mardi 30 novembre 2010

Le givre, le râteau et la masochiste

"Qui sont les anorexiques?"

Hein, quoi, euh, pas taper, je vous jure, c'est pas moi.

5h30, la radio s'est mise en marche. Réflexe immédiat: donner un grand coup dedans. Et se rendormir aussi sec.

Ah mais non, c'est vrai. Debout, la fainéasse. Y'a entretien aujourd'hui. Et dire que je suis une vraie marmotte... On n'a pas des vies faciles, je vous jure.

Je suis en mode radar mais j'ai bien compris que 1/ je vais me geler dehors; 2/je vais devoir gratter le pare-brise; 3/je teste la part masochiste qui grignote chaque jour un peu plus la moindre parcelle de mon esprit malade. Faire tout ça pour savoir pertinemment que ce poste ne sera pas pour moi, ça confère un rien au pathologique.

Bref.

Mes sens sont plus aiguisés que je ne l'espérais, cela dit.

A 6h32, je goûte le thé brûlant, décidant que mon palais souffre pour la bonne cause et que j'aurais bien besoin de quelques litres pour attaquer la journée à fond.

A 6h48, je sens bien le contact frigorifique du volant et du givre sur mes mains - malgré les gants.

A 7h02, dans le tram, je sens bien que le monsieur à côté de moi s'est réchauffé, et pas avec du café.

A 7h18, j'entends bien les soupirs de la dame à la presse de la gare, répétant d'une voix lasse le prix des journaux qu'elle encaisse.

Et dans le train, je vois tout de suite le monsieur physiquement intelligent installé assez idéalement, pour que je le mate en douce (ben quoi, une fois le Libé terminé, faut bien trouver quelques occupations). Je crois que je le mate en douce, mais en fait, non, en témoigne son oeillade de retour... dans un miroir. La tuile. Allez, j'abats mes cartes, je la joue complice. En plus, j'ai ma panoplie de tueuse, j'ai tout, j'suis crédible.

Râteau. La nana en face de lui n'est pas juste une voyageuse assise par hasard. C'est celle qui accompagne la bombe. Son officielle, quoi.

Oups.

Bon, on peut pas toujours être au top, pas vrai... Mais aujourd'hui, je dois me persuader du contraire, je suis une killeuse. Ce rendez-vous, je le conçois comme un entraînement, je me suis donc mise dans la peau de la candidate parfaite (ah ah). Ce poste, il est pour moi...

A suivre...

lundi 29 novembre 2010

Why not

J'avoue : je vous ai détestées, vous, les personnes bienveillantes, remplies d'empathie, qui m'avez conseillé, ici ou sur Facebook, de ne pas rater ce rendez-vous.

J'avoue: je me suis détestée, d'avoir raconté que j'étais convoquée à un rendez-vous, auquel je ne pensais pas aller.

J'ai passé deux bonnes nuits difficiles à faire du tetris dans ma tête, et sachant que mes neurones sont actuellement concentrées sur des conseils institutionnels pas piqués des vers, je vous assure qu'il y a challenge. Et mal de crâne inclus.

Bon. C'est vrai. Ce genre d'expérience est toujours intéressante à vivre.

C'est vrai, ça ne mange pas de pain.

Et puis, un quotidien sans cesse bousculé, c'est bien ce que je cherche en permanence, après tout...

Que l'on ne s'y trompe pas: je ne retourne pas vivre au Mans. J'ai les deux pieds collés au sol nantais, je vous assure. Mais j'aime bien l'inconnu, alors...

samedi 27 novembre 2010

Dilemme

Surprise dans ma boîte aux lettres aujourd'hui : j'ai reçu une convocation pour mardi, pour un entretien d'embauche. Pour un CDD, un vrai de trois ans, avec salaire OK, boulot OK, sécurité OK. Poste de journaliste, ok - la carte en moins, quand même, mais bon, on va pas chipoter.

Un de ces trucs que n'importe quel chômeur en fin de droits (au hasard, moi) rêve de recevoir.

Et donc? Et donc, je ne sais pas quoi faire. J'y vais? J'y vais pas?

Comment ça, t'y vas pas, me crie l'angelot sur mon épaule droite, mais enfin, tu en crèves, de ne pas retrouver un boulot "normal", rassurant et fixe!

Comment ça, t'y vas? hurle le diablotin sur l'autre épaule, mais enfin, tu viens de tout changer pour t'ouvrir de nouveaux horizons!

Eh bien oui, figurez-vous que ce poste, dont je vous avais déjà parlé, ce poste se situe... au Mans. Oui, oui, c'est bien ça. Rewind, on rembobine, on oublie les aléas du déménagement, on efface l'opération sacrifice-je-sens-la-frite-mais-je-suis-connectée-au-oueb, on ne jette pas les cartons qui patientent gentiment dans la cave et hop, retour à la case départ.

Sauf que la case départ, personnellement, je la situe là où je me trouve actuellement. Je n'ai pas fait tout ça pour repartir aussi sec d'où je viens.

Qu'est-ce que cela me coûte, après tout, d'aller à l'entretien, me direz-vous (hormis un billet de train, et je vous assure qu'actuellement, c'est peu mais pour moi ça commence à devenir beaucoup - France Gall, sors de ce corps)? Pas grand-chose, on est d'accord. Je crains juste de remuer le couteau dans la plaie, en sus de faire perdre du temps à des gens.

Moi qui aime l'ironie, me voilà servie.

vendredi 26 novembre 2010

Je plaide coupable - le mal de mère

C'est bête, hein... L'autre soir, j'ai regardé un docu très bien fait sur "les mères indignes" et je riais, mi-outrée, mi-soulagée. Les pulsions que j'ai pu parfois pu ressentir avec la chair de ma chair, je ne suis (hélas?) pas la seule à les avoir eues, regrettées et, globalement - heureusement - contrôlées.

Les paroles de ces femmes parfois dépassées, parfois hilares, étaient tout bonnement incroyables, parfois choquantes, bien sûr, souvent tellement réalistes. Elles n'avaient pas peur de passer pour ces monstres d'égoïsme que la société voudrait imposer comme modèle à bannir. Alors qu'elles sont juste des mamans normales, partagées entre l'amour absolu pour leur enfant, leurs enfants, et leur désir de vivre leur vie, sans ces chaînes au pied.

J'ai éteint en pensant que je n'étais ni meilleure, ni pire que les autres.

Hier, j'ai accompagné Loulou à une sortie scolaire - les Machines de l'Ile de Nantes, quelle merveilleuse idée! Enfin des grands à l'imagination fertile, qui n'ont rien perdu de leur âme d'enfant!- et malgré la migraine logique après un tel cyclone (Loulou qui est une vraie pile m'a semblé finalement plutôt calme parmi cette horde d'agités, vous imaginez le niveau d'hyperactivité de ces mômes!), j'ai pris le temps de discuter hier soir avec mon rejeton, en me disant que j'adorais ces moments de complicité-là, cette sérénité qui se dégageait, son adaptation à sa nouvelle vie.

Blablabla...

Sauf que là, j'ai le moral en vrac. J'ai mis une soufflante - une engueulade, je veux dire - à Loulou ce matin et, à vrai dire, il ne l'avait pas volée. Il n'y a pas eu de claque mais, quand même, un coup de pied aux fesses, un vrai, un qui m'a fait mal moi-même et qui m'a surprise par sa violence. Évidemment, Loulou était en larmes et m'a à peine concédé un bisou d'au revoir, quelques minutes plus tard, quand il a fallu se quitter devant le portail de l'école et pour le week-end.

Vous imaginez la culpabilité que j'ai pu ressentir.

Je devrais oublier. Me sortir ça de la tête. Parfois, je lui dis, à Loulou, comment je fais pour évacuer les idées noires. Je les colle dans un ballon gonflable, je fais un noeud, je l'envoie vers le ciel et je le regarde filer, loin là-haut. C'est idiot, mais ça marche.

Sauf que là, je n'y parviens pas.

Et du coup, tout rejaillit, les incertitudes, les angoisses, l'avenir...

Je crois bien que je déteste le froid, qui me congèle tout mon enthousiasme pour ne laisser en moi qu'un vide abyssal et l'envie d'aller hiberner ces six prochains mois.

mercredi 24 novembre 2010

La sauce du fantôme

Résumé des épisodes précédents:

Je rêvais d'être journaliste.
Je rêvais d'être journaliste à Bip-Bip magazine.
Je suis restée journaliste à Bip-Bip magazine une petite quinzaine d'années.

Je rêvais d'ouvrir un restaurant.
Je rêvais d'ouvrir un restaurant et de cuisiner pour des vrais gens.
Je rêvais de faire de la pâtisserie et que les vrais gens viennent savourer tout ça.
J'ai signé un compromis de vente pour l'acquisition d'un restaurant, j'ai mitonné quelques gâteaux ça et là et je suis restée en rade.

J'ai rêvé d'allier mes deux passions, l'écriture et la cuisine.
J'ai compris que dans la vraie vie, la place pour le rêve diminuait au fur et à mesure que la réalité (payer son loyer, son miam miam, tout ça) nous rattrapait.
J'ai bien perçu le côté triste de la chose mais comme je suis une grande rêveuse, j'ai juste remisé à plus tard certains utopies.
Pour quand je serai grande.

La vie des autres m'a toujours passionnée.
Écouter la vie des autres m'a enchantée.
J'ai longtemps rêvé d'être nègre. Écrivain fantôme. Ce genre.
J'ai rencontré Poney.

Poney me nourrit de ses mots et moi, je nourris son irrépressible envie de laisser une trace sur cette terre, la trace de sa vie incroyable et palpitante.

Poney remplit des cahiers de ses écrits. Et les mots prennent véritablement vie, sortent des pages, dansent et virevoltent lorsqu'elle évoque ses tranches de vie.

Deux fois par mois, elle et moi nous donnons rendez-vous sur son perron, pour le traditionnel salut, toujours enjoué de part et d'autre. Et nous nous dirigeons tranquillement, au rythme de ses pas saccadés, vers le fond de son jardin. Dans son cabanon. Nous nous asseyons. Je la regarde. Je branche mon dictaphone. Je lui pose une première question.

Je suis soudainement transportée dans le New York des années 30. Poney, aussi, à entr'apercevoir le voile qui marque son visage, si proche, si distant à la fois. Les minutes s'égrènent vite et les détails se bousculent, parfois sans logique aucune. Poney dit que tout ça, c'est loin, que la Poney qu'elle me montre sur ces photos incroyables, est une autre qu'elle-même.

Mais elle fait revivre cette petite fille gâtée et solitaire, cette jeune femme mutine et talentueuse, à chaque mot qu'elle prononce.

Comment traduire cette énergie? Comment relater au mieux un tel parcours? Au fil des entretiens et du travail que j'accomplis, à mon retour, en tête à tête avec mon ordinateur, je réalise à quel point la mission du nègre s'avère délicate: il faut s'effacer, soit, pour rester fidèle à la personnalité de votre interlocuteur. Mais lorsqu'un passage vous semble un rien fade, la tentation est grande de le ficeler autrement, de s'en arranger, de remanier le tout. A sa sauce.

Sauf que Poney ne veut être cuisinée qu'à sa sauce.

Finalement, la cuisine et l'écriture sont bel et bien liés. Je suis en train d'expérimenter, à ma sauce, leur exaltante combinaison.

mardi 23 novembre 2010

Semelle en vrac

Le monsieur plutôt physiquement intelligent de chez Alice est bien passé hier, mais je n'ai toujours pas internet chez moi. J'ai bien essayé de le soudoyer, avec un café, mais que voulez-vous, tout se perd, il a décliné poliment l'invitation, pressentant sans doute des conséquences fâcheuses...

...

Ben quoi, on peut plus se faire de films? Pas que je m'ennuie, mais je me sens un peu coupée du monde, là, à rester entre mes quatre murs sans sortir ET sans contact avec la vie en 2.0.

Pour tout vous dire, j'enchaîne les missions de rédaction et j'y prends de plus en plus de plaisir (mon côté masochiste, j'imagine). Pendant les réunions, j'ai même le temps, désormais, d'observer le petit détail qui tue. Tiens, d'ailleurs, je vais en faire un objectif, désormais: trouver la petite perle de la journée.

Après la réflexion sur le "vieux machin", j'ai dégoté la semelle défoncée de monsieur le Maire (je suis - assez loin - derrière lui, c'te chance), ce qui m'a laissé penser qu'à force de traîner dans les Conseils, il en a oublié d'avoir une vie personnelle (et donc de s'acheter de nouvelles chaussures).

Tiens, c'est marrant, ça me rappelle quelqu'un...

Oups, je sors.

samedi 20 novembre 2010

Evasion

Chouette! Mon horoscope m'a prévu de l'évasion, aujourd'hui. Et c'est vrai: dès 7h ce matin, j'étais sur la route... Pour couvrir un conseil municipal, 150 km plus loin.

Quand je dis "la route", je parle de ces merveilleuses nationales sans fin parsemées ça et là d'arbres et de gros rond-points (sinon c'est pas drôle).

Le ciel était magnifique, tout en nuances rosées et orangées... Avant que je me prenne une bonne vieille averse sur mon brushing tout neuf.

J'adore ma vie.

mercredi 17 novembre 2010

La morte du lundi matin

La semaine a commencé bizarrement. En rentrant de l'école, lundi matin, je tombe en arrêt devant deux croque-morts et un troisième monsieur (le chef?), relevant à grand peine un sac tout blanc pour le poser le plus délicatement possible sur le brancard.

Une housse pour protéger un mort, quoi.

Hum, j'ai beau vouer une adoration totale à Dexter et Six Feet Under, je crois que voir un macchabée comme ça, au pied de l'ascenseur, ça me fera toujours bizarre.

Bêtement, je leur ai proposé de tenir la porte d'entrée. Oui, qu'ils m'ont dit. Avant de remettre la morte en place, l'attacher, répondre au portable, tout en continuant de sangler le corps... On dira ce qu'on voudra, mais le respect pour le défunt s'est un rien entaché, d'un coup. Bon, au bout de dix minutes, je commençais à fulminer, j'avais beau me raisonner en me disant que j'avais tout mon temps, parce que, MOI, j'étais vivante, je trouvais qu'ils poussaient un peu le bouchon. C'est là que la fille, enfin j'imagine, de la morte (au format de la housse, c'était une femme), est arrivée et m'a proposé de tenir la porte.

"Ben je veux bien, parce que j'ai pas toute la journée, hein!"

Elle n'a rien dû comprendre, la pauvre, et se dire qu'elle ne méritait pas tant d'agressivité, tandis que je remontais les escaliers, furibarde contre ces croque-morts qui ne m'avaient même pas remerciée d'être trop bonne poire.

Lorsque j'ai raconté l'anecdote à mon père l'après-midi, sa réaction n'a pas tardé:

"Mais t'as besoin d'aider tout le monde, comme ça? Arrête!"

Moi:

"De toute façon, ils gênaient le passage. " (enfin, surtout la morte sur son brancard, paix à son âme).

Oui, obligée de mentir pour me justifier. Parce qu'en vrai, il y avait un autre chemin pour accéder à l'escalier. Mais enfin, sinon, il va croire que sa fille s'est transformée en mère Théresa. Ce qui n'est pas le cas, loin s'en faut.

C'est juste que je n'aime pas cogner dans les morts, ça me rappelle notre vulnérabilité.

mardi 16 novembre 2010

Nouvelle vie et vieux machin

Finalement, l'armoire a bien failli rester sur la pelouse, fracassée en deux. A 22h30, nous avons décidé de l'installer sur le palier, pour une durée indéterminée, sa tête ne passant pas par la porte d'entrée de mon appartement.

Franchement, nous n'étions plus à ça près. On a fini la soirée à écouter les blagues camerounaises du boss, boire du Coca à même la canette, avachis sur des cartons, avant de refermer la porte.

Cette fois, j'y étais.

Vous dire que ma vie a radicalement changé serait à la fois juste et faux.

Juste, dans le sens où je dois repartir de zéro, prendre mes repères dans cette ville que j'ai connue lors de mon enfance et mon adolescence. Je trouve ça très excitant, très rafraîchissant, surtout à une période de l'année où l'on a plus tendance à se calfeutrer chez soi.

Faux, dans le sens où je n'ai pas (encore?) une routine liée à un changement de rythme, je sais pas, des horaires de travail à respecter, un périph bondé à traverser, ce genre de détails. Et puis, depuis que je suis arrivée ici, je passe ma vie dans d'autres villes, au Mans, d'abord, pour Poney, mais aussi pour de nouvelles retranscriptions sur site, comprenez dans un hémicycle où l'on ne ressort pas indemne.

N'empêche. Qu'est-que je rigole toute seule, parfois, sur ces retranscriptions. L'autre jour, par exemple, c'était une séance consacrée à des votes. Les collaboratrices de l'instance, chargées du bon déroulé des élections, ne songeaient pas toujours à éteindre leur micro. Eh bien, vous savez quoi? Il faut toujours se méfier des jeunes assistantes un peu pincées.

"On lui dit, au Vieux machin, qu'il se grouille un peu?"

"Arrête, et l'autre, t'as vu sa face?"

Je vous laisse imaginer les gloussements et autres ricanements.

Oui, vous voyez, rien n'a changé, je continue de me contenter de ces petits riens qui égayent mes journées...

dimanche 14 novembre 2010

Abdel, les déménageurs et l'histoire du vin en carton

6h32.

Il est l'heure. Un rapide coup d'oeil embrumé plus tard, je suis debout, prête à en découdre avec cette journée qui s'annonce particulièrement longue.

7h48.

Je descends vérifier que les panneaux de stationnement sont bien en place. Ils sont bien en place. Tellement qu'un boulet s'est garé sur l'une des places réservées. Me voilà partie pour en découdre de nouveau avec le commissariat. Pitié.

8h13.

Le boulet est parti. Cette journée sera placée sous le signe de la chance.

8h43.

Les déménageurs ne sont toujours pas là. Cette journée sera à graver dans viedemerde.com.

8h52.

J'ouvre mon fichier et reprends la retranscription de mes débats. C'est pas comme si je déménageais aujourd'hui.

9h12.

Je compose le numéro de la société de déménagement. Je m'attends déjà à la voix de la dame de France Télécom m'annonçant que le numéro de mon correspondant n'est plus en service.

9h13.

Je laisse un message un peu énervé.

9h14.

Le boss de la boîte m'appelle. "On arrive dans vingt minutes!".

9h15.

Hum.

9h16.

Quitte à poireauter, autant aller consulter ma messagerie. Facebook s'affiche en masse.

9h18.

J'ajoute un commentaire sur Facebook, répondant à un ami.

9h21.

L'ami m'appelle. On discute de tout et de rien, j'entends sonner dans l'appareil, je maudis ma batterie.

9h48.

Nous raccrochons. J'ai huit appels manqués de la boîte de déménagement.

9h49.

Hum.

9h50.

Le boss me rappelle et engueule dans le même temps un syndicaliste pour le laisser passer. Le gros camion est coincé dans le cortège de la grève.

9h51.

Je reste zen.

9h52.

Lui non.

9h58.

Le boss gare le gros camion, râle contre une voiture stationnée. Ses deux comparses surgissent de je ne sais où.

10h.

C'est parti.

10h15.

Après avoir soulevé trois petits meubles, je me rends à l'évidence: rien de mieux que des pros. Je retourne à ma retranscription. Sympa pour passer le temps.

10h22.

Je me rends à l'évidence. Entendre vingt fois "Mademoiselle! Mademoiselle!" ne favorise pas la concentration aiguë. Je garde la ligne ADSL branchée, au cas où, sans trop de conviction.

10h35.

Je viens de perdre une bonne quinzaine d'années, d'un coup. Le boss me demande ce que je fais dans la vie. "Vous êtes étudiante en quoi?"

10h36.

Il ferait n'importe quoi pour amadouer ses client(e)s, celui-là.

10h37.

N'empêche, je suis flattée.

10h45.

A bien y réfléchir, avec les années, je crois que je me suis spécialisée dans l'étude du comportement humain dans les situations les plus ubuesques. Mon plus fidèle cobaye? Moi-même, évidemment.

11h23.

"Madame", me demande le plus jeune en portant une commode, "tu es Algérienne?"

11h24.

"Madame" "Tu"... Voilà qui est tout à fait logique. Ma ressemblance avec le type algérien ne m'a jamais semblé flagrante, mais enfin, bon, pourquoi pas.

11h25.

Son collègue me fait un gros clin d'oeil et chut avec la main, tout en portant l'autre côté de la commode.

11h26.

"Non, parce qu'Abdel, il m'a dit que tu t'appelais Delila."

11h27.

Je vois bien qu'il est déçu. Et j'admets que "Stéphanie" est un moins joli prénom, mais qu'est-ce que j'y peux, moi, si mes parents ont fait preuve d'une originalité exceptionnelle en me nommant ainsi dans les années 70?

12h03.

"On va pas la démonter, cette armoire. On la passe par la fenêtre, okay." Quand le boss pose une question, il pose en fait une affirmation. Okay, alors.

13h08.

Avec ses grosses chaussures toutes sales, Abdel vient d'aller se laver les mains dans la salle de bain, celle-là même que je viens de récurer de fond en comble, avant l'état des lieux du milieu d'après-midi. Bon, de toute façon, je devais m'y attendre, à être dans la mouise jusqu'au cou.

13h37.

Le plus jeune, qui continue d'alterner entre tutoiement et vouvoiement, s'arrête net. Aurait-il vu une mygale? (Ben quoi?)

13h38.

Il a lu "vin" sur des petits cartons. "C'est de l'alcool?", qu'il me demande, horrifié.

13h38.

Devant ma réponse, il enchaîne: "je ne peux pas les porter." Ok, je vais les porter alors. Soudainement, il est de nouveau pris d'une crise de panique. "Là, là!!" "Oui, quoi, là?" Il me montre, affolé, un autre carton sur lequel est inscrit "Bouteilles." Un carton... qu'il a déjà porté. "Ça? Non, ne vous inquiétez pas, ce sont juste des bouteilles d'huile d'olive, de vinaigre balsamique, pas de souci."

13h39.

Comme quoi, parfois le mensonge est profitable.

13h40.

Je suis contente d'être dans le noir du couloir. A défaut du nez qui s'allonge, je sens mes joues rougir.

14h02.

Je croise une voisine, on discute, je m'évade cinq minutes de cette journée, et vas-y qu'on cause, qu'on se dit des au-revoir à n'en plus finir... en bloquant l'ascenseur.

14h05.

En entendant Abdel tambouriner à la porte de l'ascenseur, je finis par comprendre que je suis en train de retarder mon propre déménagement.

14h06.

Parfois, souvent même, je me fatigue toute seule.

14h07.

Je n'ose imaginer l'état dans lequel je peux mettre les autres, non dotés de cette auto-indulgence qui me permet de me coucher tous les soirs sans avoir à me mettre KO toute seule.

14h18.

Je descends d'un étage et dépose au pied de la porte un petit souvenir à mon autre voisine, que j'aurais aimé revoir mais qui est visiblement absente. Mince.

14h23.

Mon armoire a failli fracasser les fenêtres d'en dessous environ une quinzaine de fois mais est finalement sur le trottoir, attendant tranquillement qu'on veuille bien s'occuper d'elle.

14H27.

Avec mon vaporetto dans une main et mon éponge dans l'autre, je suis à fond, là. Je blêmis à peine lorsque le boss, en sueur, m'explique que pour le cubage supplémentaire, ça va être 600 euros supplémentaires.

14h32.

On trouve un arrangement. Je crois qu'il a eu pitié.

14h48.

Ils sont sur le départ. Je m'apprête à leur prendre des sandwiches. Poulet? Ah bah non, que poulet hallal. Pff, comment je vais expliquer ça à mon boulanger, moi? Soudain, je vois ma voisine rentrer, ouf. Elle est heureuse, elle vient de trouver un foyer, elle quitte son bourreau et a le sourire aux lèvres, à l'instar de son aînée, visiblement soulagée.

14h49.

La journée n'est pas si pourrie, finalement.

15h.

Cette fois, ils ont mis le moteur en route. Au moment de prendre son sandwich, le boss me regarde et me dit: "mademoiselle, vous avez un grand coeur."

15h01.

Là, j'ai envie de lui dire que le boulanger était fermé et que son sandwich vient du supermarché discount d'à côté. Et je serais lui, avant d'asséner de pareilles "vérités", j'attendrais de voir l'effet que le dit-bout de pain sec et son poulet vont produire sur son estomac.

15h02.

"Vous avez un grand coeur, ça se voit, vous savez pourquoi? Parce que tout le monde vous aime dans l'immeuble."

Eh bien, vous savez quoi? Rien ne pouvait me faire plus plaisir qu'un tel compliment. Cette journée, finalement, n'aura pas été si affreuse...

A suivre...

mercredi 10 novembre 2010

Toujours en vie!

Comment allez-vous?

Pour ma part, je ne sais pas trop par quel bout commencer tellement il s'est passé de choses. Je reviendrai dessus prochainement, dès lors que j'aurai retrouvé une connexion digne de ce nom.

Comment je fais, là? Eh bien, je me suis branchée via ce bon Ronald, qui propose du café en gobelet carton, mais qui a l'extrême amabilité d'offrir sa ligne wifi...

Bref, du déménagement épique à l'installation dans un appart plein de surprises, des retrouvailles avec la météo nantaise pas toujours clémente au retour au Mans pour mes débuts avec Poney, d'une mission de rédaction - terminée dans la douleur entre deux cartons - à la journée passée dans un hémicycle breton, la matière ne manque pas, je vous assure!

Je m'aperçois que décidément, ce blog compte pour moi, je ressens le manque bien plus intensément que je ne l'aurais cru!

Je vous embrasse!