la peau comme moi!" me recommande Amélie (elle assume, m'a-t-elle dit).

Je rentre à la maison, à la fois contente - parce que ma "petite sortie" était vraiment belle (en gros, on apporte victuailles et matériel au CHU) et teintée d'émotion - et terriblement stressée de réaliser que je suis devenue obèse. Je partage mon angoisse avec mon ado, le roi de l'empathie qui, sentant sans doute que là, c'est vraiment la fin pour moi, commence par me rassurer:

"Meuh non, tu ne ressembles pas à ça, en vrai. C'est la photo qui fait ça"

Ouf.

Avant de poursuivre: "Enfin, si tu veux, tu peux toujours faire un régime".

L'empathie à son top, oui.

Le soir, j'ai mangé quelques légumes et basta. Appétit coupé. Nuit difficile (mais ça, ce n'est pas nouveau, merci mon copain le stress). Je cherche des images apaisantes dans mon esprit agité. Rien à faire, ça turbine et met mon sommeil à mal.

Le lendemain matin, je reçois le lien vers une vidéo: "La voie du corps pour relâcher le stress en confinement". Allez, pleine de bonnes résolutions, je m'installe sur le canapé, j'éteins le portable et je démarre les exercices. Il est question d'auto-massage. Un moment, il faut passer ses mains autour de son ventre pour masser le tube digestif. La dame explique que si, "à certains endroits", ça fait un peu mal, il ne faut pas hésiter à insister un peu avec ses doigts, "pour dénouer le stress".

Comment te dire, madame, si j'insiste un peu sur chaque parcelle sensible, j'y suis encore ce soir. Tout n'est que douleur. Je repense à Amélie et sa ventouse bleue qui me racontait sa souffrance à chaque passage sur sa cuisse. Aïe.

Au moment où je remonte vers les épaules dans ce même mouvement "doux et bienveillant" (ah ah), mon ado arrive. Il vient de se lever, le cheveu hirsute, le plaid porté comme une toge, les claquettes Adidas qui vont bien et l'air aimable de l'être de 16 ans qu'il est. Il s'installe lourdement sur le canapé, à côté de moi, allume sa console de jeu, prend son bol de céréales, commence à manger et s'arrête un instant sur la vidéo.

"Ah, trois vues? Une vraie influenceuse!"

Alors là, je tangue entre le rire et l'agacement. Allez trouver la paix intérieure avec un ado qui gigote à côté de vous en mangeant bruyamment ses céréales... Allez rester zen avec en fond le bruit de mitraillettes dans un jeu-vidéo...

Quand je lui ai demandé de la mettre gentiment en sourdine pour que j'essaie d'être plus zen (= donc plus cool avec lui), et qu'il n'a évidemment pas obéi, j'ai supposé qu'il serait difficile de poursuivre la voie du corps pour relâcher le stress en confinement. J'ai regardé la dame, un peu désolée, comme si elle pouvait deviner ce qui se tramait de l'autre côté de l'ordi (d'autant que ce n'était pas du direct). J'ai regardé mon ado, avec sa manette greffée à même la main. Je me suis vue, la main posée sur l'épaule. J'avais perdu une bataille, clairement.

J'aurais pu me jeter sur le chocolat pour faire taire temporairement le stress, ce qui aurait fini de m'achever. A la place, j'ai bondi sur Germain.

Je crois que Germain me hait. Il grince, à force. Mais moi, j'aime Germain. Avec lui, le stress finit par disparaître, comme le reste de neurones dont je dispose.

jeudi 9 avril 2020

L'expédition (guide de survie)

Deux jours que j'y pensais. La nuit de mardi à mercredi a été tellement courte que je me suis demandé si c'était la Lune ou l'idée de partir en expédition qui m'empêchait de dormir.

Mercredi matin, j'ai renoncé à l'expédition. J'étais pas prête.

Presqu'un mois que l'on est confiné, quelques cagettes de légumes livrées... mais là, mon frigo commençait à ressembler au désert de Gobi. Quand on a un bouledogue à la maison (= un ado de 16 ans), les stocks finissent par s'épuiser. OK, tu as besoin de faire tes courses, c'est quoi le problème? Disons qu'une virée dans un supermarché est difficilement compatible avec ma parano montante.

Après une nouvelle nuit agitée, allez, j'ai vaincu ma peur. Direction... Métro. Comme un supermarché, mais avec beaucoup moins de monde et des allées immenses. Alleluia. Ce matin, j'ai même cru que les gens exagéraient, sur les réseaux sociaux, que, en fait, les Français respectaient vraiment le confinement. Des rayons pleins de pâtes, de PQ, pas un chat... RAS.

Pour vous situer, je n'ai mis ni gants, ni masque. Je me suis juste lavé les mains avec du gel hydroalcoolique et je suis repartie, avec mes piles et ma ramette de papier (et un gros plein, quand même, c'est pas comme si j'avais eu zéro euro ce mois-ci) (Bref).

Et là, l'audace s'est emparée de mon cerveau malade. J'ai voulu faire un complément de légumes et j'ai filé au magasin bio, près de chez moi. Erreur.

Entre ceux qui te regardent parce que tu n'as pas ton masque (autant vous dire que j'ai mis aussitôt celui que l'on venait de me donner), celui qui se croit plus fort et qui touche toutes les bananes sans gant et qui se colle quasi à toi (= à 50 centimètres, warning) et la dame qui se met à quinze mètres de toi tellement elle transpire de peur, tu n'as qu'une envie: être téléportée chez toi. Vite.

On est bien, chez soi, au chaud :)

Comme tu as attendu une bonne vingtaine de minutes pour rentrer dans le magasin, tu restes. Tu rentres, tentes de te faufiler sans toucher quoi que ce soit, sinon les articles que tu frôles de tes doigts gantés, et tu attends patiemment de passer à la caisse. Forcément, tes oreilles traînent un peu et là, tu tombes en arrêt. La personne derrière toi, au téléphone avec sa "princesse", sa "puce" et sa "chérie", l'invite pour demain soir: "On fera un petit barbecue, d'accord?"

Euh, j'ai mal entendu?

"Tu feras attention", poursuit la dame sexagénaire, "parce que les contrôles routiers, c'est plutôt le soir. Mais viens dès que tu veux, d'accord, ma princesse?"

OK. Et là, tu te sens dans la peau d'un collabo qui a envie de balancer. Tu résistes, parce que tu n'es pas la police. Et tu sens cette espèce d'ambivalence en toi, entre la joie d'une humanité retrouvée d'un côté, depuis le début de la crise, et l'égoïsme latent de l'autre, exacerbé.

Devant moi, à la caisse, un monsieur a demandé s'il était possible de faire des sous-totaux, parce qu'il faisait des courses pour plusieurs personnes. La caissière a acquiescé, assurant que c'était devenu monnaie courante depuis un mois, et j'ai été rassurée, un peu, quant à l'esprit solidaire qui peut régner.

Rassurée, oui, mais pas tant qu'en rentrant chez moi, quand j'ai refermé la porte derrière moi. Comme si notre maison, devenue prison dorée, était le refuge face à la connerie de certains. Plus virulente encore que tout le reste. Et hélas résistante à tout vaccin.

mardi 7 avril 2020

Liberté retrouvée, liberté aliénée

Hier soir, avec une copine entrepreneuse (entendez, dans la même galère, mais toujours optimiste!), on s'est fait un petit délire sur le monde d'après. Au départ, on parlait sport (celui que je veux et dois faire pour dégripper cette vilaine graisse qui est en train de s'accumuler, là) et elle, grande sportive accro à ses séances, me montrait (par messenger, hein, on s'est fait pas une sortie tupperware à la maison) une figure acrobatique improbable.

Fingers in the noise, hein :)


Comment vous dire. Même quand j'avais 5 ans et que je faisais moins de 30 kilos, je n'aurais pas pu, alors imaginez à 45 balais, 4 tendinites aux bras et les effets du confinement. Elle, si gracile, m'assurait s'en sentir également incapable. Ou alors, bien saoule. Je lui ai donc lancé un défi: y arriver pour notre apéro géant de fin de confinement.

Avec 4 grammes dans le sang, on n'est pas à l'abri d'un exploit.

Et c'est là que sont venus les délires. De vraies petites paranos, toutes les deux. Un apéro géant? Oui, mais à l'extérieur. Avec un masque pour boire - drôlement pratique - et des gants - ça va glisser et on aura du talc partout à chaque fois qu'on les enlèvera. On se tartinera les mains de gel hydroalcoolique entre deux coupettes, avant de se gratter le nez et de se dire que c'est une mauvaise idée. C'est pas bon, cet alcool-là.

Ma copine rigolait. Et puis elle a reconnu qu'elle allait avoir un bug, après. "Je changerai de trottoir." "Je regarderai les gens chelous" "J'aurai des gants"...

Autant de prédictions à la fois improbables et justifiées, dans ce monde où on déploie désormais des drones dans le ciel parisien pour rappeler aux idiots qu'ils n'ont rien à faire dans la rue. Dans ce monde où nous sommes tracés avec notre portable, où certains doivent passer le test du thermomètre frontal pour circuler. Dans ce monde insolite sorti tout droit de l'imagination dérangée des scénaristes de Black Mirror mais... qui est le nôtre.

Au delà de cet apéro, on continuera de s'écrire des petites attestations dérogatoires de sortie, même pour aller pisser. Et on va se faire greffer un patch alarme: chaque fois que quelqu'un s'approchera trop de nous, bip bip. Je vous explique pas, le taux de natalité va chuter en flèche à ce rythme. Des gens écriront des thèses sur : "L'amour après le confinement" ou "Liberté retrouvée, liberté aliénée". Les magazines féminins titreront :"Comment copuler sans se toucher"; " Séduire en restant à deux mètres" "Les 50 caresses par le regard". On aura des tutos sur Internet: "Comment débrancher temporairement le patch" "Réinitialiser le patch en 3 minutes sans danger" et "garder le lien sans couper le fil."

Il y a des bons côtés. Terminé, les mains au cul dans le métro! La Schiappa va pouvoir s'occuper de tous les dossiers en cours, sans avoir à pénaliser les pratiques relous des mecs dans la rue, ça se fera automatiquement! Fini, les embrassades multiples quand t'es le dernier à arriver dans une soirée. Fini, l’écœurement refoulé à l'approche d'un pue-du-bec, plus besoin d'être en apnée, on pourra même respirer librement (bon, avec un masque, hein), sans avoir peur de le blesser.

Le truc de fou, c'est qu'avec nos nouvelles habitudes dignes des plus grands hygiénistes, on pourra même prendre les cacahuètes posées sur le comptoir, subitement immaculées et vierges de toute urine.

Ah oui, j'suis bête. J'oubliais que les cacahuètes, euh, comment dire? Ça va pas m'aider pour lever mon popotin et copier la dame.


dimanche 5 avril 2020

L'absurde devient normal, le surréalisme émouvant

L'autre soir, sur une chaîne de télé, j'écoutais une chercheuse expliquer les trois phases du confinement. Pour caricaturer , sidération, rébellion, acceptation.

Je crois être passée dans les deux premières phases simultanément, avant de tomber dans la troisième... sans chasser totalement les deux premiers sentiments.

Les insomnies, puis la migraine, à chaque réveil, me rappellent que je ne suis pas totalement zen. Pourtant, dire que le confinement est une horreur, non, je ne pourrai pas. Je vais m'engouffrer dans un lieu commun mais l'horreur, c'est ce qui se passe dans les hôpitaux. L'horreur, c'est ce qui se passe pour celles (ou ceux?) qui sont enfermés avec une personne violente. L'horreur, c'est le quotidien des SDF et des plus démunis qui n'ont même pas ce toit requis pour être confiné. L'horreur, c'est le sort de tous ceux que j'oublie et qui sont confrontés directement au virus.

Mais sincèrement, si je mets évidemment à part le sort de ma petite entreprise - ce serait comme une mutilation de la voir disparaître, je ne vous le cache pas - et mon inquiétude chronique qui en découle; si j'oublie l'égoïsme de l'adolescent - mais enfin, le confinement ne fait que mettre en relief ce doux comportement et n'en est pas le générateur - je vis le confinement chaque jour plus sereinement.

En vidant ma cagette, j'ai trouvé cette inscription. Indispensable... ou pas, finalement, de vivre ça et de le comprendre?


Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. On est d'accord que rien n'est normal. L'absurde devient normal et le surréalisme émouvant. Sur le web ou à la télé, je suis frappée par la soudaine promiscuité et la fragilité de ces personnes en visio, qui dévoilent - souvent dans une étonnante pudeur, paradoxalement - un peu de leur intimité. Je suis touchée de les voir, dépouillées de leur armure sociale, tomber le masque (enfin, si on veut!), de les sentir vulnérables ou simplement avec cette envie de se rapprocher. C'est le chanteur qui offre un p'tit concert, l'humoriste qui prépare sans le savoir son prochain spectacle, le psychologue expliquant les impacts du confinement, l'infirmière qui raconte son douloureux quotidien, le malade guéri... Avec ce mélange, souvent, de simplicité, d'une extrême gravité et d'une envie de légèreté. Comme pour oublier, un instant.

Oublier quoi? La tragédie que l'on vit, bien sûr. L'enfermement inhabituel que l'on "subit", évidemment. Le caractère absurde de la normalité, aussi.

Par exemple, il est moyennement normal que je kiffe certains moments un peu... euh, improbables, dirais-je. Profiter de sortir la poubelle pour sentir les doux rayons du soleil, devant ma porte d'entrée, alors que, globalement, je côtoie deux conteneurs à poubelles, un gros frelon qui squatte le lieu depuis deux jours et un jardin absolument pas entretenu. Bah, que voulez-vous, j'aime.

Moyennement normal de me retrouver à 15 heures en legging sur mon stepper rose, pendant que mon fils fait des crunchs là-haut. Et d'aimer ça, aussi.

Moyennement normal, pour moi en tout cas, de considérer comme un acte fondateur le fait d'être à jour dans ses lessives et d'avoir lavé toutes ses vitres.

Moyennement normal de passer plus de temps au téléphone avec son assureur et sa conseillère bancaire qu'avec sa propre famille.

Moyennement normal de regarder la télé, moi qui avais fini par la considérer comme un objet mort.

Moyennement normal de sentir cet écœurement à la vue de gens qui se font la bise, qui se frottent les uns aux autres, qui se touchent comme si de rien n'était, dans tout film ou reportage avant mars 2020. Beurk.

Moyennement normal de souhaiter bannir à vie la bise.

Moyennement normal de vouloir porter un masque.

Moyennement normal de considérer ta journée déjà pleine pour avoir enfilé un jean.

Moyennement normal de vouloir se faire tester, en espérant un résultat positif quand tu penses avoir eu le covid, évidemment, pour t'assurer de ton immunisation (c'est mon cas, merci la grippe du 15 février).

Moyennement normal de se préparer psychologiquement pour sortir, sachant que ta sortie se fera en voiture et que tu ne croiseras personne, a priori. 48 heures avant, je me sens déjà toute chose, comme si le virus allait m'attaquer de toutes parts, comme s'il n'attendait que moi pour piquer ses fourches microscopiques sur ma peau (alors que je suis à peu près sûre d'être immunisée, merci la grippe du 15 février).

Moyennement normal de ressentir la sortie de la semaine - récupérer un panier de légumes et des oeufs - comme un exploit historique.

Moyennement normal d'appeler pôpa-môman tous les deux jours et d'avoir envie de pleurer d'être passée à quelques centaines de mètres de chez eux sans pouvoir t'arrêter.

Moyennement normal d'envier tes chats qui peuvent vaquer à leurs occupations, les voir sauter au-dessus du grillage et te sentir horrifiée de les voir ainsi outrepasser la règle. Avant de te souvenir que eux peuvent (et que de toute façon, tu abîmerais le grillage en les imitant).

Moyennement normal de refuser de sortir. Alors qu'on me dit que "j'ai le droit". "J'ai le droit" ne veut pas dire: "Tu dois". (c'est mon côté ayatollah, je sais).

Vous savez quoi? C'est peut-être le fait que rien ne soit normal qui finit par me rassurer, dans ce confinement. Plus rien n'est étonnant, plus rien n'est lisse, on découvre chaque jour de nouvelles ressources en soi. "Il ne faut pas blâmer une contrariété", dit-on souvent, en rigolant, avec mon apprentie, en gros, chaque fois que l'on a foiré un truc et que l'on s'en sort bien. Je n'irais pas jusqu'à affirmer que ce qui nous arrive est un mal pour un bien. Mais si on essayait de le vivre comme un moment à part, tout simplement? Un moment pour juste respirer? Faire le point?

Et réaliser que notre "normal" d'avant ne l'était pas tant que ça?

mardi 31 mars 2020

Splendeurs et misères (yin et yang, part II)

Aujourd'hui, j'ai rempli une attestation de déplacement dérogatoire... pour recharger ma batterie de camion, tombée à plat. J'ai fait le tour du quartier à plusieurs reprises, sans sortir une seule fois de mon véhicule, mais enfin, on ne sait jamais, hein.

J'ai roulé mon petit quart d'heure et j'ai laissé tourner autant la voiture, stationnée devant chez moi. Batterie rechargée. Victoire du jour. On sort le champagne?

...

Voilà à quoi en sont réduites nos petites vies. Se faire un mot pour sortir quelques minutes. Dingue. Se réjouir de micro-événements. Envisager de boire sa coupette comme ça, toute seule.

Car je ne sais pas vous, mais c'est vrai que l'on finit par se contenter du peu que l'on a actuellement. Une journée qui se passe bien avec un ado = bonheur. Un pain réussi = bonheur. Une conversation téléphonique enjouée = bonheur.

Ce petit côté bisounours qui s'empare de vous permet de contrecarrer quelques douloureuses expériences du confinement. Du genre, la rébellion du même ado, que vous êtes prêt à renier = douleur. Les heures passées à vous arracher les cheveux pour décrypter les aides gouvernementales = douleur. Les insomnies = douleur.

Et il y a aussi les pièges.

Le premier, c'est de penser que vous pouvez vous en sortir tout seul. Pour tout. Pour sortir les poubelles, prendre votre douche ou faire la cuisine, c'est vrai. Vous avez quand même pas mal d'autonomie - surtout passé 40 ans, comme moi - et puis, vous n'avez pas attendu le confinement pour vous y mettre, donc on ne vous la fait pas.

En revanche, question entretien, c'est parfois compliqué. Au hasard, la coupe de cheveux. J'ai résisté, afin d'éviter la coupe playmobil. Mais à force de me prendre des gadins dans la maison, je me suis dit que ça ne servait à rien de s'inventer des challenges à trois balles. Alors, j'ai pris les ciseaux et hop, la frange.

Hey, c'est presque droit.

Bon, même en temps normal, on a fait pire. Mais je suis pas fâchée que le confinement ait été prolongé, de ce point de vue.

Deuxième piège, penser que vous allez passer "juste" quelques minutes devant l'écran (télé ou portable) pour vous informer. Résultat, vous vous réveillez à deux heures du mat' sur le canapé, la tête comme une citrouille, en retenant que vous ne sortirez plus de chez vous avant 2070. Pas anxiogène du tout, absolument pas.

Troisième piège, tout miser sur le sport pour rester en forme. Et s'autoriser un petit chocolat (voire deux) parce que, quand même, vous avez bien sué sur votre stepper. Euh, d'habitude, vous dépensez environ quatre fois plus d'énergie par jour, donc le calcul est un rien faussé. Même si c'est pratique de penser que vous vous bougez le popotin.

Quatrième piège, prendre l'alcool comme un confident. Un verre peut vite devenir un réconfort facile et... dangereux. Moi qui suis souvent excessive, je m'en sors bien. Dix jours que la bouteille de blanc est ouverte et au frais, sans parvenir à la finir. Pas si évident de savourer l'apéro, même avec les copines en visio. Parce que pas la peine de se faire d'illusion, on est bien seul pour trinquer en vrai (c'est pas plus mal, en même temps) (pas la peine de les inventer).

Cinquième piège, vouloir faire son ménage de printemps trop vite. Hey, les gars les filles, on a le temps, hein! Pas la peine de tout révolutionner dans la maison, on y va pièce par pièce. Je vous parle en connaissance de cause: l'ado s'est mis en tête de ranger toute sa chambre. Super idée, un peu improbable, je l'avoue (mais on prend tout ce qu'on peut, je vous dis). Résultat, à secouer la poussière comme il l'a fait, il s'est mis à éternuer comme un dératé. J'ai cru qu'il était atteint par le sale virus... avant de réaliser que sa frénésie de nettoyage l'avait conduit à une pure allergie. Ce qui nous conduit à un sixième piège: croire que l'on va tous mourir.

Alors oui, au risque d'en décevoir certains (et vous m'en voyez désolée), on va tous mourir. Mais, un jour. Pas forcément là, maintenant, touchés par le Covid. Donc, quand ton gosse éternue et ressemble à un lapin nain avec ses yeux tout rouges et embués, c'est normal. Quand ta gorge te gratte très fort le matin, sachant que tu as piqué une crise de nerfs la veille contre l'ado qui a barré tout passage à l'étage pour ranger SA chambre, c'est normal. Tu as juste hurlé comme une hystérique et ça, les cordes vocales, elles sont pas fans.

Et quand tu te sens fatigué, c'est pas (forcément) le covid. C'est juste que le confinement, y'a pas à dire, c'est crevant. Sauf que pour te recharger, contrairement à la batterie de voiture, tu ne peux pas rouler. Tout juste te rouler en boule et, sauf preuve du contraire, c'est pas constructif très longtemps.

Même si mes chats tentent de me persuader du contraire.

dimanche 29 mars 2020

Le sarcasme annoncé de Paulette

Je vous présente Germain. Vous excuserez Sylvie et Marie, elles sont à l'envers. L'émotion d'être immortalisées, sans doute.


Vendredi soir, passablement agacée, j'ai cherché des alliés dans la maison. Et j'ai une bonne nouvelle: il y en a beaucoup. Vraiment.

Prenez Monique. Un peu sèche et pas très belle, c'est vrai, elle s'anime dès qu'on la touche. Elle parle beaucoup, son volume sonore s'avère même un peu agaçant lorsqu'elle donne la parole aux jeux-vidéo et puis elle a un côté anxiogène, à débiter toutes ces horreurs au quotidien. Mais si vous lui parlez gentiment, elle change de créneau et vous sort du beau: en l'occurrence, un concert des Brigitte, à deux ou trois heures du mat', qui m'a transportée ailleurs, cette nuit de vendredi à samedi. Un moment, Monique a laissé s'afficher un bandeau "ce concert a été filmé avant les consignes gouvernementales blabla". Genre, si un débile se disait: "mais pourquoi ils s'entassent en s'aimant, les gens au Zénith de Lille, alors que nous, on n'a pas le droit de sortir?" Mais je ne pouvais pas lui en vouloir, à Monique, elle ne peut pas tout contrôler. Alors, je l'ai laissée poursuivre et elle m'a fait voyager dans l'ancien temps encore quelques minutes. Pour ça, je l'ai aimée très fort, vendredi soir.

Michel, aussi, est sympa. Lui, tous les soirs, il m'accueille dans ses draps (de moins en moins, faut que j'en parle à Hélène, d'ailleurs) doux. Du moment qu'il est un peu aéré, il reste zen et m'offre des plages de sommeil, certes pas réparateur car trop agité, mais précieuses. Il n'est même pas jaloux que je mette entre lui et moi Jules. Jules, c'est le copain de Gaston et de Richard, les deux autres doudous réconfortants, que tu poses sur toi quand tu regardes Monique sur Serge.

Ah, c'est vrai que Serge, c'est quand même l'un de mes meilleurs alliés et puis, depuis si longtemps! Avant même le confinement, et avant mon métier de maintenant, je me faisais souvent des sessions "grotte", sans sortir de chez moi pour rester à bosser tranquille. Et Serge m'accueillait déjà chaleureusement, sans rechigner, acceptant que je lui vole un peu d'intimité pour bosser avec JP. Ah oui, JP, c'est mon fidèle ami, celui sur qui je tape en ce moment pour écrire ces quelques lignes. Depuis quelques années, maintenant, Serge et JP ont dû composer avec l'ado, cet être étrange venu s'affaler dans Serge, en empruntant parfois Gaston et Richard, pour monopoliser Monique.

Quand les tensions sont trop intenses, je file retrouver tous mes potes, Julie, Karl, Robert et tous ces êtres en inox qui m'aident à concocter de bons petits plats ou quelques douceurs. En ce moment, Adrien en a un peu sa claque de passer sa vie à les laver, mais il tient le rythme, quand même, et je sens sa satisfaction lorsqu'il s'allume, au bout de sa vie, parce qu'il pense que son cycle est terminé.

Autre allié de choc, Germain. Germain, il accepte que tu lui marches dessus, et même, il en redemande. Tu mets tout ton poids de ton pied gauche et hop, il t'enjoint de faire la même chose du pied droit. Et il recommence, sans se lasser, tandis que JP crache une playlist toute enjouée pour que ça balance. Et vous savez quoi, je vais le choyer, Germain, autant que possible: ben oui, parce que Paulette, cette méchante, me nargue gentiment dans la salle de bain. Elle aussi, elle attend que je lui monte dessus, pour m'afficher un truc méchant.

Ben oui, parce qu'à force d'aduler Monique, Michel, Serge, Jules, Gaston, Richard, Julie, Karl et tous les autres alliés de la maison, Paulette, elle, elle va bien rigoler quand je poserai mes pieds dessus à la fin du confinement :)

vendredi 27 mars 2020

De l'intérêt du papier toilette

Vous êtes comme moi, j'imagine, à vous être interrogé sur le sens de cette razzia sur le papier-toilette, quelques jours avant l'annonce du confinement. Le PQ, nouvel ingrédient longue durée pour assaisonner ses plats et tenir ainsi des mois en cas de pandémie ? Ou alors les gens ont senti qu'il allait en falloir, des rouleaux, pour occuper leurs enfants avec la fabrication de couronnes de princesses ou de hiboux, de ronds de serviettes ou de porte-crayons? (Je vous jure, on peut faire plein de trucs avec, en vrai).

Grâce à ma séance de sport, j'ai découvert une nouvelle utilité au PQ. On en apprend tous les jours, c'est génial.

Car oui, on ne va pas se mentir. Un confinement, à moins d'organiser des mini-marathons dans son jardin (à supposer d'avoir un jardin) (et que celui-ci soit grand), c'est un peu le piège, en termes de ligne. A force d'ingurgiter un petit carré de chocolat par ci, un bout de cake au citron par là, de cuisiner et d'aller plus vers le gratin que les haricots verts, forcément, on peut vite prendre cher.

Le fait de ne plus rien faire non plus alors que vous êtes habituellement une pile électrique, ça n'arrange rien. A priori, les 10000 pas quotidiens préconisés par l'OMS, on doit mettre des jours à les faire, désormais.

Ajoutez un confinement avec un ado, les nerfs en pelote qu'un tel duo engendre et là, vous êtes bien, en termes de nerfs à fleur de peau. Dans un mois, c'est plus 30kg.

Et que du gras, hein.

Alors, passablement énervée et agitée, j'ai sorti mon tapis de pilates (oui, j'ai vaguement essayé d'en faire cette année, pour la première fois de ma vie. Mes bras en rigolent encore - jaune), j'ai choisi une playlist "sport" sur une plateforme musicale et puis je me suis dit, "allez danse". Oui, dans le salon.

Couac total. Il manquait un truc.Alors, je me suis amusée à créer une playlist avec tous mes titres-phare pour me bouger le popotin, mes doudous musicaux qui réveillent les cellules toniques un peu planquées dans mon corps, d'habitude. Et là, j'ai accepté l'invitation d'une amie à suivre des cours de sport en ligne.

On s'est donc connecté, chacune de notre côté, pour suivre la séance. Inventif, le coach. Il nous a  demandé de prendre quatre rouleaux de papier toilette. Avec, on a fait des trucs improbables, genre abdos et gainage à fond. Et je te mets le rouleau entre les jambes, et je fais des ciseaux, et je t'invente des positions insolites où le PQ devient le Graal... (tu dois aller le chercher, avec tes bras, en gros). 

Je vais être honnête, en le regardant faire, je n'ai pas pu retenir un petit sourire.  Et puis, je me suis souvenue que ça brûlait sévèrement, tout ça, et qu'il me restait des muscles, mais bien rouillés. Une demi-heure après, je faisais moins la maligne. C'est évidemment le moment qu'a choisi mon ado pour sortir de sa pénombre, l'air narquois. Il m'a dévisagée, en pleine splendeur (rouge, en legging, les auréoles sous les bras) mais j'ai senti toute la densité de son mépris lorsqu'il a vu les fameux rouleaux de PQ.

Cherchez l'intrus... Mais oui, le fauteuil :)


Il y a des choses qu'il n'est pas utile d'expliquer. Tout ce que vous pourrez dire se retournera contre vous. Et puis, finalement, au delà de ce moment de solitude, il y a eu plus douloureux: le réveil, depuis deux jours. Merci les courbatures, de me rappeler que je n'avais pas bougé ma couenne depuis trop longtemps.

Allez, plus que... Ah non, on me dit que le compte à rebours n'est pas enclenché. Damned. Ma playlist va devenir une précieuse alliée.


jeudi 26 mars 2020

L'histoire de la cagette suspecte

Confinement, jour... Pff, j'ai arrêté de compter. Eh  oui,  déjà. C'est fou comme cette épreuve nous remue. Elle fait émerger tout un tas de sentiments et d'émotions, des flux continus de pensée, un besoin de silence dans le silence, un désœuvrement profond suivi d'une rage soudaine.

Je ne sais pas vous, mais je trouve les journées étonnamment courtes. Bon, les nombreuses insomnies qui te laissent HS ne sont pas étrangères à cette sensation. Assommée, je me lève tard, réalise ce qui se passe - d'où l'envie de rester sous la couette - avant de jaillir du lit, comme touchée par la mouche-de-la-colère, et j'enquille. Les appels et mails - comptable et conseillère de banque sont devenues mes deux plus fidèles interlocutrices - réponses aux groupes d'entraide whatsapp, tentatives de se rassurer sur le sort financier de la boîte. Je passe par tous les états, les pires... mais pas trop les meilleurs.

Bon, le confinement m'aura permis de mettre à jour tous les documents réglementaires que j'avais un peu délaissés (allergènes, taux de dilution du produit désinfectant, raison d'être du lupin dans ma carte salée, je vous explique même pas le kif) et en ça, eh bien, j'utilise le temps qui nous est donné pour rester dans le cadre. Mais dans quel cadre? Vers quel lendemain?

"Ça ne sert à rien de se projeter, arrête de t'inquiéter, maman", me dicte mon ado, à raison, sans doute. Mais personne ne peut maîtriser totalement ses angoisses, surtout quand elles concernent un pan majeur de ta vie. Loulou exprime juste un ras-le-bol, il me reproche d'être anxiogène et parano. Tout ça à cause de ça:

L'objet de la contamination? Parano, sors de ce corps


Oui, cette cagette que j'ai laissée 24 heures sur le pas de la porte après sa livraison. Je me refuse à sortir dans les supermarchés, les marchés sont désormais interdits (cherchez l'erreur, mais bon, on n'est pas à une incohérence près) et les légumes commençaient à manquer, alors voilà. Du bio, du local, on se fait plaisir. Mais pas sans peur. Et si c'était contaminé? Et si, chez nous, on allait l'attraper? Et si... Oui, je sais, c'est complètement fou mais on nage dans un tel surréalisme que n'importe quelle hypothèse devient plausible. Alors, pourquoi pas?

Quand j'ai osé dire à Loulou pourquoi je ne rangeais pas la cagette incriminée, j'ai bien vu ses yeux rouler de désarroi (si, si, les yeux peuvent rouler de désarroi) (quand je vous dis qu'on vit un truc de dingue).

J'en ai conscience: un enfant, mais aussi un ado, a besoin d'être rassuré. Et à force de ne pas l'être, le mien a un peu pété un câble, hier. Le ton est monté entre nous et je me suis dit que vivre à deux pour encore 4, 5, 6 semaines en confinement, dans ces conditions de guerre ouverte, euh, comment dire, ça n'allait pas être une partie de plaisir. Et que ça risquait de dégrader sérieusement notre relation, pour l'après.

Car, oui, il y aura un après. N'est-ce pas?

Aujourd'hui, on a hissé le drapeau blanc. J'essaie désormais de canaliser mon angoisse. Mais comment rester zen dans cette situation? Comment vivre sereinement, avec ces allers-retours de l'état? J'ai l'image d'une sorte de yoyo, qui serait vaguement articulé par Macron, lequel dirait à l'un de ses pantins:
"Vas-y, bloque-les chez eux, qu'ils comprennent l'urgence sanitaire"
et à l'autre:
"Fais bosser ceux que tu peux, faut que les sous rentrent."

Je caricature? Peut-être. n'empêche que s'il y a un tragique tri entre les patients (je n'ose imaginer les cas de conscience du personnel soignant, obligé de laisser une personne âgée pour choisir un patient plus jeune), il y en a également un pour déterminer quelles entreprises pourront poursuivre l'activité, après. Loin de moi l'idée de faire un parallèle absurde entre le maintien de vies et de sociétés, je constate juste que le cynisme va jusqu'à envoyer bouler des entrepreneurs soucieux de préserver la santé de leurs personnel et clients.

Alors même que la priorité serait d'endiguer la pandémie, pour rappel.

Les dossiers de chômage partiel sont rejetés, pour certains. Pour beaucoup trop. Les salariés doivent retourner bosser, alors même qu'ils devraient restés confinés chez eux, alors même qu'il n'y a pas d'activité. Je ne suis pas encore fixée, pour ma part, j'attends la sentence.

Une anecdote? Mon expert-comptable, qui défend ma cause, m'a demandé de ne pas évoquer de raisons sanitaires pour justifier l'arrêt de mon entreprise, le temps du confinement. Sans quoi, l'Etat refusera ma demande, alors même que cette dernière est justifiée (je n'ai plus de commandes, actuellement, et pour cause).

Non, mais, lisez-moi ce ton grave et plombant! Hey, la mouette, où est passée ton auto-dérision? Ah, mais je les déteste, en vrai, ces imbéciles! J'avais prévu un billet léger, et me voilà de nouveau remontée comme une pendule.

Bon, allez, demain, je vous raconterai comment je fais du sport avec du papier toilette. Y'a moyen de rigoler. Enfin.

lundi 23 mars 2020

Nous sommes de la chair à canon

Jusqu'à hier soir, entre impuissance (celle de ne rien pouvoir faire) et délivrance (celle de pouvoir rester confinée et protéger ainsi tout le monde), je restais finalement assez philosophe. Situation inédite pour tout le monde, un message de notre planète, le soulagement d'être en vie et d'avoir des proches également non touchés (enfin, sans compter une très mauvaise nouvelle, liée à une autre maladie cette semaine)... Rester à la maison en attendant, c'était jouable. Franchement, avoir le temps de préparer son travail - ses cartes, ses cours et ses recettes - pour l'après relevait du luxe.

Juste avant de me coucher, j'ai fait l'erreur d'aller sur Facebook. Pour y lire un courrier abject de la DIRECCTE :
"Trop d'entreprises ferment parce qu'elles croient être obligées de le faire. Le gouvernement cherche autant que possible à préserver l'activité, à la fois pour obérer plus que nécessaire les perspectives économiques et surtout parce qu'aujourd'hui, beaucoup d'activités sont indispensables de manière plus ou moins directe pour continuer à vivre."

Et la conclusion est claire: "l'arrêt est l'exception, pas la règle."

...

Euh, comment dire? Le mot d'ordre n'est-il pas: "restez chez vous"? 186 morts enregistrés ces dernières 24 heures, dont des médecins tombés dans les services traitant le coronavirus, non, ça ne vous effraie pas?

Allez, les magasins alimentaires, les pâtisseries, les marchands d'épices, au boulot, bande de fainéasses! Allez, le BTP, fini la perspective du chômage partiel pourtant annoncée par le gouvernement la semaine passée, au boulot, bande de fainéasses!

Incohérence et cynisme absolus. Je suis écœurée, j'ai la nausée depuis ce matin.

Rouvrir alors que nous n'en sommes pas encore au pic de la pandémie? A titre personnel, j'ai voulu vérifier auprès de mon expert-comptable ce que je devais faire... sachant qu'il est hors de question pour moi d'ouvrir mon activité en plein confinement.

J'avoue, j'espérais un ton rassurant de l'expert-comptable... qui s'est montrée aussi écœurée que moi. J'ai beau avoir vu toutes mes commandes du mois et d'avril annulées, ne plus avoir de clients, si j'en écoute la logique -criminelle- de l'état, je devrais rouvrir mon entreprise. Là, maintenant, alors que les malades tombent comme des mouches.

860 morts, près de 20000 cas rien qu'en France et une pandémie qui s'étend sur toute la planète. Et nous, les artisans et commerçants, eux, les ouvriers du BTP, à qui il avait été dit que l'arrêt était légitime, devrions repartir au front?

Sommes-nous de la chair à canon, messieurs les gouvernants?

Comme les personnels soignants, comme les routiers, comme les livreurs, comme les caissiers et caissières, comme les éboueurs, comme toutes ces professions souvent mal payées et réquisitionnées, nous sommes de la chair à canon, messieurs les gouvernants. Vous qui avez pensé aux télétravailleurs - pour qui la situation n'est certainement pas simple à vivre non plus, mais qui auront un revenu à la fin du mois et qui n'ont pas à sortir -, que faites-vous du sort de ces "petites gens"? Les "sans-dents" dont parlait déjà François Hollande, devront-ils donc chaque jour espérer ne pas choper le virus ni contaminer leurs proches, au nom de la pérennité de notre système capitaliste?

Ou alors, sont-ils condamnés à mourir de leur belle mort, à savoir économique? Car, oui, j'ai le choix de ne pas ouvrir, oui ces entreprises citées ont le choix de ne pas le faire, mais elles n'auront pas d'aide de l'état. Or, comment font-elles pour verser leur salaire aux employés, avec une activité plus que réduite? Comment font-elles pour travailler, sans clients ni commandes ? Car, oui, qui a besoin absolument d'un Royal, hein? Qui va fêter son anniversaire et réunir toute sa famille, autrement que par caméra interposée, hein? Qui a besoin d'un traiteur là, pour concocter un buffet, hein?

Vous savez quoi, j'en ai marre. Marre. Cela fait quatre ans que j'ai lancé mon entreprise, petite au départ, devenue SARL - comme les grands - depuis. Cela fait quatre ans que je paye pour les autres et, s'il me reste quelque chose à la fin du mois, je peux toucher un peu les dividendes de mon travail. Je ne veux pas jouer Cosette. J'ai choisi. Simplement, cela fait quatre ans que je travaille entre 50 et 100 heures par semaine (non, je ne suis pas mytho), certains mois sept jours sur sept. J'ai travaillé avec la grippe (j'avais un masque, à l'époque!), j'ai travaillé avec une fracture du péroné et une entorse au doigt. J'ai fait des nuits blanches, j'ai marché comme un zombie, j'ai fini par trouver normal d'avoir le teint pâle et les traits tirés en permanence et de ne plus voir personne, de m'endormir si j'avais le malheur de m'asseoir trois secondes sur une chaise. J'ai eu quatre tendinites, une à chaque poignet et aux coudes - et je n'en suis pas encore sortie. Tout ça pour quoi?

...

Alors, oui, vous allez me dire, tu as de la chance de vivre de ta passion, tu fais ce que tu aimes, tu as une forme de liberté, tu pars même en vacances avec ton loulou l'été, tu es dans l'échange et la bonne humeur au quotidien, tu donnes du bonheur aux autres, tu as la fierté d'avoir donné vie à ton bébé et d'avoir créé un truc qui te ressemble, tu vis!

Oui, tout ça, c'est vrai. Mais rester la vache à lait de l'état, non, ça suffit. J'ai souvent trouvé les revendications des gilets jaunes excessives. Moi, je n'ai jamais bossé 35 heures par semaine. Je n'ai jamais rechigné à la tâche. J'ai trouvé que les Français se plaignaient parfois la bouche ouverte pendant que nous, artisans, continuions de bosser en fermant notre gueule. Mais là, ça suffit. Devenir de la chair à canon pour sauver une économie française qui nous taxe constamment, non.

C'est facile d'écrire cela derrière son ordi, on est d'accord. Pour le moment, je n'ai pas d'autre moyen d'expression, car je tiens à respecter le confinement. Car oui, le gouvernement, dans son cynisme implacable, a annoncé ce soir de nouvelles mesures répressives à l'encontre de ceux qui ne respecteraient pas les règles de bonne conduite. Eh bien, vous savez quoi? Comme je suis une bonne élève, je suivrai à la lettre ces consignes.

dimanche 22 mars 2020

Sophia, les orphelines et nous

Rassurez-vous, les chaises renversées dans le jardin, c'était avant la fin du monde.


Cinquième jour plein de confinement et cette réflexion qui revient tous les matins:

"Ah oui, c'est vrai!"

Ah oui, c'est vrai, le monde est à l'arrêt.
Ah oui, c'est vrai, le virus continue son invasion et les services hospitaliers n'ont plus de masques ni de gants.
Ah oui, c'est vrai, des caissières se font insulter parce que les rayons sont vides, des livreurs prennent des risques chaque jour pour faire juste leur job.
Ah oui, c'est vrai, je reste des heures bloquée sur Facebook et l'actu au lieu de m'occuper.
Ah oui, c'est vrai, c'est tout calme à dehors.
Ah oui, c'est vrai, ça bout à l'intérieur.

Cinquième jour de confinement et la sensation, peu à peu, d'ouvrir les yeux, le matin, sans vraiment mesurer ce qui se passe. Ce que nous racontaient il y a peu les Italiens n'est plus seulement un terrible témoignage, il est notre réalité.

Cinquième jour de confinement et l'impression d'avoir un peu relâché la pression. Je sais que j'ai plus de quinze jours pour faire tout ce que j'ai à faire, maintenant. C'est triste mais c'est ainsi. Je me refuse à sortir, sauf cas de force majeure. Je m'imagine un nuage toxique, dehors, et je veux nous en préserver, mon fils, son grain de beauté tombé, et moi.

Cinquième jour de confinement. C'est important de compter, pour rester ancré dans le réel. J'ai peur d'oublier les jours, les dates, le rythme tel qu'il est censé être. On est dimanche. Je fais quoi le dimanche, normalement?

Depuis peu, et mon besoin de lâcher du lest, j'essayais de me reposer, prendre l'air parfois, un thé souvent, et puis, le soir venu, je faisais ma compta, mes commandes, mon point sur la semaine à venir. J'avais besoin de ce cadre. Il y a quelques jours, je regardais encore mon planning pro avec un point d'interrogation et la prochaine date un peu challenge - il y avait toujours un petit événement un peu nouveau, que je n'avais exploré, et je le vivais comme tel. Aujourd'hui, tout a été annulé (ah, si, j'ai une date en septembre et quelques-unes cet été... Formidable) et le cadre a explosé.

Alors, ce dimanche n'a ressemblé à aucun autre. D'abord, alors que je m'étais motivée pour une séance de sport en ligne, j'ai plutôt répondu à l'appel de loulou qui me demandait de l'aide sur son devoir d'anglais. Un truc un peu inédit, à vrai dire, car je ne l'ai jamais assisté dans son suivi scolaire. Il s'est toujours débrouillé seul (comprenez qu'il y a encore un an, il n'avait aucune notion du travail à domicile) (oui, je culpabilise un peu) (je ne plaide pas coupable pour autant, c'est ainsi, c'est tout) (voilà que je recommence avec mes parenthèses) (Bref). Dire que j'étais très à l'aise ce matin, serait exagéré mais après tout, j'aime l'aventure, alors je suis allée préparer un thé et on a commencé ensemble le devoir.

Il s'agissait d'un texte de Stephen Hawking, sceptique à l'encontre des robots et de l'intelligence artificielle, à comparer avec un autre évoquant l'enthousiasme de Mark Zuckerberg pour les machines. Si je suis habituellement plutôt sceptique à l'usage de ces créations redoutablement douées, mais également consternée par la disparition de la main humaine dans nombre de tâches du quotidien, je me suis posé la question: "Et si des robots étaient capables de livrer à notre place, d'encaisser les courses, de recevoir le public, de gérer tous les services indispensables, voire de soigner, l'humanité ne serait-elle pas sauvée, supprimant ainsi (presque) tout risque de contagion d'humain à humain? Drôle de paradoxe.

Loulou m'a alors montré une vidéo présentant Sophia, un robot aux traits féminins. Puis une autre, plus incroyable encore, mettant en scène un robot ressemblant à s'y méprendre à une jeune femme, sorte d'intendante d'une famille anglaise ou américaine, que sais-je, au rictus troublant.

Je me suis dit que mieux valait finalement rester sur notre modèle imparfait, et penser sans doute autrement le travail, plutôt que de s'en remettre à ces créatures flippantes. Cette Sophia et cet autre "personnage", en vrai, m'ont glacé le sang.

On y a passé quelques heures, derrière ce bureau, parce que notre esprit vaquant ça et là, on s'est laissé déconcentrer, moi par un texto de ma soeur me conseillant d'écouter le dernier opus d'Izia - pourquoi attendre, écoutons donc -, mon fils par les notifications régulières qu'il recevait. Finalement plus discipliné que moi, il m'a ramenée plusieurs choix sur le droit chemin (du devoir), quand je me laissais distraire.

Au fond, pour l'instant, le temps n'a plus trop de prise. Dans l'urgence, il n'y a plus d'urgence.

On finit même par se satisfaire de peu, de savourer ces petits moments passés, calmement et simplement, parce que la vie et le sentiment de respirer encore librement nous emplissent. Et c'est comme ça que j'en suis arrivée à une forme d'extase, comme je ne l'aurais jamais imaginé auparavant. Prise d'un soudain élan, je suis montée dans ma chambre et j'ai... trié mes chaussettes. Et je ne vous dis pas le bonheur absolu à chaque paire reconstituée. J'ai fait se retrouver des orphelines et le pliage de chacune n'en a été que plus jouissif.

Hum. Cinquième jour de confinement? Je n'ose imaginer mon état de délabrement intellectuel dans une vingtaine de jours.