jeudi 16 avril 2015

Le coeur au vent

Assis sur le siège passager, il rêvait. Complètement parti dans sa bulle, Loulou songeait à je ne sais quelle stratégie pour jouer à Clash of Clans plus de dix minutes par jour.
 
Ou, qui sait, peut-être réfléchissait-il à sa vie tout court.
 
Soudain, il s'est légèrement soulevé pour humer l'air. La fenêtre était grande ouverte, invitant le soleil à nous réchauffer. Et puis, il a dû enlever sa ceinture, car je l'ai vu soudain passer son torse dehors. Ses cheveux vrillaient au vent et un large sourire a détendu tout son visage.
 
Il était seul au monde et heureux.
 
Nous arrivions à la maison et je roulais lentement, alors je n'ai rien dit, face à cette entorse à la sécurité la plus basique. Trop attendrie par cet éclat de bonheur, par ce sentiment de liberté qui se dégageait, soudain.

Loulou est comme moi, je crois. Epris de liberté jusqu'à braver certains interdits, qui ne portent jamais vraiment à conséquence, finalement. Je crois qu'on se met pas mal de grillages autour de nous, et que l'enserrement quotidien que l'on s'inflige nous rappelle qu'on fait partie d'un tout, d'une société, ce quelque chose que l'on réprouve souvent, qui nous ennuie, mais qui nous donne ce sentiment d'exister, d'être là dans le regard de l'autre.
 
Des grosses joues et déjà l'envie de me faire la malle...
 
 
C'est drôle. Je me sens vivre, en ce moment, alors même que je suis dans ma bulle. Alors que je passe ma vie dans un espace réduit et souvent encombré nommé "cuisine". Ma cuisine.
 
Si, si, c'est rangé.
 
Je potasse, je prépare une cartouchière, et puis une bavaroise, et puis une pâte levée. J'essaie pour la dix millième fois de sortir des croissants feuilletés et pas briochés, ça ne marche pas. Je recommence. Je me fais mes dialogues intérieurs. Je sens bien que ma sérénité dépend aussi d'un bon feuilletage, d'une écriture au cornet réussie, d'une charlotte régulière. Au moindre défaut - et il y en a tellement - c'est l'éternel recommencement, les doutes... mais pas le découragement.
 
Etrange? Non, pas tant que ça, finalement. Je touche tellement à ce que j'aime faire que multiplier les échecs ne me donne pas envie de renoncer. Pourtant, la raison voudrait que j'arrête là. Je tire trop le diable par la queue depuis quelques mois pour ne pas envisager de retourner à la vraie vie, celle où tu cherches un boulot correctement payé... Et qui va t'emmener direct vers le burn out, soit.
 
Mais le cœur, lui, palpite. Cette sensation de progresser, doucement, de réaliser des choses dont je me sentais incapable, tout ça me donne un sentiment de liberté intense, l'impression que le temps m'appartient et qu'il m'accorde un répit, encore, pour boucler ce que j'ai commencé.
 
Le combat intérieur, c'est de vouloir à la fois faire son petit bonhomme de chemin, tranquillement, pour construire ce que l'on a toujours rêvé d'accomplir, en acceptant de s'exclure un peu du mouvement. De ne pas plonger dans ce drôle de truc qui consiste à aller travailler et, accessoirement, de vivre de son activité.
 
A refuser de rentrer dans une case, on sort forcément du moule. Ce ne serait pas si gênant si j'étais complètement autonome, si je n'avais pas à régler quelques détails matériels qui me poussent à garder un pied dans cette fameuse "vraie vie". Le loyer, la cantine scolaire, toussa toussa.
 
Je sais, il s'agit de ces questionnements et de ces risques auxquels nombre d'entre nous sont soumis, sans doute plus encore une fois le cap des 40 ans passés. Tout n'est pas forcément binaire, et qui dit travailler "normalement" (avec les fameux collègues et les tickets restau) ne signifie pas systématiquement ennui, n'est pas forcément incompatible avec la sacro-sainte liberté. Celle-là, on peut la tuer aussi à force de s'entêter, seul, et s'obliger à soulever des montagnes pour continuer.
 
"On", "on" et "on". Oui, c'est vrai je généralise, je refuse l'évidence, sans doute. On est un con et ce qui compte, c'est ce qu'on ressent, ce que je ressens, alors, dans mon cas (parce que soyons clairs, ce que je ressens, le reste du monde s'en contrebalance et je trouve ça juste normal). Pour tout vous dire, j'ai le sentiment de dessiner une voie, mais que je devrais baliser en pointillés, histoire qu'elle ne soit pas définitive... Histoire, peut-être aussi, de pouvoir rebondir sans m'enfermer dans une impasse.

Vous voyez le genre?

En y songeant un peu, je blablate sur une théorie, sans pouvoir donner de biscuit pour l'alimenter, en fait. Parce que, pour l'instant, j'en suis juste à poser des jalons, sans vraiment déterminer l'objectif final.
 
Enfin, je veux dire, hormis la liberté, évidemment.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire