Vous allez me prendre pour une folle - en même temps, que celui qui n'a pas pété un câble au moins une fois en 2020 m'asperge de gel hydroalcoolique - mais je sentirais presque une forme de nostalgie. Au Printemps, c'était inédit, un peu effrayant, certes, mais une forme de frisson nous traversait l'échine à chaque fois que l'on osait mettre le nez dehors. Ces grandes allées désertes, ce ciel bleu, le chant des oiseaux, le silence, tout ça était incroyablement beau et poignant.
Oh, évidemment, la situation était difficile et je me souviens des visages marqués, à l'hôpital. Je n'oublie pas non plus mes propres inquiétudes, relatives à mon entreprise, ni la fatigue que le covid m'avait léguée, très généreusement.
Mais il y avait de l'humanité. De la bienveillance, de la solidarité, un élan de générosité qui rassurait. Notre monde se transformerait peut-être, après ça. Il allait y avoir des prises de conscience, une envie de ralentir la cadence, d'écouter davantage la nature. Ca n'allait pas être tout rose, non, mais on espérait un après-covid. Un monde où chacun écouterait l'autre, le prendrait en considération, le laisserait exister.
Excusez-moi, j'avais dû bouffer un bisounours, quand j'ai pensé ça. Je n'étais pas seule, on mâchait tous de l'utopie en barre, on était nombreux à imaginer la béatitude persister au delà de la pandémie.
Parce que clairement, là, la bienveillance, la générosité, la solidarité, l'entraide, toussa toussa, pffff... Tout ça a été rangé dans un placard dont on a jeté la clé. Et vas-y que je râle après tout, que je me révolte sans bouger le petit orteil. Que j'incendie l'Etat pour son inconséquence à propos des masques mais que je mette le feu-Graal bleu en tissu sous le nez "parce que c'est trop dur de respirer avec". Ben oui. Le masque, ça pue la couche pour bébé, ça t'oblige à ouvrir la bouche plus que de raison, comme un chien qui chercherait de l'air après une course à l'os. C'est chiant, clairement. Et?
Perso, si ça doit permettre de nous protéger, je prends mon mal en patience. Bon, visiblement, ça ne nous a pas suffi et à l'heure de la deuxième vague, tellement redoutée et aussi bien préparée (le sarcasme, tu sors), le masque a au moins le mérite de cacher les lèvres serrées, les visages crispés - et les boutons qu'il engendre, au passage. Il agit aussi comme une arme de défense. Avec, la peur se dissipe. Et puis, honnêtement, le masque, c'est vachement pratique contre les postillons.
Mais c'est vrai, je ne suis pas fâchée de rester chez moi, parfois, pour faire comme si de rien n'était. Le bonheur suprême, ça reste de se parer de sa plus belle tenue. Je me suis payé ce luxe, ce matin, en enfilant mon armure. Comprenez que c'était la fête du pilou. Oh, je vous vois venir, vous allez me prévenir des méfaits du jogging sur la décence en général, et les capitons en particulier. Mais loin de me laisser aller, j'avais au contraire réfléchi à ma stratégie - tu crées ou tu crèves. Comme j'ai moyen envie de crever, rapport qu'entre deux confinements, j'aimerais bien revoir mes proches et revivre cette incroyable sensation que la liberté nous apporte, j'ai créé. Autant le faire à l'aise, non?
J'avoue, c'est plus constructif que d'enfourcher Arthur et moins déprimant que de passer sa journée à se lamenter sous son plaid. Et surtout, ça permet d'oublier les incohérences actuelles. Sortez dans la rue, rentrez dans un supermarché ou même, traversez une rue piétonne, vous vous ferez la même réflexion: il est où, le bon gros effort de confinement? Tout le monde vaque à ses occupations, lui le boulot, elle l'école, cet autre qui fait ses courses, et elle son footing. Chacun aura sa justification, son excuse. Pourtant, chaque fois que je remplis mon attestation - quatre fois par jour a minima, boulot oblige - je me souviens avec une nostalgie tout à fait légitime, cette fois, du temps où on sortait le nez à l'air sans se poser de questions.
Pour l'instant, je n'ai même pas tenté le tour de pâté de maison - trop occupée, un comble - mais sincèrement, combien de temps on va pouvoir supporter ça sans péter un câble?
Finalement, ça a du bon, l'expérience, même si ça génère toujours des comparaisons avec un temps que l'on regrette, parce qu'il est passé, évidemment, parce qu'on l'a idéalisé, sans doute. Aujourd'hui, on a un peu l'expérience d'un confinement, de cette privation de liberté qui nous semblait - globalement, à quelques exceptions près - difficile mais parfaitement pragmatique au printemps, qui l'est peut-être encore aujourd'hui mais qui, chaque jour, grignote notre équilibre intérieur.
Attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. S'il faut concéder un effort collectif, je ferais le parfait petit soldat. Mais expliquez-moi juste pourquoi on ne peut pas se balader à plus d'un kilomètre de chez soi (j'ai regardé le rayon. C'est ce qui, je crois, m'a découragée, tant les perspectives sont maigres) tandis qu'il est parfaitement possible de s'attrouper dans un bus, une cour de lycée ou dans les rayons de supermarché. Ce que j'écris est digne du café du commerce - RIP les cafés. RIP les commerces aussi, d'ailleurs, soit dit en passant - j'en ai parfaitement conscience mais j'ai l'impression d'avoir loupé un épisode. Et je ne cesse de me poser la question: à qui profite le crime?
Sincèrement, la situation est plus opaque que les collants que j'ai lâchement achetés ce soir, à l'arrache, je l'avoue. Avec une mauvaise conscience certaine, mais la satisfaction d'avoir autre chose que du tissu filé sur les jambes.
On sait jamais, peut-être viendra le jour où on pourra enfiler une robe et sortir pour de vrai. On peut rêver, non?
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