La lune hier soir. Les ténèbres sont proches :) |
Aujourd'hui, j'ai 50 ans.
50 ans.
50.
Un chiffre rond, mais les bords du 5, ils piquent quand même un peu.
...
Voilà deux ans, lorsque j'ai découvert qu'Abricotine squattait ma caboche sans vergogne, je me suis promis de célébrer mes 50 ans. Je savais que je n'allais pas en mourir, de cette saleté d'incruste, mais enfin, elle m'avait bien rappelé à l'ordre quant à l'urgence de la vie.
Plus que jamais, je sentais cette urgence, oui, à savourer tous les moments forts, parce que tout s'évanouit si vite... Je sentais, aussi, l'apprentissage du temps long, moi qui ai toujours été en mode speed.
Deux ans plus tard, alors que sonne le glas (vous avez dit drama queen?), je traîne des pieds pour marquer cette espèce de bascule qui s'opère en moi. Ah, le temps long, je l'ai tellement expérimenté que j'ai besoin d'un moment pour me mettre en route. C'est ça, la vieillesse - ou tout du moins le début, j'en conviens - j'imagine.
50 ans, c'est pas un moment où la finitude se révèle? Le moment où on réalise qu'au moins les deux tiers de notre existence ont filé?
Les bords du 5, ils piquent un peu, je vous le dis.
J'ai 50 ans, et pourtant, je continue de tomber à vélo. Régulièrement. J'ai 5 ans quand on me dit qu'on va à la mer ou en Bretagne. A peine plus quand on me parle de chocolat. Oui, j'ai 5 ans quand il s'agit d'aller danser, faire les 400 coups ou entendre le brame du cerf dans une forêt du chemin de St Jacques de Compostelle, j'ai juste l'âge de lire dès que je franchis la porte d'une librairie et je suis à peine plus mûre sur un terrain de basket.
Mon visage s'est creusé raisonnablement, les rides m'ont à peu près épargnée et les cheveux blancs restent rares - quoiqu'agaçants. Ma taille s'est arrondie, pour mon plus grand malheur, moi qui me suis battue toute ma vie contre le poids. Je suis épuisée si je fais plus d'une activité par jour et la sieste est devenue l'un de mes loisirs les plus réjouissants.
Je sais, je vends du rêve. Merci Mamie.
Je suis triste et excitée simultanément. Je nourris une forme de nostalgie face à ces moments que je n'ai pas su apprécier à leur juste valeur, à l'époque, ou que j'ai vus fondre comme neige au soleil. J'ai plus que jamais envie de me lover dans les bras de ma copine la mélancolie. Je me sens comme un petit animal blessé par les derniers aléas de la vie, mais qui aurait envie d'explorer, encore, vaille que vaille, ce qu'il reste à vivre.
J'ai 50 ans. Mon fils, bientôt 21, a quitté la maison. Mon père, 75, continue de voir des rillettes dans le ciel, lui qui m'a rappelée, au téléphone, il y a quelques minutes de cela, combien, voilà 50 ans, ma mère avait souffert. Je ne suis sortie de son ventre que sous la menace des forceps. Hop, hop, hop, téméraire mais pas trop, j'ai sans doute compris, du haut de mon statut fœtal, que la vie n'allait pas forcément être toujours douce, qu'elle ressemblerait parfois à un champ de bataille, parfois à un tango maîtrisé. Mais qu'il fallait y aller.
J'ai compris, avec les coups passés, que ma coquille, celle qui m'a protégée, s'est avérée fort encombrante. Qu'Abricotine m'a aidé à détricoter complètement les derniers verrous pour m'offrir un cadeau précieux: m'accepter telle que je suis, avec toutes mes failles. Je vous écris cela alors que j'ai pleinement conscience que les hormones bousculeront bientôt ces belles (vaines?) croyances, parce que 50 ans, si c'est l'adolescence avec une carte bleue, comme en rit si bien Florence Foresti, c'est aussi le temps de la ménopause, qui traîne pour l'instant la même nonchalance que celle qui m'envahit souvent, mais qui finira bien par survenir et faire sauter la sagesse de ce jour.
J'ai 50 ans, je viens de perdre mon travail. Demain, c'est l'inconnu, mais je vais faire comme j'ai toujours fait: un pas après l'autre. A chaque jour sa peine - ou sa joie, selon l'humeur.
On ne peut plus faire mine, à 50 ans, non? Finies les postures. Je sais dire aujourd'hui ce qui me traverse. J'ose davantage. J'exprime mes ressentis. Je donne mes pré-requis. Pas question d'accepter tout et n'importe quoi, j'ai appris à me respecter davantage. C'est bien le luxe d'une femme de 50 ans, pas vrai?
Pourtant, la petite fille n'est pas toujours si loin. Saurais-je un jour dire "Je t'aime", sans rougir ou appréhender je ne sais quelle catastrophe? Sans imaginer que mon karma va aussitôt m'en remettre une petite couche? Je commence à le faire. Ce n'est pas simple pour moi. Mon amoureux et mes amis, ma famille aussi, le savent, je pense. La mue est en cours et continuera de se faire.
La mémoire, tant qu'elle résiste, permet tellement de surfer sur cette vague mêlée de joie, de résilience, de souvenirs doux-amers, de bonheurs furtifs, que j'enregistre le moindre rire, le moindre éclat, ce léger sourire qui se dessine, face à moi. Je savoure doucement chaque bouchée, me délecte de chaque miette et laisse mon corps se gorger de ce frétillement. Je prends, je prends, je prends. Avec une envie folle de partager cet élan.
J'ai 50 ans. Et j'ai décidé que ce chiffre rond serait synonyme de douceur, même si je sais que les bords du 5, quand même, ils piquent.