vendredi 5 juillet 2024

La femme qui haussait les yeux au ciel

 Voilà quelques semaines, j'ai eu envie d'écrire ici sur un deuil, que j'étais en train de vivre. Et puis, je ne sais pas, une forme de pudeur, peut-être, le besoin de digérer surtout, je me le suis interdit. Lorsqu'est arrivée la vague RN, j'ai cherché à relativiser. Que valait ma peine intérieure comparé au désastre imminent pour notre pays?

La gueule de bois, j'espère ne pas l'avoir lundi. Mais là, je suis dévastée, sans doute sensibilisée par un trop-plein d'informations que j'ingurgite, mais à titre très personnel aussi, par une consultation chez ma neurochirurgienne. Je croyais être tombée sur le champion du manque d'empathie et avais demandé à changer. Lorsque je l'ai vue l'an dernier, je n'avais pas été marquée par une chaleur époustouflante. Mais là, j'ai pris cher cet après-midi.

Alors, bonne nouvelle, Abricotine fait moins la maligne et a commencé à se ratatiner, merci les rayons. Pourtant, étonnamment, je suis sortie en pleurs de cette entrevue qui aura duré moins de dix minutes. On expédie ça, madame, vous avez une tumeur bénigne qui ne prend plus que 3 ou 4 cm dans la tête, vous n'allez pas m'empêcher de partir en week-end, hein.

Ce qu'elle n'a pas compris, c'est que cette bille à qui on n'avait rien demandé, qui est venue bousculer mon existence, que j'ai bénie par moments, et qui m'a permis de vivre autrement, eh bien, elle laisse des traces. Ce deuil dont je vous parlais, c'est le deuil de mon ancien moi, tout simplement.

Je l'ai déjà écrit, ça m'a bien soulagé de tourner la page, de faire reset et de démarrer plus lentement, de savourer tout ce qu'il y avait à prendre, de vivre et d'exister.

Je n'avais juste pas envisagé que le nouveau moi serait livré avec une batterie à plat, sans résistance et avec quelques petits accrocs (sensibilité à la lumière, au bruit, vertiges, je vous passe les détails). On n'est pas sur une première main et ma capacité intense de travail s'est réduite à peau de chagrin. Quand, en juin, j'ai reçu ce courrier de la sécu m'indiquant une invalidité, je n'en ai pas tout de suite saisi la portée.

Au fil des jours, tu comprends. Ce concept de "handicap invisible", je le vis maintenant pleinement. Dans ce cabinet froid de l'hôpital, j'ai essayé d'expliquer cette immense asthénie qui ne me quitte plus beaucoup, les aménagements que j'ai dû imposer à mon travail avec un temps partiel. Ces vertiges, cette hyperacousie, mon évitement face aux grands magasins et à la foule.... En face, j'ai vu une femme qui se retenait de hausser les yeux au ciel et qui m'a répondu, d'un ton terriblement méprisant, qu'elle ne voyait pas le moindre rapport avec ma tumeur, que je devrais songer à voir mon médecin pour qu'il me redirige.

Vers un psy, tu veux dire, madame la sachante? Je ne suis pas la dernière à avoir consulté, c'est ok pour moi. Elle insinuait juste que j'étais dépressive et que, bon, là, faudrait penser à partir, parce que c'est pas tout ça, mais va y avoir des bouchons sur la route.

Je me sentais minable, à me plaindre telle Cosette. Elle a juste creusé un peu plus le trou. 

Je suis sortie en pleurs, dans le couloir, ne pouvant retenir davantage ce mélange de colère et d'incompréhension face à une attitude aussi méprisante. 

J'ai enfourché mon vélo, pédalé de toutes mes forces, longé la Loire, prolongé la balade en espérant que la nature m'aiderait à retrouver mes esprits, à m'apaiser, à me connecter de nouveau avec ce sentiment de sérénité qui m'accompagne souvent.

Entre la voiture qui ne fait même pas mine de freiner pour t'éviter et ces piétons qui squattent la piste cyclable, autant vous dire que la méthode ne s'est pas avérée très efficace.

Il fera jour demain.

On va résister à la menace fasciste, je vais oublier cette femme maltraitante et me concentrer sur la bonne nouvelle du jour: Abricotine se ratatine.

Oui, il fera jour demain.