Nous étions fin octobre et il faisait plutôt chaud, je me souviens. Les heures passaient terriblement lentement et il se faisait attendre.
Nous étions en janvier, il avait trois mois, et son front était brûlant, je me souviens. Les heures passaient terriblement lentement et nous attendions le verdict, fébriles.
Nous étions en avril, il avait deux ans, et même s'il ne pouvait pas tout comprendre, je lui expliquais que notre vie allait un peu changer, maintenant, parce que son papa et moi, c'était fini et que la vie, c'était comme ça, que les ruptures jalonnaient aussi notre existence.
Nous étions en septembre, il avait trois ans, et avec son petit sac à dos, il était fier de jouer au grand. Ignorant alors que l'école révèlerait chez lui un fonctionnement différent, dans un monde où sortir des rails complique d'emblée la donne.
Nous étions en février, il avait quatre ans, et je m'étais évanouie au pied de son lit, brûlante de fièvre, alors que je le veillais. On partageait tout, même la grippe.
Nous étions en août, il avait cinq ans, et il sirotait du jus d'ananas fraîchement pressé, dans la piscine et l'immensité des Caraïbes. Il savait se montrer si insouciant que je prenais à chaque fois une leçon.
Nous étions en décembre, il avait six ans, et il découvrait en tapant dans ses petites mains les cadeaux posés sous le sapin. Je crois qu'il savait déjà, pour le Père Noël, mais il avait envie d'y croire encore. Des moments d'émerveillement rares, chez lui, que j'ai connu ensuite souvent un peu (trop) blasé. Comme si ne rien l'affectait vraiment, alors qu'en fait, si.
Nous étions en novembre, il avait sept ans, et je découvrais le plaisir d'aller le chercher à l'école à 16h30, n'ayant moi-même plus école à cette époque-là. On passait chez le meilleur artisans de la ville, il choisissait une glace à la violette, sous l'oeil étonné de la vendeuse, interloquée de ce choix venant d'un bout de chou comme lui.
Nous étions en septembre, il avait presque huit ans, et il me suppliait de ne pas quitter sa ville natale, pensant alors que sa tristesse demeurerait de laisser ainsi ses premiers souvenirs dans un coin de son esprit.
Nous étions en janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, septembre, octobre, novembre, décembre et ces mois me semblent aujourd'hui appartenir à une période si ancienne que je me demande si tout ça a vraiment existé.
Hier soir, j'ai laissé ce petit être devenu si grand prendre les rênes de son existence. Il est resté là-bas, à 600 km de moi, pendant que je reprenais la route, les yeux embués. Toute une jeune vie qui revient à la surface, tous ces souvenirs qu'on a laissés de côté, accaparés que nous sommes par nos rythmes de dingue, toutes ces habitudes du quotidien qui, soudain, s'envolent et qui laissent une plaine rase dans mon coeur.
On le sait tous, que nos enfants ne nous appartiennent pas. On rêve même parfois, quand les relations se durcissent, de les voir quitter un peu la maison. Pourtant, il y a bientôt 18 ans, en ce jour d'octobre, quand la sage-femme a posé mon fils sur moi, j'ai compris combien ma vie basculait, dans une sorte d'intensité abyssale. Dans la chambre de la maternité, enfin tous les deux, je me souviens avoir senti son odeur, de l'avoir adorée, de m'émerveiller de cette petite présence, là, soudain. D'avoir ressenti le merveilleux dans l'ordinaire -car après tout, quoi de plus naturel, voire "banal", que d'avoir un enfant? Oui, je me souviens m'être délectée de cette magie.
Le quotidien nous rend amnésique, on oublie parfois un peu vite cette magie, ce lien si profond avec un être à qui on a donné la vie - mais que l'on doit laisser vivre sa vie, justement. Ces derniers jours, alors que j'accompagnais mon fils à Lyon pour qu'il y construise son avenir, ces images me sont revenues fortement, avec cette délicate mélancolie que j'aime tant.
Oui, il est né fin octobre avec du retard et la sage-femme m'avait assuré que ce bébé-là avait juste envie de passer plus de temps au chaud.
Oui, j'ai cru le perdre lorsqu'il fut hospitalisé en janvier, à 3 mois. Et perdre pied, comme si ma vie perdait son sens, soudainement.
Oui, il a dû apprendre à vivre avec des parents séparés et rester fils unique.
Oui, il a dû composer avec une personnalité atypique.
Oui, il a grandi plus vite que je ne l'aurais imaginé. Avec cette envie, malgré tout, de ne pas trop grandir. Parce que maman le couvait trop? Ou par envie de rester dans son cocon? Sans doute un peu des deux.
Mea culpa, mon fils.
On se raisonne, on balaie d'un geste cette nostalgie vaine. Et puis, on accepte. On accepte ce vide soudain, parce que c'est ainsi, parce que, oui, admettons-le, on a vieilli et que s'offrent à nous des perspectives autres, désormais. Fini le maternage, il est temps d'aborder la vie telle qu'elle se présente. L'amour entre une mère et son fils me semble aujourd'hui si puissant que je n'ai pas de raison de douter qu'il s'effrite.
Alors, oui, j'ai senti les larmes couler lorsque, dans le couloir de la résidence universitaire, j'ai compris qu'il "m'échappait" (et je trouve ça tellement excessif, à l'écrire, que je ne peux le faire qu'avec des guillemets). Oui, mes yeux se sont de nouveau brouillés au moment du grand au revoir. Oui, à écrire ces quelques mots, l'émotion subsiste, la mélancolie m'envahit.
Mais la confiance que j'ai en mon fils me permet d'imaginer des lendemains sereins. Même si ça passe par un épisode de tristesse irrépressible, que mon esprit n'a même pas envie de chasser à cet instant.
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