jeudi 1 mars 2012

Poney

La dernière fois que je l'ai eue au téléphone, elle avait un air enjoué, quoiqu'un rien enroué, visiblement soulagée. Je venais de commencer mon nouveau travail et je n'avais pas eu une minute à moi. Elle m'a dit que, de son côté, elle avait eu des petits soucis de santé, qu'elle avait dû délaisser son atelier chéri, renoncer à son rituel. Ne plus coucher ses pensées sur des cahiers mais rentrer à la maison, au chaud, et attendre que ça aille mieux.

Après, m'avait-elle assuré, on reprendrait de nouveaux travaux ensemble. On se retrouverait de nouveau l'une face à l'autre, bien calées dans notre fauteuil, elle me parlerait de ses multiples projets, pesterait contre la terre entière et s'amuserait d'une petite bête sur le mur. Elle me proposerait un thé, sortirait avec gourmandise une tablette de chocolat. Et me caresserait la main en sortant, au pied de la porte, avec affection.

Après. Quand ça irait mieux.

...

Sa chambre était incroyable, spacieuse, soignée, pleine de souvenirs et d'images. Elle me disait parfois, en regardant son lit, qu'elle n'attendait qu'une chose, c'était de s'allonger, s'endormir et de ne jamais se réveiller. Je lui demandais de chasser cette idée, un peu angoissée qu'elle échafaude de tels projets. Je la savais fragile. Mais d'une telle vitalité...

Aujourd'hui, elle est partie. La maladie l'a vaincue. Elle a rejoint ce monde qu'elle craignait et espérait tout à la fois. Elle ne sera jamais vieille, elle qui détestait les peaux flétries et les chairs molles. Jusqu'au bout, son élégance l'aura poussé à refuser de faire comme tout le monde.

Poney nous laisse, là. Je me sens étrangement un peu orpheline ce soir. Aucun lien de sang entre nous, juste une sensation diffuse que nous partagions des choses et qu'elle faisait parfois écho à mes propres velléités. J'ai retrouvé chez elle cette fantaisie propre aux âmes insouciantes. Ou à celles qui, prenant coup sur coup, refusent de se laisser abattre et vivent leur existence comme si tout devait s'arrêter demain.

Je ne regrette qu'une chose. Elle part alors même que son manuscrit, celui qui m'a permis de la rencontrer, doit être publié dans les prochains jours,les prochaines semaines au pire.

L'ironie du sort, j'imagine.

Poney, où que tu sois, merci.