samedi 5 mars 2011

Isa

J'avais quoi? 4 ans? 5 ans? J'ai pris ma poupée, aux cheveux blonds. La sienne était l'exacte copie, mais avec les cheveux noirs.

Ce n'était pas son anniversaire, mais le sien. Pour ne pas attiser ma jalousie, mes parents avaient décidé de m'offrir, à moi aussi, cette poupée que ma soeur convoitait.

Je me souviens du bonheur que j'ai ressenti à ce moment. Ce sentiment de toute-puissance, je pense, aussi, des années après. Ce souci de partage équitable a guidé notre enfance, à la maison. Si l'une avait, l'autre aussi. Mais au lieu de calmer les élans de chacune, ce processus insidieux a développé un autre sentiment, celui de la rivalité.

Ah, c'est compliqué d'être soeur. On aimerait tout partager avec cet autre nous et on réalise qu'elle est en fait notre antithèse. Qu'elle dit noir quand vous dites blanc. Qu'elle joue les rabat-joie devant votre impulsivité. Qu'elle est sage, réfléchie, posée, quand vous n'êtes qu'une boule de nerfs irréfléchie.

Ma soeur et moi avons grandi avec les mêmes valeurs, mais notre interprétation en a été diamétralement opposée. Lorsque j'ai plongé dans cette nuit sombre de l'anorexie, elle a versé dans la boulimie, ses bonnes joues contrastant avec la sécheresse de mes os. Lorsqu'elle s'est libéré de ses rondeurs, j'ai à mon tour voulu remplir le vide. Jamais synchro. Mais toujours rivales. Pas toujours consciemment, bien sûr.

Je me souviens aussi des posters qui couvraient les murs de sa chambre, sa passion pour Simple Minds, U2 et Indochine, allant même jusqu'à adopter la coiffure de Nicolas Sirkis. Je l'admirais d'en connaître autant sur cette musique alors que j'étais néophyte. Je prenais ses OK, ses Podium et j'essayais de rattraper mon retard, je crois. Elle était beaucoup plus secrète que moi, plus mature. Elle avait aussi souffert de violence verbale, de ces mots qui jamais ne s'effacent. En tant qu'aînée, elle essuyait les plâtres et moi, la cadette, je jouissais des bénéfices de cette première expérience. Je n'en avais pas vraiment conscience, je crois, à l'époque, c'était normal à mes yeux.

Je ne savais pas encore qu'on pouvait souffrir à ce point de ces deux statuts. Le poids de la responsabilité et du scepticisme parental pour l'aînée, la permissivité plus large et les reproches inhérents de l'aînée pour la cadette. Je ne comprenais pas cette gravité qui l'accablait trop souvent à mes yeux. Je voulais juste être heureuse, je crois, souriante et insouciante et j'aurais voulu qu'elle soit ainsi, elle aussi.

Je l'ai vue s'affranchir de ces carcans familiaux, prendre son envol, par la grâce d'études la menant hors de nos frontières et d'un jardin secret qu'elle a su cultiver, quand je ne pouvais m'empêcher de tout raconter. Mais au retour, rien ne changeait, j'étais toujours l'écervelée, à ses yeux. Un peu dingue.

Et puis, les chemins de la vie lui ont permis de libérer sa personnalité, ses envies, d'assouvir ses coups de tête et ses coups de coeur. Elle aussi avait le droit d'exister. Elle a pu construire sa vie personnelle. Et pourtant. Nous étions adultes, les chamailleries auraient dû n'être qu'un lointain et douloureux souvenir mais rien à faire, la rivalité nous opposait toujours, cet élan puéril pourrissait nos relations.

Il aura fallu des blessures des deux côtés, des ruptures, des retrouvailles, des naissances, des accidents de la vie pour que finalement, nos chemins se croisent et que nous apprenions à accepter nos différences. A nous affranchir de cette rivalité en posant les choses. A tolérer la différence.

A admettre que nous ne seront jamais pareilles. Tout en nous reconnaissant vivement, parfois, dans les réactions de l'autre. Une question de sang, j'imagine. D'amour qui ne dit pas son nom, englué dans la pudeur et des histoires qui n'ont plus lieu d'être.

Tout ceci nous appartient. Mais j'avais juste envie, aujourd'hui, de l'écrire.

Bon anniversaire, Isa.

2 commentaires:

  1. Bon anniversaire, Isa. Et merci, la Mouette, de nous avoir parlé d'elle et de votre relation, passée et présente. Impudique, ce billet ? Très touchant, surtout.
    Bises, Stéphanie.
    Thierry

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  2. Bon anniversaire à elle !
    c'est vraiment pas simple, les fratries. Et je sais de quoi je cause.

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