dimanche 19 septembre 2021

La petite souris (de l'intérêt de ne rien comparer)


 Hier, je me suis pris deux claques. Oui, deux.

Je vous situe le tableau. Grand soleil, route dégagée, je suis au volant de mon... Kangoo, camion frigorifique sans âge mais bien pratique. Je pars livrer.

Et j'arrive. Sur un mariage à domicile, le lieu est souvent beau, voire très beau. Tout est joli, à sa place, c'est net. Les sourires sont étincelants, les habits repassés, la piscine propre (oui, il y a énormément de piscine dans le coin, allez savoir pourquoi; ça se saurait si on avait la température pour. Bref, grand mystère) et en général, quand je suis là, la frange défaite, l'allure un peu chancelante, les baskets aux pieds,  je fais un peu tâche dans le décor. Je suis le traiteur, la seule personne qui travaille, en général, dans les trois cents mètres à la ronde (les jardins sont spacieux), hormis si d'autres larbins  personnes - entendez DJ, autres traiteurs, sous-traitants de je ne sais quoi) ont également été réquisitionnées.

Je suis un peu l'invisible de service, les petites mains qui doivent discrètement dresser le buffet parfait et s'éclipser discrètement au moment M.

J'effectue donc mon travail de petite souris, je dresse, je pose, je vérifie que tout est ok et hop, je quitte ce monde apparemment parfait, où les convives, une coupette à la main, dissertent dans une pose hollywoodienne, pour retourner dans mon Kangoo en enlevant mes gants. Le drame, ces gants poudrés, on n'en parle pas assez, ils vous laissent les mains pleines de talc, une horreur. Dans ce cas, la fausse bonne idée, c'est de s'asperger de gel hydroalcoolique. Ca fait des plis dignes d'un Shar pei et la sensation d'avoir soudainement 100 ans, un vrai bonheur.

Passant outre ces considérations purement esthétiques, je rentre à mon atelier et je me réjouis. Dans deux heures, je reprends mon carrosse et je pars dresser un autre buffet de mariage, avec des gens souriants, beaux, sur leur 31, dans leur cadre de vie nickel, du Roche Bobois comme s'il en pleuvait et des jolies couleurs sur les murs refaits.

Pourquoi  donc vous parler de claques, alors? C'est tout bête, vraiment. Je sais parfaitement qu'il ne faut pas se fier aux apparences, ni comparer des vies incomparables, que chacun traîne ses casseroles, que le type physiquement intelligent que je peux croiser à un mariage - et qui se trouve être le marié :) - a forcément des tas de défauts. Mais le gouffre entre l'image d'un bonheur, fusse-t-il furtif, de sa légèreté apparente, et la solitude que je ressens en remontant dans mon Kangoo si lourd, est si béant que je suis tombée dedans à deux reprises hier. En me posant la question:

Mais où ça a merdé pour moi pour que je n'y ai pas le droit?

Pour que je passe mes journées à suer sang et eau pour dresser des amuse-bouche avalés en deux secondes, sans même y prêter attention? Alors que moi aussi, j'aimerais jouer à la princesse et picorer des brochettes en toute quiétude?

Et puis, j'ai roulé un peu. J'ai regardé le ciel, clair. J'ai respiré. Et je me suis dit qu'après tout, il n'y avait pas qu'un seul bonheur. Pas une image unique d'un truc immaculé où on doit cocher toutes les cases pour être catalogué bienheureux. Il y a des bonheurs, multiples. Celui d'être en vie, en bonne santé, déjà. Celui de se sentir libre, malgré les chaînes du quotidien, libre de ses mouvements, libre de pouvoir dire oui, non, libre d'être, de ressentir.

Il y a le bonheur de ces moments de grâce, et pas seulement quand tu es en robe de princesse, pas seulement quand la piscine est à tes pieds, pas seulement quand ton mari physiquement intelligent te regarde.

Alors, oui, c'est vrai, j'ai remis ma veste de cuisine sale et j'ai rangé mon atelier dans la solitude, hier soir. Fin de journée, état poisseux, mains collantes, sueur en front et bras en charpie d'avoir tant donné pour le bonheur des autres.

Mais ce bonheur-là, il m'appartient aussi un peu, parce que la petite souris, mine de rien, elle était là pour leur apporter une petite touche d'amour supplémentaire, à tous ces gens beaux et heureux.

Et elle était libre, une fois rentrée, d'aller créer son propre bonheur. 

1 commentaire:

  1. Tellement touchant ��oui la vie c'est ça... Des moments furtifs de bonheur que tu reçois, que tu donnes, que tu vis. Je te souhaite vraiment de rencontrer le physiquement intelligent qui te fera voir la vie sous ses plus belles couleurs

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