Mes nuits sont peuplées de ces rêves insensés avec, en dénominateur commun, mon papa.
Depuis l'annonce de son décès, les messages de sympathie affluent, comme autant de couteaux dans la plaie, tant ils rendent réelle sa disparition. Notre perte.
Je ne pensais pas avoir autant de larmes en moi. Je réalise ce que ça fait de perdre un parent, aka une partie de son enfance et de soi-même. Processus tellement classique du deuil, mais dieu que ça fait mal. Les témoignages nous confortent dans l'image que nous avions de lui, si gentil, si généreux, si maladroit et ronchon aussi, parfois. Un gourmand, plein de facéties, tellement tendre, qui a marqué le cœur de tous ceux qu'il a croisés, lui qui voulait partir sans laisser la moindre trace sur terre.
Raté, papa.
Face à l'injustice, il pouvait s'emporter, surtout si cela touchait ses filles ou ses deux petits-enfants. Il aurait donné sa chemise, ce vêtement qu'il affectionnait particulièrement. D'ailleurs, je me souviens avec beaucoup de nostalgie et de joie mêlées de nos virées shopping, il n'y a pas si longtemps encore, lors de lesquelles il adorait retrouver "ses" vendeuses préférées. Parfois, il me disait: "On va les voir, tu pourrais leur faire des gâteaux?" Et il débarquait dans le magasin avec une barrette de macarons, fier de son cadeau maison.
Il aimait faire plaisir, transmettre, jouer. C'était "Tonton Christian" pour les élèves qu'il formait, à la piste routière. Un flic avec l'uniforme, mais un gentil, celui qui ne faisait pas peur.
Il nous a donné, à ma soeur et moi, le goût du sport - et parfois le dégoût du cyclisme, si je veux être 100% honnête. Ah, ces vacances en fonction du tracé du Tour de France, ces virages des Pyrénées ou des Alpes qui me donnaient le tournis à en vomir! Mais j'aimais le suivre, lors des contre-la-montre ou des étapes dans les cols, pas juste pour la caravane publicitaire... Plus qu'un supporter, il était surtout un cycliste chevronné. Il fallait le voir bichonner ses deux vélos. D'ailleurs, depuis qu'il ne pouvait plus les enfourcher - l'un des grands drames de sa vie - il continuait de les gonfler régulièrement.
Il caressait l'espoir de reprendre, un jour, ses virées solo, le casque bien vissé sur la tête, un billet et ses papiers sur lui, toujours prévoyant.
Il aimait se dépasser, se faire mal dans les côtes les plus folles. Tourmalet, Alpe d'Huez, Aspin... Les cols les plus ardus ne lui faisaient pas peur, et il n'était pas peu fier de griller la politesse aux petits jeunes dans les montées.
A la mer aussi, qu'il adorait, il prenait son petit transistor et suivait la fin de la course avec Jean-René Godard, que ma soeur, ma mère et moi détestions. Et sitôt l'étape terminée, il nous rejoignait dans l'eau, comme un gosse.
Les souvenirs, c'est forcément ce qui nous lient, ces phares qui nous permettent de tenir dans la nuit et depuis vendredi, ma maman, ma soeur et moi, on en raconte et on s'en raconte. On a ressorti les photos, on les regarde avec un sentiment doux-amer.
Les rires finissent souvent par l'emporter, heureusement d'ailleurs. C'est la solitude, une fois à la maison, qui me rattrape et me plonge dans cette tristesse infinie. Mon papa est en paix, je l'espère. J'aimerais que cela me réconforte un peu mais je le sais, il est trop tôt pour la consolation.