Chaque 1er décembre est toujours un peu particulier à mes yeux. C'était le jour de naissance de ma grand-mère avec qui, pourtant, la relation n'a pas toujours été simple. Elle aurait 107 ans aujourd'hui, elle qui est partie le lendemain du premier déconfinement.
Je me souviens de cette date alors que je n'en ai aucun souvenir quand il s'agit de mes autres grands-parents, tous partis aujourd'hui. Je crois que pour Edith, ce jour d'anniversaire était tellement important qu'il était inenvisageable de ne pas lui souhaiter. Du coup, mon esprit l'avait marqué au fer rouge.
Alors, ce matin, j'ai eu une pensée pour elle. Quelques heures plus tard, je me suis sentie presque soulagée qu'elle ne soit plus de ce monde. Le chagrin l'aurait tuée, je crois bien, d'apprendre que son fils cadet était parti, à son tour. Oui, mon oncle, dont j'évoquais il y a peu l'hospitalisation, nous a quittés hier soir, réveillant des souvenirs d'enfance à la pelle.
Je n'étais pas proche de lui, non, ce serait mentir. Pourtant, la tristesse m'a envahie, à l'annonce de sa disparition. Déjà parce que cela affecte forcément mon père et mon autre oncle. Que j'ai pensé à la peine de ses enfants - mes cousins -, de sa femme, de ses petits-enfants. Mais aussi parce que la mémoire sait parfaitement faire remonter à la surface des images que l'on pensait enfouies pour toujours.
Mon oncle chez ma grand-mère, assis à table à l'heure de l'apéro, qui semblait ne rien prendre au sérieux alors que la vie n'avait pas dû être si tendre avec lui. Son air rieur, à se foutre de tout, ses mains immenses qui m'impressionnaient tellement, ses coups de gueule et sa façon de dire "la mère" - parfois agacé, souvent attendri par ses caprices - pour évoquer ma grand-mère, .
Chaque disparition de la sorte nous propulse directement vers notre enfance et vers l'image que l'on en garde. Je me souviens du salon de mes grands-parents où l'on se retrouvait, entre cousins. Pour nous, les enfants, c'était parfois un peu long de les attendre, ces adultes qui dissertaient et refaisaient le monde en feuilletant le journal ou se resservant un Pastis. Mais on aimait bien aussi aller jouer dans la chambre d'à côté, sans chercher à comprendre de quoi ils parlaient.
Est-ce que j'imaginais que mon oncle cesserait de rire, de parler fort, de râler, de s'emporter et de vivre, tout simplement? Evidemment, on le sait tous que ce moment va arriver, mais la petite fille que j'étais voyait un homme somme toute indestructible, si fort d'apparence. Les épreuves de la vie l'avaient fragilisé et j'avais retrouvé un oncle plus calme, sensible, aux funérailles de ma grand-mère, sa mère chérie. Je m'étais dit alors que le temps pouvait s'avérer cruel, mais qu'il savait aussi apporter un brin de sagesse à chaque être.
Aujourd'hui, j'ai du mal à imaginer que je ne croiserai plus mon oncle. Idée universelle du manque qui nous apparaît pourtant si singulière quand le deuil nous frappe...
Je ne sais pas ce qu'ils se disent, aujourd'hui, tous les deux, ma grand-mère et lui. Est-ce qu'il lui lance, en levant le coude: "Oh la mère, t'occupe pas!" en refaisant le monde? Est-ce qu'ils nous regardent, ou sont-ils déjà allés rejoindre mon grand-père qui les a attendus longtemps? Personne ne sait. Chaque deuil nous renvoie simultanément à deux âges de notre vie, dans ce présent résigné et triste et ce passé nostalgique, comme pour nous rappeler que, justement, tout passe.
Gérard, embrasse Edith pour moi. Et, surtout, repose en paix.
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