lundi 26 octobre 2015

Dégoter la tenue de Shiva

Quand tu rentres du boulot et que tu ramènes ce genre de douceurs, tu mesures l'intérêt de bosser en pâtisserie plutôt que dans un magazine de sport...
 
 
"- C'est négatif."
 
Au bout du fil, un pâtissier, qui cherchait une personne pour deux mois et la folle période de Noël.
 
Pas assez expérimentée.
 
Deux jours plus tôt, j'avais commencé ma journée dans ce labo bien agencé, prenant mes marques au plus vite, histoire de faire un essai qui serait le plus concluant possible. Après avoir dressé des entremets, couché et garni des macarons, coupé des abricots en brunoise, préparé des glaçages, foncé des tartes, mais aussi broyé des biscuits, jeté des cartons, raclé le sol (je sais, je vends du rêve), j'avais l'impression d'une immersion à la fois express et longue dans ce nouvel univers.
 
Express parce que j'ai vu en un éclair un condensé de ce qu'exige le travail en labo ; longue par la multitude de tâches réalisées en une seule journée.
 
Si j'avais mes chances? Bah, nous étions cinq sur le poste et je savais pertinemment que d'autres avaient d'autres atouts, en termes d'expérience, évidemment. Je suis repartie du labo un rien fourbue, quand même, mais contente. D'abord, j'avais appris, notamment ces gestes techniques où je tâtonnais encore, tant le chef sait donner de sa personne pour former.
 
Et puis, j'avais donné ce que je pouvais, en m'appuyant sur ce que j'avais déjà acquis cet été lors de mon premier CDD dans une autre boîte.
 
Visiblement, ce n'était pas assez.
 
Pourtant, ce samedi au téléphone, je ne me suis pas sentie envahie par la déception. Après tout, j'avais répondu à l'annonce avec envie, mais sans vraie conviction quant à mes réelles chances. Peut-on parler d'élan du désespoir? Vous savez, quand vous avez cette impression d'être au milieu du désert sans l'espoir d'une oasis à moins de 10 000 à la ronde...

Oui, j'étais désespérée quand j'ai postulé et je demeure dans un état un rien équivalent (mais avec le sourire, allez comprendre). Je ne sais pas quoi faire de ce dilemme que je vis, entre l'envie de lancer mon entreprise sans un sou en poche ni indemnité, et la nécessité de trouver, vite, un job pour renflouer les caisses.

C'est cette nécessité qui m'a conduite dans ce labo, après une nouvelle exploration dans les méandres de la création d'entreprise. Car, quelques jours plus tôt, j'étais allée raconter mon "grand projet", suite à mon premier contact avec une coopérative d'entrepreneurs. Trois heures de face à face, pour exposer les grandes lignes, mes envies et mes doutes.
 
"Vous ne les vendez pas assez cher, vos pâtisseries", en a conclu la conseillère, de façon très lucide.
 
Lisant mon découragement, elle a ensuite tenté de me rassurer, m'a encouragée à poursuivre dans cette voie... tout en travaillant à côté.
 
Ce que j'avais déjà imaginé, donc, en me demandant où j'allais bien pouvoir dégoter la tenue de Shiva.
 
Je suis rentrée mi figue mi-raisin de cet entretien. J'ai eu du mal à en parler, gardant pour moi ce mix d'inquiétude et d'enthousiasme. Et puis, le lendemain, c'est monté, et j'ai craqué.
 
Je me suis dit que, vraiment, je faisais fausse route, qu'il était inutile de s'entêter et que la pâtisserie, c'était fini pour moi.
 
Après, dans un ultime sursaut, il y a donc eu cet essai.
 
En toute honnêteté, je suis partagée entre l'idée de jeter l'éponge et celle de chercher, encore, une alternative pour ne pas foutre en l'air tout ce chemin que j'ai dessiné et tracé depuis deux ans.
 
De toute façon, ai-je le choix?

mardi 13 octobre 2015

Hic et déclic

On s'amuse comme on peut, hum?
 
Souvenez-vous, je vous parlais de cette dame un rien sournoise, l'Angoisse, qui me paralysait parfois, me rappelant que la route était décidément bien tortueuse.
 
Autant vous dire que j'ai mis pas mal de choses en place pour l'abattre. Il y a eu le sport, d'abord. Courir pour oublier, courir parce que c'est juste bon, aussi. J'ai cru que, à force, mes cuisses allaient être aussi dures que ma caboche et, en bonne Bretonne que je suis, je peux vous dire que là, y'aurait eu perf.

Là-dessus, le fantôme de Pierre Richard a fait son come-back et je me suis offert un joli moment de solitude en tombant comme une crêpe de mon vélo. Oui, oui, étalée de tout mon long, la poitrine sur le guidon et les pattes emmêlées je ne sais comment...
 
Aussi raide d'une gousse de vanille desséchée, il a bien fallu improviser. Heureusement, tout s'est enchaîné. Consciente que, de toute façon, j'aurais eu du mal à faire de mes deux, trois courses quotidiennes mon métier-de-quand-je-serai-grande, eh bien, je me suis mise à pousser les portes, fureter ça et là, envisager tout et son contraire... Et au milieu de cette agitation, entre doutes et espoir, j'ai surtout senti une énergie précieuse circuler.

Eh oui, que les nostalgiques du pilou fassent leur deuil: j'ai tout remisé au placard pour inventer de nouvelles pistes, plus, comment dire... constructives. Alors, un rien clouée à mon canapé, j'ai regardé les annonces. J'ai rencontré un cuistot passionné, adepte du fait maison, et qui m'a rappelé mon forçat toqué d'il y a longtemps. Il m'a parlé comme si j'allais bosser à ses côtés, sauf qu'il avait déjà embauché une autre personne. Visiblement, cette dernière a dû faire l'affaire puisque depuis, c'est silence radio.
 
Après, j'ai poussé la porte d'une association d'employeurs, histoire de montrer ma trogne à des gens qui, éventuellement, voudraient bien de moi en cuisine. Depuis, c'est silence radio.
 
Et puis, j'aurais pu menacer l'Amazonie de déforestation si nous n'étions pas à l'ère numérique, à force d'envoyer lettres et CV.
 
Résultat, silence radio.
 
Y'a pas de secret, en même temps. Je suis jeune diplômée, mais j'ai quand même 41 balais. Je ne veux pas bosser en coupure (entendez, faire les services du midi et du soir) tous les jours dans une usine de 200 couverts. Alors, il reste les petites adresses, les chefs artisans, les amoureux du goût... Oui, tous ceux qui peinent à s'en sortir tant les charges sont lourdes et qui préfèreront logiquement renforcer leur cuisine avec un ou deux apprentis, plutôt que de recruter une jeune-mais-vieille commis...
 
Défaitiste? Allons... Je constate, c'est tout, sans aucune amertume. Après tout, je le savais tellement, tout cela, que c'est avec mon projet individuel que je suis partie, bille en tête, me former en cuisine et patoche.
 
Et c'est bien ce qui est en train de me rattraper.
 
Parce qu'entre les silences radios des uns et les refus polis des autres (oui, certains ont la classe de répondre, et même si c'est négatif, c'est quand même drôlement appréciable), les coups de fil se sont un rien multipliés, qui pour un framboisier, qui pour un Royal, qui pour des macarons, qui pour... Des commandes un peu inespérées, qui m'ont permis de pâtisser avec l'objectif de répondre à une vraie demande... et de (me) faire plaisir aussi.
 
Ensuite, les retours m'ont tellement encouragée que je me suis prise à rêver.
 
Et si?
 
Oui, et si je tentais de nouveau l'aventure de la P'tite Madeleine? Et si je confectionnais de nouveau des pâtisseries, un poil plus pro quand même qu'à l'époque mancelle? Et si je les livrais, aux restaurateurs et aux particuliers?
 
Bien décidée, je suis montée au créneau, lançant même un site juste-pour-voir, afin de présenter mon projet à une coopérative, sorte de pépinière d'entreprises.
 
C'est là que la schizophrénie s'en mêle, tant je sens mon cerveau se dédoubler.
 
Un côté me dit que, de toute façon, vu l'état de mes recherches, autant construire sa propre voie sans s'entêter dans un salariat qui ne veut pas venir, à trois mois d'une fin de droits très redoutée.
 
L'autre côté me rappelle cette douloureuse échéance en me tillant juste pour savoir si, par hasard, j'ai songé que j'avais un loyer et des charges à payer. D'où la nécessité d'être salariée, sans aller inventer des histoires et s'illusionner une nouvelle fois.
 
Parce que c'est bien le sentiment actuel qui domine. J'ai envie, très envie, de lancer vraiment mon affaire.
 
Le déclic, ça a été la visite d'un labo, partagé par plusieurs entrepreneurs, et que je peux concrètement louer pour confectionner mes douceurs.
 
Le hic, c'est que je marche actuellement au-dessus d'un précipice, sans aucune visibilité et je sais décemment que mon affaire ne pourra être viable d'emblée.
 
Le déclic, c'est une rencontre entre futurs entrepreneurs qui voudraient comme moi rejoindre une coopérative, pour lancer leur business en prenant le temps nécessaire pour ce faire.
 
Le hic, c'est que je n'en ai plus, de temps.
 
Alors, voilà, maintenant que je suis diplômée, que j'ai la possibilité d'avoir un lieu de travail opérationnel, un statut (enfin, un numéro SIRET!), je me retrouve dans cette jungle de doutes et de questionnements. C'est au delà de la peur, sincèrement. C'est juste cette confrontation terrible avec la réalité.
 
Vous me direz - avec une pointe d'humour ou de cynisme, sans doute - joue au loto ou gagne une assurance-vie en fricotant avec un vieux riche.
 
Je vous dirai que là, je n'ai même pas envie d'essayer. J'ai juste l'impression d'être au bord du plongeoir, prête à réaliser le plus gros saut de ma vie, mais bloquée par cet élastique infernal qui semble parfois disparaître, pour m'enserrer l'instant suivant toujours plus fort.