vendredi 30 décembre 2022

Une vie restaurée

 A l'heure des traditionnels bilans de fin d'année, je me pose la question: que retenir de 2022?

Un vent d'impatience, d'agressivité, de haine, parfois. Beaucoup de colère et d'incompréhensions entre les uns et les autres, de l'égocentrisme à outrance. La guerre en Ukraine. L'inflation. La terre qui brûle sous nos yeux impuissants et encore parfois si indifférents. Le sentiment d'un déclin certain.

Pourtant, à titre personnel et très égocentré, je n'ai pas envie de l'enterrer, cette année 2022. On me dit dans l'oreillette que ma petite existence a légèrement basculé, pour une sombre histoire de tumeur.

Certes, c'est un peu marquant.

Ce que je veux retenir, c'est cette bascule vers un nouveau monde, pour moi, cette impression d'avoir vraiment fait le vide en touchant du doigt une vie nouvelle, à la fois solitaire et si riche de rencontres. Une vie touchée par la maladie, certes, mais pas abîmée.

Une vie, au contraire, restaurée.

Depuis l'arrivée d'Abricotine, je n'ai jamais autant vu ou conversé avec ma famille et mes amis, ceux-là même qui passaient toujours en second plan derrière l'inamovible tyran, j'ai nommé le TRAVAIL. 

Je n'ai jamais écouté autant de musique, lu autant, médité, réfléchi posément. Je me suis surprise à savourer ces heures qui s'étiraient indéfiniment, à apprécier de ne rien faire, mais vraiment. A vivre pleinement ces journées sans parler à personne, sinon aux chauffeurs de VSL, aux manips radio et... à mes chats.

Alors, évidemment, je ne me suis pas transformée en moine bouddhiste, je vous l'avais déjà écrit. D'ailleurs, si je veux être complètement honnête, je n'ai jamais autant passé de temps, aussi, devant Netflix ou à dormir sous mon plaid et ça, c'est pas hyper valorisant. Mais ça gêne qui? Ma culpabilité? Cette garce qui m'a gâché tellement d'années et d'énergie ?

Je te l'ai dégommée, celle-là, plus vite que ne l'aurait fait un gosse avec un paquet de Haribo.

A la place, Messieurs Sommeil et Temps sont venus squatter chez moi et je vous avoue être raide dingue d'eux. Viendra un moment où ils devront cohabiter avec Madame la Réalité, mais pour l'instant, je les conjugue avec Mademoiselle Gratitude pour poursuivre ce chemin vers la sérénité.

Quel que soit votre bilan 2022, je vous souhaite de vivre de belles éclaircies pour la suite, sans avoir pour autant à passer par la case "Maladie" qui reste une option parfois un rien... aléatoire, j'en conviens.

D'ailleurs, je l'avoue, je trouve ça  quand même dingue qu'il me faille des... rayons pour entrevoir le bonheur.

samedi 24 décembre 2022

Hors jeu (ou pas)

 Ce matin, en scrollant sur Instagram, j'ai vu défiler les bûches par milliers sur les différents comptes que je suis. Les lutins s'étaient agités toute la nuit pendant que je dormais du sommeil du juste.

Pour la première fois depuis six ans, Noël n'a pas été l'enfer. Pendant que chaque pâtissier virevoltait, coupait, glaçait, décorait, emboîtait, je dormais, me reposais, écoutais, méditais, réfléchissait au sens de la vie,  soufflais... Oui, je respirais.

Au delà de ce sentiment réel de délivrance, j'ai perçu cette pointe d'amertume: je me suis sentie soudainement hors-jeu. Comme si je faisais un arrêt sur image pendant que les autres continuaient de courir. Quelque chose de totalement paradoxal m'a traversée. Car le mode "pause", je ne l'ai pas choisi, mais je l'ai très bien accepté. Je me sens dans le vrai, alignée comme jamais, métamorphosée.

Et je me dis parfois que finalement, je ne suis pas si hors-jeu, comme si Abricotine m'avait fourni le mode d'emploi pour vivre mieux. Je suis même sans doute dans le vrai, dans cette réalité qui est la mienne et qui m'est propre.

Est-ce vivre mieux quand sa vie est entre parenthèses? L'hyperactive que j'étais vous certifierait du contraire. La paresseuse contrariée que j'ai toujours été vous dirait que je vis ma meilleure vie.

En fait, il n'y a pas de mode d'emploi de la vie idéale. Certains, fortement impactés par le rythme pro, rêveraient de s'adonner à un repos quasi illimité, au moins quelques mois, sans contrainte (ou presque), comme je le vis actuellement. Résultat d'un trop-plein, évidemment. 

D'autres, dans mon cas, se morfondraient de rythmer ses journées par des allers-retours dans un centre de cancérologie et d'y croiser de "vrais" malades - oui, oui, je nuance et relativise; je vous assure que mon cas est anecdotique, si je devais comparer.

Moi, je ne peux pas vivre la situation autrement que comme une éclaircie!

Je me souviens de ce jour, mi-décembre, où, partie en livraison, j'ai frôlé l'accident de la route. J'ai pilé, j'ai réussi à éviter ce crash. Pour tout vous dire, ça m'a sorti de ma somnolence car oui, je m'étais endormie au volant. Le coeur palpitant, j'ai pensé à ce qui se serait passé si la voiture m'avait percutée.

 J'en ai rêvé, pour tout vous dire.

Oui, dans le sens où je l'ai espéré, tant j'étais à bout et je voulais que ça s'arrête, que la pression stoppe, que mon esprit puisse s'évader, que mon corps endolori puisse se reposer.

J'ai été cette femme surmenée, vivant de l'adrénaline mais ne l'assumant plus.

Certains pâtissiers ne vivent pas Noël comme un enfer, j'imagine. Moi-même, j'éprouvais un réel sentiment de satisfaction lorsque les dernières bûches avaient quitté la chambre froide. Je savais quel plaisir nous allions apporter sur les tables familiales, que la mission était accomplie. Mais quelle dureté, parfois! Ce tourbillon qui m'emportait chaque année me laissait vide et épuisée, asséchée, là où d'autres passionnés vivent sans doute le moment comme une apothéose. 

Mais justement, ne cherchons pas à comparer. Je vis ce que j'ai à vivre et c'est en cela que je me sens si sereine.

Je vous souhaite, pour Noël, de ressentir cet apaisement personnel et de pouvoir goûter, vraiment, aux saveurs, petites ou grandes, que la vie nous propose.

mercredi 21 décembre 2022

Saigner des oreilles (l'art de la résilience)

 Chaque matin, le VSL s'arrête devant chez moi. En général, le chauffeur ne sort pas, il voit que je suis valide - mais ne sait pas que je le vois en double.

Histoire d'animer ces aller-retours quotidiens à l'institut de cancérologie (on est d'accord que l'activité n'est pas dingue, à la base. Quoique), j'aime bien discuter avec ces hommes et ces femmes, tous différents malgré leur uniforme bleu. Je leur pose des questions, ils y répondent souvent volontiers et se confient facilement. J'ai l'impression parfois d'endosser ma casquette de journaliste, il ne manque plus que le dictaphone pour immortaliser le moment.

A la place, j'use de ma mémoire et je repense à nos conversations. Le trajet me semble souvent trop court tellement ils auraient à dire et j'espère souvent les croiser de nouveau pour reprendre là où on en était. Ils m'épatent souvent par leur empathie mêlée à un bouclier invisible, une espèce de dichotomie précieuse pour supporter leur quotidien, entourés de malades.

Oui, la dissociation dont ils doivent faire preuve est sans doute ce qui me fascine le plus chez eux, je vous en reparlerai. Enfin, en tout cas, pour les bons. Depuis ma première séance de radiothérapie et ces trajets entre mon domicile et le centre, je suis tombée sur deux très grognons pas très agréables.

Depuis ce matin, le pompon du boulet revient à l'énergumène chargé de me conduire. L'arrivée tardive, son attitude nonchalante et Skyrock à fond dans la voiture... Celui-là, je ne lui demanderai pas comment il vit son métier. Il ne baisse pas le volume. Je me tais et m'enfonce dans le siège.

Il roule. Au passage, on prend un deuxième patient, il râle parce qu'il ne trouve pas la maison, ne daigne pas sortir alors que le monsieur est en difficulté pour grimper dans le véhicule. Le dit monsieur grogne à son tour contre la hauteur des sièges. On est sur une bonne ambiance.

Je ferme les yeux, j'ai la nausée. Je réalise qu'au delà de ce besoin que je ressens de taper la causette avec ces différents ambulanciers, cette nouvelle et éphémère habitude me permet chaque jour de me mettre à mon tour en dissociation. Pendant que je les écoute, je me concentre sur eux et minimise les sensations de mon corps, légèrement en vrille. 

Ce matin, pas le choix, cette impression d'ébriété qui ne me quitte plus semble s'accentuer dans ce véhicule rythmé par la soupe de Skyrock. J'entends la Marseillaise largement revisitée, j'ai envie de vomir (écoutez ou tapez "Heuss l'enfoiré + marseillaise" sur votre barre de recherches, ça vous situera) (Au secours) (le mec est pas mytho, on est bien sur de l'enfoiré).

Le monsieur à côté reste silencieux. Le chauffeur poursuit sa route, sans se poser une seule fois la question de savoir si sa musique peut nous perturber.

Je me dis que j'ai décidément vieilli, à ne plus supporter la "musique de jeunes", à la juger ainsi, sentant les beats outranciers me traverser le corps fatigué.

Tolérer. Faire le vide. Attendre que ça passe. Bah, rien que de l'ordinaire, finalement, c'est un peu comme la séance de radiothérapie avant l'heure. Mais je préfère la mélodie de mon Michel à celle, outrancière, de Jul.

Ensuite, c'est l'arrivée, l'attente en salle, la séance avec Freddy Kruger et le retour en taxi. Surprise, c'est le même ambulancier qui s'en charge. Il râle, cette fois parce qu'il a été mis en pause pour assurer cette mission et qui dit pause dit moment non payé. Pas cool.

Je l'écoute, il a baissé la musique, c'est plus supportable. Et puis, je lui réponds et on parle gentiment, il est sans doute plus réveillé qu'à l'aller, plus causant (c'est valable pour moi aussi, vous me direz). J'ai un peu hâte de rentrer, quand même, parce qu'il ne m'inspire pas plus de sympathie que ça.   

Et, là, il y a ce moment où je le sens me regarder avec plus d'insistance dans son rétro. Et cet autre moment, lorsque, arrivée devant chez moi, je descends et j'enlève le masque. Je sens le regard, je me dis que mon imagination me joue des tours.

Je rentre, je vois par la fenêtre qu'il s'est arrêté dans la rue. Cinq minutes plus tard, il frappe à ma porte, me tend sa carte avec son 06 et son prénom. C'est pas comme si j'avais déjà les coordonnées de son entreprise. Ouais, mon imagination, sans doute.

Je suis un peu gênée, je prends la carte, la pose sur le meuble de l'entrée et passe à autre chose.

20 minutes plus tard, il m'appelle. Ben oui, évidemment qu'il a mon 06, on doit le donner pour être pris en charge. Je fais comment pour m'en sortir en restant polie? Je ne veux pas le blesser mais vraiment, à quel moment le type peut imaginer que j'ai un crush pour lui? J'écourte comme je peux la conversation, il me glisse que ce serait bien que l'on reste en contact, hein. 

Mais oui, bien sûr, l'ambulancier qui met à pleines balles Skyrock à 7h du mat, sans imaginer une seconde qu'il fait saigner mes oreilles, c'est tout à fait ce qu'il me fallait.

Hey, le karma, ça va maintenant, hein. J'ai bien compris les messages de l'univers, je fais tout bien comme il faut, je me suis calmée, je vis le moment présent et je respire. Le vide que j'ai pu faire dans mon corps et mon esprit n'a aucunement besoin d'être rempli, surtout par du parasite.

J'ai beau être résiliente, pas sûre de résister longtemps à Heuss l'enfoiré et son hymne national massacré.

mercredi 14 décembre 2022

La dame au turban rose et vert (Un jour en salle d'attente)

Croyez-le ou non, dans mon quotidien, je ressens souvent une forme de poésie, là, un moment suspendu, là un regard tendre, là un visage éthéré qui s'illumine... Je m'accroche même à ces apparitions sibyllines, parfois, quand le sombre de l'humanité en rajoute une couche, qui par un grognement, qui par une insulte, qui par un simple haussement de ton qui laisse augurer du pire.

Chaque jour de la semaine, je retrouve cette salle d'attente, "Novalis" (comme le nom de la machine de guerre chargée de pulvériser Abricotine) et, je vous l'avoue, je remercie mon état fiévreux ou mon imagination, selon les instants, de débusquer une quelconque forme de poésie entre ces murs ternes, réhaussés de peintures que je qualifierai de "naïves", pour rester très neutre.

Vous voyez un peu l'esprit. On n'est pas sur un Rembrandt (écrit celle qui ne peint pas)


Actuellement, certaines de ces oeuvres sont décorées d'une guirlande un peu passée, pour faire genre "Youhou, c'est Noëëëëllllll!". Aux murs, on trouve des affichettes pour rappeler les diverses actions et mains tendues dans la maladie, des numéros de téléphone ou simplement des pancartes pour rappeler que... tousser très fort ne servira pas à faire venir plus vite les manipulateurs. Evidemment, c'est écrit plus poliment. Le message, c'est que le personnel sait (ou espère!) que vous êtes là, et votre tour ne sera pas oublié, non.

Sur la table basse, un mini-sapin de Noël finit d'achever toute notion de bon goût. Personne n'ose toucher les magazines posés, devenus véritables incongruités depuis le Covid, et ce malgré le gel hydroalcoolique mis à disposition. Les sièges, roses et durs, ne génèrent pas non plus une sensation de cocoon, on est d'accord. Il y a bien une machine autour de laquelle on pourrait se retrouver, le distributeur d'eau, mais soyons honnête, elle sert surtout aux personnes venues soigner un cancer dans le bas du ventre - tous sexes confondus - qui se dépêchent d'avaler l'équivalent de 5 ou 6 verres en carton pour remplir leur vessie. Vessie vide= examen nul. Allez, on picole, on y va.

Oui, ça génère aussi de soudains sprints de patients apathiques dix minutes plus tôt sur leur siège, partis en soins, et qui reviennent en courant se libérer aux toilettes.

De la poésie dans ce contexte, disais-je.

Hum.

Si, si, je vous assure. Le lyrisme n'est pas si loin. Bref.

Hier matin, dans l'état second qui me caractérisait (merci la grippe), je me suis donc installée dans cette salle d'attente plutôt remplie, en saluant discrètement chacun des patients. Incapable de lire deux lignes, j'ai fini par lever tout aussi discrètement les yeux vers mes compagnons d'infortune. Des personnes toutes plus âgées que moi, clairement, l'une le regard au loin, l'autre la main sur le front plissé, ce monsieur avec les mains serrées contre les genoux. Au milieu de ces silhouettes aux teintes ternes - visages dont on distingue la pâleur, malgré le masque, et vêtements foncés - il y avait cette dame au turban rose et vert, attendant paisiblement. 

Je crois que j'avais envie de communiquer un peu, dans cette ambiance morne, mais si je veux être sincère, le stade "Amorphe grade +" qui me caractérisait me faisait davantage ressembler à une figurante de Walking Dead qu'à une danseuse de salsa.

Pour la poésie, on repassera.

Ce matin, en arrivant, je m'installe de nouveau dans cette salle toujours bien remplie, le salut discret, et l'envie et l'énergie, cette fois, de lire. Il y a une sexagénaire, trois hommes fatigués, une femme qui a peut-être la cinquantaine - ah, je me sens moins seule - et je reconnais la femme au turban rose et vert.

J'ai l'impression que nous aurions tant à nous raconter et en même temps, je vois bien que l'option salon de thé n'est pas spécialement envisagée pour la zone. Pourquoi imaginer échanger avec d'autres patients qui, comme toi, n'attendent qu'une chose, passer vite fait et rentrer après le soin? Quelle est donc cette manie qui m'habite? Un peu blasée, je récupère mon livre et reprends mon chapitre là où je l'avais laissé. Silence parfaitement cohérent, au vu du contexte. Silence assourdissant.

Chut.

Par je ne sais quel hasard, la dame au turban rose et vert commence à évoquer son trouble. Elle a peur de devoir sprinter comme hier. Sa voisine compatit et me regarde. Je saisis l'instant, devrais-je dire l'opportunité. Je ne veux pas m'immiscer dans leur intime, juste accueillir et partager ce qui peut l'être, parce que c'est sans doute ça, la poésie, ces instants flottants où l'inconnu devant soi dépose son âme en toute confiance.

Et c'est justement l'un des marqueurs de la maladie, me semble-t-il. Plus de temps pour les apparats, pas de filtre, l'heure est au parler vrai, direct et on va à l'essentiel. En un éclair, cette salle si morne s'anime, chacune écoute l'autre et, sans verser dans le déballage non plus, j'ai le sentiment que chacune de ces personnes lève le voile et lâche ce dont elle a besoin. Sur ce qu'elles traversent, leur nouveau rôle à la maison, celui de "l'aidant" - des priorités qui changent, la dépendance à l'autre...

C'est un colloque express et la dame au turban vert et rose s'anime tellement que je crains que l'on se fasse taper sur les doigts par les soignants parce que l'on parle trop fort.

Naturellement, on l'écoute parce qu'elle a vraiment besoin de s'exprimer. Elle nous dit qu'elle a 68 ans - je lui en donnais facilement dix de plus - nous parle de l'ajustement de son mari, "un militaire qui n'a jamais rien eu à gérer à la maison en 43 ans et qui se retrouve à faire les courses", de la chance qu'elle savoure de s'appuyer sur sa famille, présente.

Je me tourne vers un autre homme, le seul "Tumeur-free" de l'assistance, quand j'y pense. Il est le conjoint de la quinquagénaire partie entretemps recevoir de doux rayons. Il nous l'a expliqué quelques minutes plus tôt, il accompagne chaque jour sa femme au centre, faute d'ambulance. A travers ces exemples concrets, je n'ose imaginer la charge mentale que vit un aidant, au quotidien. Il comprend ma question sans même que j'aie à la lui poser: "Vous savez, me dit-il, quand le cancer arrive dans votre vie, c'est une énorme claque. Mais après, je ne sais pas comment vous dire, les choses se font naturellement."

Il a cette sorte de haussement d'épaules assez grâcieux, ce regard doux.

J'entends la manip m'appeler. Je me lève, les salue et saisis à plein ce moment de vie, un peu surréaliste où les émotions n'ont rien de feintes, où la dignité peut rimer avec un état chagrin, où la poésie, oui, la poésie peut s'emparer de votre âme.

Même entre quatre murs ternes, même au milieu d'une déco kitsch.

samedi 10 décembre 2022

Etouffer en pleine conscience

 Mardi. Début du feu d'artifice. Le RDV est prévu pour 12h40. Dans le taxi qui m'amène jusqu'au centre, je fais la maligne et parle politique avec le chauffeur, mais en vrai, je la sens bien, la tension. Un cacheton? Un cacheton. Je vais finir ma radiothérapie complètement shootée. Avec une Abricotine nécrosée, oui (l'espoir fait vivre), mais accro aux relaxants.

Ca craint.

12h30. J'attends dans la salle dédiée, relisant vainement le chapitre que je viens de finir. La caboche n'imprime pas. Mes jambes flanchent. Je suis assise, d'accord et, au pire, en cas de malaise, je suis entourée de blouses blanches. Mais j'aime bien dramatiser.

12h32. On m'invite à rentrer. D'abord dans le sas pour ôter manteau et sac à main. Puis dans la salle de soins. Ouh, ce n'était pas une vue de l'esprit, l'endroit s'apparente vraiment à un bunker, avec un sigle rappelant le petit caractère nucléaire de la chose, un long couloir sombre et la pièce, immense au milieu de laquelle trône un drôle d'appareil. La machine est impressionnante.

12h33. Je me demande si je n'aurais pas dû avaler toute la boîte, au lieu de me contenter d'un misérable cacheton.

12h34. Si on me faisait un lavage d'estomac, peut-être pourrais-je esquiver les séances?

12h35. Abricotine se marre. Elle se dit qu'à ce rythme, elle va pouvoir s'étaler un peu plus dans mon crâne, la coquine, prendre ses aises et appuyer bien peinard sur mon nerf optique, pendant que je fais une petite crise d'angoisse et que je fuis le problème.

12h36. Hey, Abricotine, tu les sens, les rayons? T'inquiète, ils arrivent. Marre de voir double et d'être dans le brouillard, moi.

12h37. La manip sent mon angoisse et me propose de passer un son de méditation durant la séance.

12h38. J'ai envie de l'embrasser. Je peux pas, on a toutes les deux le masque, ça pue le covid à plein nez dehors et je la connais à peine.

12h39. Elle m'explique aussi que je vais rester seule dans la pièce mais que l'équipe est juste derrière la vitre, si besoin.

12h40. J'ai les yeux d'un cocker à qui on aurait donné un os. 

12h41. Prise de conscience. Autant de précautions pour soigner un truc "bénin"... On m'aurait menti?

12h42. Je suis allongée sur la table, deux personnes, une de chaque côté, placent le masque le plus délicatement possible. Concrètement, le dessus du masque en résine est posé sur votre visage, on clipse sur les côtés, avec un petit claquement bien désagréable et une sensation d'enfermement immédiate. Vous êtes attaché à la dite-table, et hop, vous ne pouvez plus bouger.

Je répète : vous ne pouvez plus bouger.

Au secours.

12h43. La manip monte le son de l'ordinateur, branché sur la chaîne Youtube de Cédric Michel, "Bulles de sérénité".

12h44. "Namaste", me dit mon sauveur. De sa voix douce et relaxante, il m'invite au voyage.

12h45. Je respire du mieux possible, je relâche le ventre, je me laisse emporter par la vague de bien-être.

12h46. Pff, c'était rien du tout, en fait, ces séances. Cette manie que j'ai de tout exagérer.

12h47. C'est horrible, arrêtez tout.

12h48. Je fais le petit chien. Enfin, j'essaie, avec le masque qui me comprime la bouche.

12h49. Allez, de toute façon, ai-je le choix?

12h50. Je suis ailleurs, clairement. Je bénis les cachetons.

12h58. "Voilà, c'est fini", chante la manip en me délivrant. Cette sensation de soulagement est juste inouïe.

Je repars de là un peu sonnée, mais sur le moment, je me dis que franchement, ça va. J'ai les marques du masque sur le front, comme si j'avais pris un méga coup de soleil ou un coup de pelle, mais elles s'estompent. Mon coeur continue de battre la chamade, un peu, mais l'effet se dissipe peu à peu.

Juste un mal nécessaire, rien de méchant.

Et comme je n'ai pas envie de me shooter, je décide dès le lendemain d'y aller sans filet. Ou presque. Je ne prendrai plus de cacheton. La méditation va clairement m'aider le mercredi, le jeudi... Arrive le vendredi. J'entends de nouveau Cédric Michel et pourtant, sa voix calme des premiers jours me semble totalement incongrue aujourd'hui. Je me sens fatiguée et le mental reprend ses droits, le bâtard. Il me rend cynique. Pour vous situer, ça fait un peu ça.

"Namaste. Nous allons méditer pour lâcher prise. Installez-vous confortablement, dans une position allongée. Vos paupières sont fermées... "

Jusque là, on est ok, Michel. En même temps, j'ai un masque sur la tronche qui me comprime tout, hein.

Petite musique, il reprend:

"Maintenant, je vous suggère de respirer par le nez..." C'te blague. Je peux pas, Michel.

J'étouffe.

Il s'en fout, le mec. Il reste zen, il me demande de méditer en pleine conscience, de ne pas intellectualiser, de visualiser un champ et de l'aborder avec la même curiosité que celle d'un enfant.

Euh, si je lui dis que j'ai envie de me faire pipi dessus, on peut faire le lien avec le comportement infantile?

"Curiosité et joie de découvrir quelque chose de nouveau, un état nouveau..." Tu parles de mon hystérie intérieure, c'est ça? "Je vous propose de sentir l'herbe sous vos pieds..." Je ne sens que le masque, auquel j'ai l'impression de me cogner, comme s'il me serrait chaque minute davantage...

"... Et la chaleur du soleil sur le visage..." Les rayons, peut-être? Quel humour, ce Michel. "C'est doux et agréable", persiste-t-il.

Michel m'invite à écouter les oiseaux. Je n'entends que le son strident de la machine. Mais pourquoi n'ai-je pas pris de cacheton, hein? Je VEUX de la weed, là, un space cake, des champignons hallucinogènes. Un rail, un shoot, je m'en fous de devenir junkie, je veux juste planer!

"Reconnaissez et acceptez simplement votre anxiété... " poursuit Michel, qui se fout clairement de ma pomme. Sauveur de mes deux, ouais.

J'ai l'impression d'être passée dans un espace-temps chelou. La séance, censée durer une quinzaine de minutes, s'avère plus longue qu'une journée sans chocolat.

J'oscille en permanence entre micro-moments de relâchement et sensation obsédante d'enfermement. Pourtant, quand la manip me libère en me demandant si tout va bien, je lui assène un grand sourire en lui exprimant toute ma gratitude de me laisser ainsi méditer.

Genre, merci pour la chance de vivre ces moments précieux. Sans vous, jamais je n'aurais eu la joie de découvrir mon petit Michel, à la voix suave et rassurante.

Mais où ai-je appris à être si hypocrite, moi?

Bref, vous l'aurez compris,  ces séances de radiothérapie, c'est pas l'expérience la plus géniale que j'ai vécue, et l'arrivée du week-end m'a soulagée - c'est relâche, youpi.

Mais en vrai, il y a toujours pire.

La guerre en Ukraine ou la chanson de Mariah Carey en boucle sur Instagram, par exemple.

dimanche 4 décembre 2022

Du feu dans ma caboche

Oui, c'est ma caboche, personnifiée par ma radiothérapeute. Le truc rayé, c'est Abricotine. Etonnant, non? Appelez-moi Homer Simpson :)

 


 Bon, J-2 avant le début du grand bal. Mardi, j'entame le protocole de soins, 28 séances de radiothérapie, chaque jour de la semaine, pour faire la peau d'Abricotine.

En gros, jusqu'à fin janvier, c'est aller-retour quotidien dans un centre de cancérologie. Pour un truc "bénin", je trouve ça un peu incongru, je ne vous le cache pas, mais ça va. Ca ira.

J'ai rangé pas mal de choses, bouclé quelques dossiers, mis en sommeil mon entreprise et je m'apprête à vivre ça comme si j'allais rentrer dans un bunker. J'ai l'impression d'être assez sereine mais mon corps me rappelle ma légère prétention. Ce matin, je me suis levée avec un dos douloureux, signe d'une somatisation non feinte. Soyons honnête: j'y vais mais j'ai peur.

Pourtant, j'ai eu un aperçu de ce qui m'attendait il y a deux semaines, lors de ce que l'on appelle le "scanner dosimétrique". A l'hôpital, on m'a façonné un joli masque thermoformé. En gros, on ramollit des plaques en résine que l'on vous pose, chaudes, sur votre visage. On appuie bien dessus pour mouler ce magnifique masque et ensuite, il n'y a plus qu'à attendre. 25 minutes avec ce truc sur la tronche qui se resserre au fur et à mesure, tel un étau, euh... Comment dire... J'avais prévu le coup et pris un petit cacheton pour supporter la chose, tout en m'appuyant sur la méditation.

Bon, tout a une limite. Même la méditation.

Au bout de 20 minutes, un sentiment d'enfermement et de panique m'a envahie. J'ai donc cherché une grande respiration pour l'évacuer. Ah, ah, ah, c'te blague. Va respirer avec un truc qui te serre le menton. Bon, j'ai serré les dents - je pouvais encore - et finalement, j'en suis ressortie, avec le ravissement de découvrir ce joli masque qui me permet de rejoindre la famille de Freddy Kruger.

Je triche, ce n'est pas mon masque, mais celui d'une amie. Mais vous voyez le genre. Parfait à recycler pour Halloween, par exemple.


Un petit cacheton plus tard, j'étais sous le scanner et c'est donc avec un sentiment non dissimulé de peur que j'y retourne mardi, pour qu'une machine vienne tourner autour de ma caboche et y distille ses rayons.

Je relis ce post à ce stade de l'écriture et je trouve que tout ça manque un peu d'éclat et d'humour. Je vous promets que je ferai l'effort d'en mettre, à ma mesure, au fil des séances mais là, rien ne vient. Hey, on peut pas toujours envoyer du rêve, hein :)


jeudi 1 décembre 2022

Tout passe... (post impudique)

 Chaque 1er décembre est toujours un peu particulier à mes yeux. C'était le jour de naissance de ma grand-mère avec qui, pourtant, la relation n'a pas toujours été simple. Elle aurait 107 ans aujourd'hui, elle qui est partie le lendemain du premier déconfinement.

Je me souviens de cette date alors que je n'en ai aucun souvenir quand il s'agit de mes autres grands-parents, tous partis aujourd'hui. Je crois que pour Edith, ce jour d'anniversaire était tellement important qu'il était inenvisageable de ne pas lui souhaiter. Du coup, mon esprit l'avait marqué au fer rouge.

Alors, ce matin, j'ai eu une pensée pour elle. Quelques heures plus tard, je me suis sentie presque soulagée qu'elle ne soit plus de ce monde. Le chagrin l'aurait tuée, je crois bien, d'apprendre que son fils cadet était parti, à son tour. Oui, mon oncle, dont j'évoquais il y a peu l'hospitalisation, nous a quittés hier soir, réveillant des souvenirs d'enfance à la pelle.

Je n'étais pas proche de lui, non, ce serait mentir. Pourtant, la tristesse m'a envahie, à l'annonce de sa disparition. Déjà parce que cela affecte forcément mon père et mon autre oncle. Que j'ai pensé à la peine de ses enfants - mes cousins -, de sa femme, de ses petits-enfants. Mais aussi parce que la mémoire sait parfaitement faire remonter à la surface des images que l'on pensait enfouies pour toujours.

Mon oncle chez ma grand-mère, assis à table à l'heure de l'apéro, qui semblait ne rien prendre au sérieux alors que la vie n'avait pas dû être si tendre avec lui. Son air rieur, à se foutre de tout, ses mains immenses qui m'impressionnaient tellement, ses coups de gueule et sa façon de dire "la mère" - parfois agacé, souvent attendri par ses caprices - pour évoquer ma grand-mère, .

Chaque disparition de la sorte nous propulse directement vers notre enfance et vers l'image que l'on en garde. Je me souviens du salon de mes grands-parents où l'on se retrouvait, entre cousins. Pour nous, les enfants, c'était parfois un peu long de les attendre, ces adultes qui dissertaient et refaisaient le monde en feuilletant le journal ou se resservant un Pastis. Mais on aimait bien aussi aller jouer dans la chambre d'à côté, sans chercher à comprendre de quoi ils parlaient.

Est-ce que j'imaginais que mon oncle cesserait de rire, de parler fort, de râler, de s'emporter et de vivre, tout simplement? Evidemment, on le sait tous que ce moment va arriver, mais la petite fille que j'étais voyait un homme somme toute indestructible, si fort d'apparence. Les épreuves de la vie l'avaient fragilisé et j'avais retrouvé un oncle plus calme, sensible, aux funérailles de ma grand-mère, sa mère chérie. Je m'étais dit alors que le temps pouvait s'avérer cruel, mais qu'il savait aussi apporter un brin de sagesse à chaque être.

Aujourd'hui, j'ai du mal à imaginer que je ne croiserai plus mon oncle. Idée universelle du manque qui nous apparaît pourtant si singulière quand le deuil nous frappe...

Je ne sais pas ce qu'ils se disent, aujourd'hui, tous les deux, ma grand-mère et lui. Est-ce qu'il lui lance, en levant le coude: "Oh la mère, t'occupe pas!" en refaisant le monde? Est-ce qu'ils nous regardent, ou sont-ils déjà allés rejoindre mon grand-père qui les a attendus longtemps? Personne ne sait. Chaque deuil nous renvoie simultanément à deux âges de notre vie, dans ce présent résigné et triste et ce passé nostalgique, comme pour nous rappeler que, justement, tout passe.

Gérard, embrasse Edith pour moi. Et, surtout, repose en paix.