samedi 25 avril 2020

Un coup de jaja...

La dernière fois, je vous avais écrit : "Demain, je vous expliquerai pourquoi ma nullité légendaire en maths m'empêche de comprendre la suite des opérations."

En fait, je crois bien que la suite des opérations est incompréhensible, nullité légendaire en maths ou pas. Le retour en classe de nos têtes blondes le 11 mai a soumis mon faible cerveau à des calculs et à des hypothèses improbables, alors j'ai abandonné.

Au début, je vous assure, j'ai essayé, en prenant l'exemple de mon fils, lycéen, qui a la chance d'être dans une classe de 15 élèves. J'ai visualisé les salles dans cet établissement. Comment dire, caser ne serait-ce que 8 élèves dans cet espace que l'on appellera "tiny", ça reviendrait à perforer le mur pour que tout le monde rentre en respectant la distanciation sociale. Et à passer du coup de l'autre côté du couloir... où se trouve une autre classe aussi minuscule. Pas fou, comme idée.

Comme mon fils m'a dit que l'assiduité, dans sa classe, n'était jamais dingue  et que l'on pouvait tabler sur deux tiers d'absents, en temps normal (il y a beaucoup de phobiques scolaires, dans sa classe!), j'ai revu mes calculs, tentée de millimétrer les besoins pour que ça colle. 

C'est là que mon fils m'a raconté que, de toute façon, il n'y avait plus de savon depuis trois ans dans les toilettes de l'établissement.

Euh, comment dire. Bah non, alors. On va rester à la maison, hein.

Quitte à rester à la maison, j'en découvre les recoins et les secrets. Il se passe des choses, dans ces petites pièces où tu as entreposé depuis 8 ans des sacs en papier "parce qu'on sait jamais", des boîtes d'emballage, "parce qu'on sait jamais", des tupperware, "parce que..." Vous voyez bien l'esprit. Donc, hier, branle-bas de combat, j'ai passé à la moulinette l'arrière-cuisine. L'occasion de retrouver de la purée de cacahuète, à consommer avant février 2016 ou de la poudre de noix de coco un rien déshydratée - 8 ans d'âge, au bas mot - , des décos en chocolat - parce qu'on sait jamais", du riz, ce précieux que l'on croyait disparu de nos mini-stocks, une bouteille de vin ouverte que l'on avait laissée de côté car elle était bouchonnée - en 2014, je pense... Enfin, bref, plein de pépites trop chouettes, qui te remplissent vite fait ton container poubelle.

Et qui te permettent ainsi de sortir de ta maison deux secondes pour rejoindre la dite-poubelle. Pour constater que le frelon rôde toujours (je vous raconterai).

Forcément, avec un barouf pareil, impossible de couper au ménage, derrière. Et en voyant cette bouteille de 5L de nettoyant-désinfectant, achetée pour le boulot mais confinée à la maison actuellement (jamais eu le temps de la ramener), j'ai eu un flash. Une bouffée de générosité.


Le remède miracle! Mais pourquoi n'y a-t-on pas pensé avant? Merci Donald.


Mais oui, faisons un don! Distribuons des fioles à Donald, ce héros, qui nous propose de désinfecter nos poumons malades avec un peu de ce vert breuvage!

Le monde est-il devenu fou, ou bien je focalise sur un petit détail? Le grand machin UV-tisé et donneur de leçons a tout compris : un petit coup de ja-ja(vel) et tu ressors tout propre pour la morgue. Nickel.

On en parle, de ce monde où l'on marche plus que jamais sur la tête? Parce que le problème, c'est que contrairement aux poudres de coco ou de curry périmées depuis 2016 qui survivent, mais que l'on peut jeter d'un coup d'un seul à la poubelle, ce monde-là, obsolète, continue de pousser toujours loin son incohérence.

Et aucun container ne pourra jamais supporter un tel poids.

mardi 21 avril 2020

Délit de sale joie

Le confinement peut-il créer des dégâts irréparables?

Vous avez deux heures.

Ou un peu plus, cela dit, on n'est pas aux pièces.

Alors, je joue le jeu et me pose la question. Le confinement peut-il créer des dégâts irréparables? Nan, pensez-vous. Prenez mon cerveau, par exemple. Je sens bien qu'il n'est en aucun cas perturbé. Pour vous situer, depuis un peu plus d'un mois, j'ai rêvé que mon fils - redevenu petit, innocent et chevelu - était brûlé par les caténaires du tram, que j'accourais alors qu'il était entouré des pompiers, recouvert d'une couverture de survie, sans que je sache s'il respirait encore ; que des tas de gens étaient tombés comme des mouches le long de cette ligne de tram ; que ma mère était morte ; que je nageais avec des dauphins (mignon) et que mon chat m'arrachait la tête d'un coup sec (moins mignon); que je devais aller à New York avant de réaliser; sur la route de l'aéroport, que mon passeport n'était plus valide ; que je plaquais mon mec (dans trois rêves différents, quand même).

Pas de doute, je suis zen.

Le confinement peut-il créer des dégâts irréparables? Sur la ligne, peut-être pas irréparable, mais enfin, on est d'accord que tout se ramollit vite fait. J'avoue avoir délaissé Germain depuis une bonne semaine, tellement occupée par ailleurs que la nécessité de se défouler m'est apparue moindre. Pourtant, la nécessité demeure, d'un point de vue bassement corporel. Le pire, c'est que j'ai des alliés pour tromper la donne. C'est même ma grande surprise, dans ce confinement ; j'ai en ma possession un nombre de joggings et leggings tel que je peux chiller pour un moment.

Des dégâts irréparables? Sur les cheveux, bah, je suis fataliste. On est d'accord qu'à la réouverture des salons de coiffure, le délai d'attente pour une coupe sera plus long que pour consulter un ophtalmo, période antérieure. Donc, je prendrai mon mal en patience et ferais mine d'ignorer ces nouveaux indélicats qui ont débarqué soudainement et sournoisement: les cheveux blancs. Si. Je vous jure. Mais soyons honnête, si le confinement a probablement accéléré l'apparition de ces intrus, un jour, de toute façon, j'y aurais eu droit.

Des dégâts irréparables? Disons plutôt l'apparition de réactions surprenantes et l'impression de cohabiter avec une étrange hystérique (on est plusieurs, là-haut, ça commence à me paraître évident). L'autre soir, par exemple, j'ai dû me pincer pour y croire. A minuit passé, j'ai été réveillée par de la musique. Des voisins se faisaient une petite party. Sérieux? Vous m'auriez vu, sauter dans mon legging et filer à ma fenêtre comme une bonne vieille commère, scrutant le moindre indice pour deviner d'où venait l'indécent bruit de la fête. J'ai un peu maudit l'arbre de mon jardin, qui m'a empêché de discerner le lieu de la débauche ultime.

J'aurais fait quoi, en même temps? J'aurais crié au scandale? Oui, vous vous rendez compte? Des gens s'adonnent à la joie la plus primaire, ils écoutent de la musique forte, peut-être se déhanchent-ils, peut-être rient-ils, ces odieux personnages?

Alors que, ça se trouve, le type, tout seul, a branché sa sono à fond avant de s'envoyer le tube de Xanax pour en finir.

Demain, je vous expliquerai pourquoi ma nullité légendaire en maths m'empêche de comprendre la suite des opérations. Là, je vais voir ce que racontent mes rêves et espérer m'en sortir sans dommage irrémédiable. Je vous assure qu'au vu du contexte, ça devient une gageure :)

mardi 14 avril 2020

L'histoire du bonnet et du prince

A la maison, hier soir, flottait une certaine excitation, mêlée de fébrilité. "Le Prince" (surnom affectueux que mon ado a donné à notre président) allait parler. De quoi pimenter la soirée. D'ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué mais, depuis un moment, c'est un peu le bonheur d'avoir des micro-événements dans son quotidien. Genre, tu sais qu'à 18h45, c'est Lignac sur M6, et hop! Un petit rendez-vous dans ta journée! Germain qui t'appelle discrètement (=tu viens de te prendre les pieds dedans parce qu'il trône en plein milieu du salon)? Et hop, un autre rendez-vous! Il est 20h? Hop, un rendez-vous avec ton repas! Mercredi soir? Hop, un rendez-vous avec ta poubelle! Quand t'y penses, t'as plein de petits repères rassurants dans ta journée de confiné. Des rendez-vous :


- Avec ta cuisine (qui, bizarrement  ne sait pas fonctionner en toute autonomie et qui a besoin de ton énergie pour se mettre en route)
- Avec ton ado (quand il a des devoirs à faire et qu'il a soudainement besoin de toi)
- Avec tes chats (sont au bout de leur vie, là, je sens bien leur agacement ultime de nous voir traîner dans leurs pattes
- Avec ta série Netflix (Friends est interminable)
- Avec ton lit (ô, toi, lit magique, dont je rêve toute la journée et qui finalement ne me rend que peu d'heures de sommeil)
- Avec le téléphone (beaucoup)
- Avec ton ordi (pas moins)
- Avec ta poubelle (ce doux moment où tu peux la sortir)
- Avec ton jardin (répit luxueux) et le soleil à la fois réjouissant et narquois
- Avec ta boîte mail (remplie de communiqués contradictoires)
- Avec ton travail (où comment rayer les tâches de ta do-list en deux temps, trois mouvements, là où tu mettais des mois à t'y mettre avant)
- Avec le chocolat (trop tentant)
- Avec ton miroir (enfin, on n'est pas obligé non plus, hein)
- Avec tes angoisses (ces garces)
- Avec toi-même (parfois, tu te poses un lapin, tellement tu te supportes plus)

Bref, ta journée est animée de toute part, et pourtant, certaines sont teintées de ce je ne sais quoi d'excitation et de fébrilité, dont je vous parlais (faut toujours que je fasse des parenthèses dans mes textes) (c'est insupportable) (vous comprenez mieux pourquoi je me pose régulièrement des lapins) (bref).

Hier soir, mon ado et moi attendions le moment magique où, lors de son allocution, "le Prince" balancerait LA date. Entendez, le jour où mon fils devrait affronter le regard curieux des gens - ceux qu'il connaît, ceux qu'il ne connaît pas, peu importe.

Ben oui, avec ma frange, j'étais petite joueuse. Lorsque dimanche, j'ai eu l'interdiction de rentrer dans la chambre de l'ado, tout en entendant le doux son du rasoir, j'ai compris l'imminence du carnage capillaire.

L'étendue du carnage. Et non, ce ne sont pas les poils du chat.

J'exagère? Parlez-en à mon ado, qui ne quitte plus son bonnet en laine.

Autant vous dire qu'à l'annonce du 11 mai, il a un peu soufflé. Ça lui laisse un peu de répit. Et moi, j'en suis quitte à le voir pour un mois minimum avec un bonnet sur le crâne (j'ai interdiction de l'enlever). Et à "chiller", comme écrivent les modeuses, tranquillou chez moi = entendez, traîner en jogging toute la journée. La bonne nouvelle, c'est que je n'aurais jamais imaginé avoir autant de molleton chez moi. J'ai un paquet de guenilles, je vous explique même pas. Du doudou à foison. La mauvaise, c'est qu'il va falloir se trouver de nouveaux rendez-vous quotidiens, parce que, perso, je suis pas une adepte de la routine. Et que, un mois, bah, comment dire... C'est long.

Allez, encore un mois, minimum. Penser que l'on a a fait la moitié du chemin, c'est comme l'histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein.

Dans tous les cas,  on n'est pas sorti, les gars, les filles :)

dimanche 12 avril 2020

La ventouse bleue et la voie du corps

Cimetière de robes. Dans ma naïveté, j'ai cru pouvoir m'occuper d'elles, un jour.


Vous me croyez si je vous dis que je ne vois pas les semaines passer? Moi qui pensais faire ma Marie Kondo à ranger tous mes placards et astiquer ma cuisine, me voilà débordée, avec des tonnes de lessive (propre, quand même) à ranger, des robes au sol (un jour où j'ai cru que j'aurais le temps) dans ma chambre, une cuisine débordée de partout, un salon avec des bouquins de pâtisserie au sol et des tas de cahiers emplis de notes inquiètes (audit de la situation actuelle de la boîte) ou ambitieuses (on va tout casser)... La routine, quoi, comme lorsque je bossais entre 12 et 15 heures par jour (dans l'ancien temps) (Il y a deux mois) (Vous voyez bien).

Il n'y a en fait dans ce bronx qu'une pièce parfaitement rangée: celle de mon ado.

Je vous jure.

Mon ado range sa chambre au cordeau (et fout tout le superflu dans les pièces d'à côté) (ben oui, sa tactique est efficace, pour lui, mais plombante pour les autres) (les autres étant moi-même). Passe l'aspi tous les jours, mais uniquement dans sa chambre, évidemment. Vous comprendrez bien que je serre beaucoup les dents pour ne pas m'énerver.

Mais la lutte est rude. Le stress est là, insidieux, prêt à surgir à la moindre occasion. Il monte de façon vertigineuse et aspire tout le reste de raison dont je peux disposer.

Vous l'aurez compris, un facteur vivant permet d'enclencher rapidement le phénomène. Mais parfois, je me l'inflige toute seule. Par exemple, lorsque je découvre une première photo de moi-même prise en début de semaine, où j'ai l'impression de peser à peu près 100 kg. J'en parle à ma copine, auteur de cette photo- la challengeuse - et elle me raconte alors son secret (douloureux): une ventouse bleue qui aspire la cellulite. Je lui explique que dans mon cas, il faudrait un aspirateur industriel mais je me rassure en pensant à mes nombreuses séances sur Germain, mon fidèle destrier. Le stress redescend.

Quelques jours plus tard, rebelote. Sauf que cette fois, on dirait que je suis tombée dans l'obésité morbide, sur la photo. Là, c'est plus de l'aspiration, mais de l'amputation qui devient nécessaire. Après "Balance ton porc", c'est "Balance ta graisse". "Suce-toi la peau comme moi!" me recommande Amélie (elle assume, m'a-t-elle dit).

Je rentre à la maison, à la fois contente - parce que ma "petite sortie" était vraiment belle (en gros, on apporte victuailles et matériel au CHU) et teintée d'émotion - et terriblement stressée de réaliser que je suis devenue obèse. Je partage mon angoisse avec mon ado, le roi de l'empathie qui, sentant sans doute que là, c'est vraiment la fin pour moi, commence par me rassurer:

"Meuh non, tu ne ressembles pas à ça, en vrai. C'est la photo qui fait ça"

Ouf.

Avant de poursuivre: "Enfin, si tu veux, tu peux toujours faire un régime".

L'empathie à son top, oui.

Le soir, j'ai mangé quelques légumes et basta. Appétit coupé. Nuit difficile (mais ça, ce n'est pas nouveau, merci mon copain le stress). Je cherche des images apaisantes dans mon esprit agité. Rien à faire, ça turbine et met mon sommeil à mal.

Le lendemain matin, je reçois le lien vers une vidéo: "La voie du corps pour relâcher le stress en confinement". Allez, pleine de bonnes résolutions, je m'installe sur le canapé, j'éteins le portable et je démarre les exercices. Il est question d'auto-massage. Un moment, il faut passer ses mains autour de son ventre pour masser le tube digestif. La dame explique que si, "à certains endroits", ça fait un peu mal, il ne faut pas hésiter à insister un peu avec ses doigts, "pour dénouer le stress".

Comment te dire, madame, si j'insiste un peu sur chaque parcelle sensible, j'y suis encore ce soir. Tout n'est que douleur. Je repense à Amélie et sa ventouse bleue qui me racontait sa souffrance à chaque passage sur sa cuisse. Aïe.

Au moment où je remonte vers les épaules dans ce même mouvement "doux et bienveillant" (ah ah), mon ado arrive. Il vient de se lever, le cheveu hirsute, le plaid porté comme une toge, les claquettes Adidas qui vont bien et l'air aimable de l'être de 16 ans qu'il est. Il s'installe lourdement sur le canapé, à côté de moi, allume sa console de jeu, prend son bol de céréales, commence à manger et s'arrête un instant sur la vidéo.

"Ah, trois vues? Une vraie influenceuse!"

Alors là, je tangue entre le rire et l'agacement. Allez trouver la paix intérieure avec un ado qui gigote à côté de vous en mangeant bruyamment ses céréales... Allez rester zen avec en fond le bruit de mitraillettes dans un jeu-vidéo...

Quand je lui ai demandé de la mettre gentiment en sourdine pour que j'essaie d'être plus zen (= donc plus cool avec lui), et qu'il n'a évidemment pas obéi, j'ai supposé qu'il serait difficile de poursuivre la voie du corps pour relâcher le stress en confinement. J'ai regardé la dame, un peu désolée, comme si elle pouvait deviner ce qui se tramait de l'autre côté de l'ordi (d'autant que ce n'était pas du direct). J'ai regardé mon ado, avec sa manette greffée à même la main. Je me suis vue, la main posée sur l'épaule. J'avais perdu une bataille, clairement.

J'aurais pu me jeter sur le chocolat pour faire taire temporairement le stress, ce qui aurait fini de m'achever. A la place, j'ai bondi sur Germain.

Je crois que Germain me hait. Il grince, à force. Mais moi, j'aime Germain. Avec lui, le stress finit par disparaître, comme le reste de neurones dont je dispose.

jeudi 9 avril 2020

L'expédition (guide de survie)

Deux jours que j'y pensais. La nuit de mardi à mercredi a été tellement courte que je me suis demandé si c'était la Lune ou l'idée de partir en expédition qui m'empêchait de dormir.

Mercredi matin, j'ai renoncé à l'expédition. J'étais pas prête.

Presqu'un mois que l'on est confiné, quelques cagettes de légumes livrées... mais là, mon frigo commençait à ressembler au désert de Gobi. Quand on a un bouledogue à la maison (= un ado de 16 ans), les stocks finissent par s'épuiser. OK, tu as besoin de faire tes courses, c'est quoi le problème? Disons qu'une virée dans un supermarché est difficilement compatible avec ma parano montante.

Après une nouvelle nuit agitée, allez, j'ai vaincu ma peur. Direction... Métro. Comme un supermarché, mais avec beaucoup moins de monde et des allées immenses. Alleluia. Ce matin, j'ai même cru que les gens exagéraient, sur les réseaux sociaux, que, en fait, les Français respectaient vraiment le confinement. Des rayons pleins de pâtes, de PQ, pas un chat... RAS.

Pour vous situer, je n'ai mis ni gants, ni masque. Je me suis juste lavé les mains avec du gel hydroalcoolique et je suis repartie, avec mes piles et ma ramette de papier (et un gros plein, quand même, c'est pas comme si j'avais eu zéro euro ce mois-ci) (Bref).

Et là, l'audace s'est emparée de mon cerveau malade. J'ai voulu faire un complément de légumes et j'ai filé au magasin bio, près de chez moi. Erreur.

Entre ceux qui te regardent parce que tu n'as pas ton masque (autant vous dire que j'ai mis aussitôt celui que l'on venait de me donner), celui qui se croit plus fort et qui touche toutes les bananes sans gant et qui se colle quasi à toi (= à 50 centimètres, warning) et la dame qui se met à quinze mètres de toi tellement elle transpire de peur, tu n'as qu'une envie: être téléportée chez toi. Vite.

On est bien, chez soi, au chaud :)

Comme tu as attendu une bonne vingtaine de minutes pour rentrer dans le magasin, tu restes. Tu rentres, tentes de te faufiler sans toucher quoi que ce soit, sinon les articles que tu frôles de tes doigts gantés, et tu attends patiemment de passer à la caisse. Forcément, tes oreilles traînent un peu et là, tu tombes en arrêt. La personne derrière toi, au téléphone avec sa "princesse", sa "puce" et sa "chérie", l'invite pour demain soir: "On fera un petit barbecue, d'accord?"

Euh, j'ai mal entendu?

"Tu feras attention", poursuit la dame sexagénaire, "parce que les contrôles routiers, c'est plutôt le soir. Mais viens dès que tu veux, d'accord, ma princesse?"

OK. Et là, tu te sens dans la peau d'un collabo qui a envie de balancer. Tu résistes, parce que tu n'es pas la police. Et tu sens cette espèce d'ambivalence en toi, entre la joie d'une humanité retrouvée d'un côté, depuis le début de la crise, et l'égoïsme latent de l'autre, exacerbé.

Devant moi, à la caisse, un monsieur a demandé s'il était possible de faire des sous-totaux, parce qu'il faisait des courses pour plusieurs personnes. La caissière a acquiescé, assurant que c'était devenu monnaie courante depuis un mois, et j'ai été rassurée, un peu, quant à l'esprit solidaire qui peut régner.

Rassurée, oui, mais pas tant qu'en rentrant chez moi, quand j'ai refermé la porte derrière moi. Comme si notre maison, devenue prison dorée, était le refuge face à la connerie de certains. Plus virulente encore que tout le reste. Et hélas résistante à tout vaccin.

mardi 7 avril 2020

Liberté retrouvée, liberté aliénée

Hier soir, avec une copine entrepreneuse (entendez, dans la même galère, mais toujours optimiste!), on s'est fait un petit délire sur le monde d'après. Au départ, on parlait sport (celui que je veux et dois faire pour dégripper cette vilaine graisse qui est en train de s'accumuler, là) et elle, grande sportive accro à ses séances, me montrait (par messenger, hein, on s'est fait pas une sortie tupperware à la maison) une figure acrobatique improbable.

Fingers in the noise, hein :)


Comment vous dire. Même quand j'avais 5 ans et que je faisais moins de 30 kilos, je n'aurais pas pu, alors imaginez à 45 balais, 4 tendinites aux bras et les effets du confinement. Elle, si gracile, m'assurait s'en sentir également incapable. Ou alors, bien saoule. Je lui ai donc lancé un défi: y arriver pour notre apéro géant de fin de confinement.

Avec 4 grammes dans le sang, on n'est pas à l'abri d'un exploit.

Et c'est là que sont venus les délires. De vraies petites paranos, toutes les deux. Un apéro géant? Oui, mais à l'extérieur. Avec un masque pour boire - drôlement pratique - et des gants - ça va glisser et on aura du talc partout à chaque fois qu'on les enlèvera. On se tartinera les mains de gel hydroalcoolique entre deux coupettes, avant de se gratter le nez et de se dire que c'est une mauvaise idée. C'est pas bon, cet alcool-là.

Ma copine rigolait. Et puis elle a reconnu qu'elle allait avoir un bug, après. "Je changerai de trottoir." "Je regarderai les gens chelous" "J'aurai des gants"...

Autant de prédictions à la fois improbables et justifiées, dans ce monde où on déploie désormais des drones dans le ciel parisien pour rappeler aux idiots qu'ils n'ont rien à faire dans la rue. Dans ce monde où nous sommes tracés avec notre portable, où certains doivent passer le test du thermomètre frontal pour circuler. Dans ce monde insolite sorti tout droit de l'imagination dérangée des scénaristes de Black Mirror mais... qui est le nôtre.

Au delà de cet apéro, on continuera de s'écrire des petites attestations dérogatoires de sortie, même pour aller pisser. Et on va se faire greffer un patch alarme: chaque fois que quelqu'un s'approchera trop de nous, bip bip. Je vous explique pas, le taux de natalité va chuter en flèche à ce rythme. Des gens écriront des thèses sur : "L'amour après le confinement" ou "Liberté retrouvée, liberté aliénée". Les magazines féminins titreront :"Comment copuler sans se toucher"; " Séduire en restant à deux mètres" "Les 50 caresses par le regard". On aura des tutos sur Internet: "Comment débrancher temporairement le patch" "Réinitialiser le patch en 3 minutes sans danger" et "garder le lien sans couper le fil."

Il y a des bons côtés. Terminé, les mains au cul dans le métro! La Schiappa va pouvoir s'occuper de tous les dossiers en cours, sans avoir à pénaliser les pratiques relous des mecs dans la rue, ça se fera automatiquement! Fini, les embrassades multiples quand t'es le dernier à arriver dans une soirée. Fini, l’écœurement refoulé à l'approche d'un pue-du-bec, plus besoin d'être en apnée, on pourra même respirer librement (bon, avec un masque, hein), sans avoir peur de le blesser.

Le truc de fou, c'est qu'avec nos nouvelles habitudes dignes des plus grands hygiénistes, on pourra même prendre les cacahuètes posées sur le comptoir, subitement immaculées et vierges de toute urine.

Ah oui, j'suis bête. J'oubliais que les cacahuètes, euh, comment dire? Ça va pas m'aider pour lever mon popotin et copier la dame.


dimanche 5 avril 2020

L'absurde devient normal, le surréalisme émouvant

L'autre soir, sur une chaîne de télé, j'écoutais une chercheuse expliquer les trois phases du confinement. Pour caricaturer , sidération, rébellion, acceptation.

Je crois être passée dans les deux premières phases simultanément, avant de tomber dans la troisième... sans chasser totalement les deux premiers sentiments.

Les insomnies, puis la migraine, à chaque réveil, me rappellent que je ne suis pas totalement zen. Pourtant, dire que le confinement est une horreur, non, je ne pourrai pas. Je vais m'engouffrer dans un lieu commun mais l'horreur, c'est ce qui se passe dans les hôpitaux. L'horreur, c'est ce qui se passe pour celles (ou ceux?) qui sont enfermés avec une personne violente. L'horreur, c'est le quotidien des SDF et des plus démunis qui n'ont même pas ce toit requis pour être confiné. L'horreur, c'est le sort de tous ceux que j'oublie et qui sont confrontés directement au virus.

Mais sincèrement, si je mets évidemment à part le sort de ma petite entreprise - ce serait comme une mutilation de la voir disparaître, je ne vous le cache pas - et mon inquiétude chronique qui en découle; si j'oublie l'égoïsme de l'adolescent - mais enfin, le confinement ne fait que mettre en relief ce doux comportement et n'en est pas le générateur - je vis le confinement chaque jour plus sereinement.

En vidant ma cagette, j'ai trouvé cette inscription. Indispensable... ou pas, finalement, de vivre ça et de le comprendre?


Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. On est d'accord que rien n'est normal. L'absurde devient normal et le surréalisme émouvant. Sur le web ou à la télé, je suis frappée par la soudaine promiscuité et la fragilité de ces personnes en visio, qui dévoilent - souvent dans une étonnante pudeur, paradoxalement - un peu de leur intimité. Je suis touchée de les voir, dépouillées de leur armure sociale, tomber le masque (enfin, si on veut!), de les sentir vulnérables ou simplement avec cette envie de se rapprocher. C'est le chanteur qui offre un p'tit concert, l'humoriste qui prépare sans le savoir son prochain spectacle, le psychologue expliquant les impacts du confinement, l'infirmière qui raconte son douloureux quotidien, le malade guéri... Avec ce mélange, souvent, de simplicité, d'une extrême gravité et d'une envie de légèreté. Comme pour oublier, un instant.

Oublier quoi? La tragédie que l'on vit, bien sûr. L'enfermement inhabituel que l'on "subit", évidemment. Le caractère absurde de la normalité, aussi.

Par exemple, il est moyennement normal que je kiffe certains moments un peu... euh, improbables, dirais-je. Profiter de sortir la poubelle pour sentir les doux rayons du soleil, devant ma porte d'entrée, alors que, globalement, je côtoie deux conteneurs à poubelles, un gros frelon qui squatte le lieu depuis deux jours et un jardin absolument pas entretenu. Bah, que voulez-vous, j'aime.

Moyennement normal de me retrouver à 15 heures en legging sur mon stepper rose, pendant que mon fils fait des crunchs là-haut. Et d'aimer ça, aussi.

Moyennement normal, pour moi en tout cas, de considérer comme un acte fondateur le fait d'être à jour dans ses lessives et d'avoir lavé toutes ses vitres.

Moyennement normal de passer plus de temps au téléphone avec son assureur et sa conseillère bancaire qu'avec sa propre famille.

Moyennement normal de regarder la télé, moi qui avais fini par la considérer comme un objet mort.

Moyennement normal de sentir cet écœurement à la vue de gens qui se font la bise, qui se frottent les uns aux autres, qui se touchent comme si de rien n'était, dans tout film ou reportage avant mars 2020. Beurk.

Moyennement normal de souhaiter bannir à vie la bise.

Moyennement normal de vouloir porter un masque.

Moyennement normal de considérer ta journée déjà pleine pour avoir enfilé un jean.

Moyennement normal de vouloir se faire tester, en espérant un résultat positif quand tu penses avoir eu le covid, évidemment, pour t'assurer de ton immunisation (c'est mon cas, merci la grippe du 15 février).

Moyennement normal de se préparer psychologiquement pour sortir, sachant que ta sortie se fera en voiture et que tu ne croiseras personne, a priori. 48 heures avant, je me sens déjà toute chose, comme si le virus allait m'attaquer de toutes parts, comme s'il n'attendait que moi pour piquer ses fourches microscopiques sur ma peau (alors que je suis à peu près sûre d'être immunisée, merci la grippe du 15 février).

Moyennement normal de ressentir la sortie de la semaine - récupérer un panier de légumes et des oeufs - comme un exploit historique.

Moyennement normal d'appeler pôpa-môman tous les deux jours et d'avoir envie de pleurer d'être passée à quelques centaines de mètres de chez eux sans pouvoir t'arrêter.

Moyennement normal d'envier tes chats qui peuvent vaquer à leurs occupations, les voir sauter au-dessus du grillage et te sentir horrifiée de les voir ainsi outrepasser la règle. Avant de te souvenir que eux peuvent (et que de toute façon, tu abîmerais le grillage en les imitant).

Moyennement normal de refuser de sortir. Alors qu'on me dit que "j'ai le droit". "J'ai le droit" ne veut pas dire: "Tu dois". (c'est mon côté ayatollah, je sais).

Vous savez quoi? C'est peut-être le fait que rien ne soit normal qui finit par me rassurer, dans ce confinement. Plus rien n'est étonnant, plus rien n'est lisse, on découvre chaque jour de nouvelles ressources en soi. "Il ne faut pas blâmer une contrariété", dit-on souvent, en rigolant, avec mon apprentie, en gros, chaque fois que l'on a foiré un truc et que l'on s'en sort bien. Je n'irais pas jusqu'à affirmer que ce qui nous arrive est un mal pour un bien. Mais si on essayait de le vivre comme un moment à part, tout simplement? Un moment pour juste respirer? Faire le point?

Et réaliser que notre "normal" d'avant ne l'était pas tant que ça?