Se raccrocher à quelque chose. N'importe quoi mais ressentir, se focaliser, rester debout.
...
Je suis sortie chancelante de l'hôpital, hier soir. Et j'ai fixé ce paysage, bien réel. Le midi, le gérontologue m'avait appelée, en m'expliquant que le pronostic vital de mon papa était désormais engagé. Que l'essentiel, maintenant, était de lui apporter du confort, plus du soin.
Moi qui avais le sentiment de l'avoir abandonné - je n'étais pas retournée le voir depuis quelques jours, un peu traumatisée - j'ai senti qu'il était temps de voir mon papa.
Le cœur battant, j'ai pris la route, après le travail, le cerveau en compote. Tel un automate, je me suis garée, j'ai accéléré le pas, remettant ma capuche pour contrer la forte averse, franchi la porte de ce maudit hôpital et marché dans les longs couloirs glauques du CHU, et ai attendu nerveusement le médecin. Ce dernier m'a accompagnée dans cette chambre 419, et après quelques explications, m'a laissée seule. "Vous pouvez lui parler. On ne sait pas trop comment, mais ils ressentent des choses et peuvent vous entendre dans leur état."
"Ils" ce sont ces hommes et ces femmes perdus pour la médecine, qui vont s'enfoncer plus ou moins vite. Parmi eux, il y a donc mon papa.
A cet instant, il reste douloureux, je le devine aux spasmes qui viennent régulièrement crisper son visage. Dénutri et victime d'une pneumopathie, il reste sous oxygène, tousse et dort profondément. Je saisis ce moment hors du temps, alors que tombe la nuit, pour m'approcher de lui et lui parler. Lui dire tout l'amour que j'ai pour lui. Je ris, je pleure, je lui raconte combien j'étais fière de dire qu'il était mon papa, lorsqu'il m'amenait à son travail et que je sentais à quel point il était populaire auprès des enfants. Je lui avoue combien j'avais été touchée, cette fois où il a sonné à ma porte, un 14 février, pour m'offrir une rose, pensant qu'aucun amoureux n'aurait pensé à moi.
Je le regarde, si fatigué, et repense à ce quadragénaire qu'il était, rouge comme une tomate lorsqu'une de mes copines lui avait avoué qu'elle le trouvait "un peu beau". Quelle gêne j'avais ressentie, et quelle fierté en même temps.
Je lui dis combien je suis désolée d'avoir pu parfois lui créer des angoisses, à vouloir suivre mon chemin sans l'écouter. Je lui parle de mon fils, qui l'aime profondément et pour qui il avait tant d'affection. "Tu te souviens, papa, comme il te fixait alors même qu'il était tout bébé?" J'approche ma main de la sienne, elle est bouillante. Je la caresse doucement et soudain, je sens une pression.
"Papa? Tu m'entends?" Il serre mes doigts. Tente visiblement de parler mais seul une sorte de grognement sort de sa bouche pâteuse.
Je lui parle doucement, me tais, le regarde, lui dis tant de choses, en espérant que sa fin soit la plus paisible possible. Il m'offre la possibilité de lui dire au revoir et pourtant, au fur et à mesure que les minutes s'égrènent, je n'ai plus envie de partir. Je voudrais rester là, l'accompagner jusqu'à son dernier souffle. Je me sens complètement déchirée, entre mon envie de le voir partir, enfin apaisé, et celle de le sentir respirer encore et encore.
Tant que le cœur bat, l'espoir demeure... Mais est-ce une vie? Tiraillée plus que jamais, je quitte à regret la chambre et je me raccroche au vivant, à ce ciel incroyable d'automne, aux rugissements des moteurs sur le parking, au son de la radio qui s'allume en démarrant ma voiture.
La nuit suivante, mon papa s'est encore enfoncé. Aujourd'hui, on lui a retiré l'oxygène, pour le passer sur un duo benzodiazépine/morphine très éloquent, au cas où on aurait imaginé un mieux. Le visage s'est fait moins grimaçant, la respiration plus saccadée.
A l'heure de ces lignes, papa est encore de ce monde. Ou tout du moins son enveloppe corporelle, tant son âme semble déjà flotter hors de nos murs...

 
 
 
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STÉPHANIE je suis triste et très peiné ton papa mon Ami qui aimait tant rire le savoir réduit presque en légume lui qui était un bon vivant je ne l'oublierai jamais dis lui amitié eternel
RépondreSupprimerJe viens de te lire... très émouvant, et pour moi à double titre. Comme je comprends et partage tout ce que tu ressens en ce moment, j'ai vécu la même épreuve avec ma maman il y a trois mois et eu les mêmes pensées, la même douleur... à ses côtés, jusqu'à la fin. J'ai eu la "chance" de pouvoir la garder et l'accompagner à la maison. Terrible dualité que d'espérer qu'ils s'en aillent pour qu'ils soient libérés (et nous aussi un peu de cette fin vie insupportable) et en même temps, vouloir les garder avec nous, absents mais vivants. C'est bien que tu lui aies parlé, pour lui, pour toi. Ta peine va être immense mais tu as beaucoup de force et de ressources en toi, tu feras face. Courage Stéphanie ! De tout coeur avec toi...
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