Brûlures : 2
Coupures : 1
Coups de stress : 1
Litres de sueur : 2
Telle une Bridget Jones de la cuisine, je pourrais calculer chaque jour mes doses, non plus de nicotine ou de calories, mais d'incidents techniques plus ou moins majeurs qui émaillent le quotidien d'une apprentie cuisinière. J'imagine que si vous leur demandiez, mes nouveaux camarades me compareraient déjà à Gaston Lagaffe.
Et vas-y que je teste à coup d'hémoglobine l'aiguisage de mon éminceur tout neuf, que je fais valser les chips de tomates, que je déshabille ce pauvre bar qui voulait garder sa peau, que j'oublie de blanchir mes poivrons, que je sous-alimente les clients avec mes brochettes de mannequins de défilé, toutes mignonnes mais maigrichonnes...
J'ai deux mains gauches?
"C'est normal", me rassure Christine, qui est passée par là.
Je crois même que, malgré le stress, ça peut nous faire marrer, tout ça. |
C'est l'apprentissage. Et comme me dit Coco, "ces conneries, on les a toutes faites... Et on continue de le faire!"
C'est rassurant.
Elle s'esclaffe, Coco. Elle semble à l'aise dans cet univers et elle, au moins, elle fait de vraies brochettes, avec des gros morceaux de canard dedans. Quand on creuse un peu, pourtant, on comprend que son parcours n'est pas forcément pavé de roses. Coco est aide-soignante et, à 49 ans (ou 47? ou 51? J'ai un doute, qu'elle me pardonne...), fait croire à son entourage et même à sa... propre mère qu'elle fait actuellement de l'intérim dans sa profession médicale, cachant la réalité de cette formation culinaire.
A l'instar de tous ces apprentis qui, eux, arrivent en fin de parcours (ils passent leur titre fin mai, j'ai été "intercalée" entre deux sessions), ils ont tous eu une vie avant de débarquer dans cette cuisine.
D'ailleurs, les vingtenaires sont en minorité. C'est plus proche des 35, voire 45, 48... La doyenne du groupe, Thi Kim (j'avoue, j'ai un doute sur l'orthographe) a 52 ans! Un âge que je n'aurais jamais deviné chez cette femme élégante et soignée. Vietnamienne, elle a débarqué en France voilà un an seulement. Discrète et appliquée, elle relève le challenge de se former en cuisine dans un langage qu'elle continue de découvrir.
Galina, elle (ou gallinacé, si vous préférez, le p'tit surnom que l'homme a d'ores et déjà adopté), a plus de bagou et d'années françaises derrière elle. Ouzbek, elle a gardé son fort accent mais a bien intégré toutes les expressions de notre pays, ça, pas de souci. Lundi, en la voyant, j'ai été frappée d'emblée par sa personnalité truculente. Cheveux rouges flamboyants, regard vert clair hypnotisant, elle se tenait le dos de douleur, rattrapée par des coliques néphrétiques. Pour combattre le mal, le médecin lui avait administré de la morphine et de l'opium.
"Non, mais, tu te rends compte, c'est de la drrrrrrogueeee, quand même!" m'a-t-elle fait remarquer.
Son regard semblait las et un rien dans le vague mais depuis, elle a repris vie. Elle nous met des chansons russes sur son portable pendant qu'on est à la plonge, rendant la tâche un rien moins fastidieuse. Amélie, arrivée en même temps que moi, mais pour trois semaines (avant l'ouverture du restaurant qu'elle va diriger, la veinarde!), s'est prise au jeu, révélant ses talents de chanteuse en entonnant joyeusement l'air désuet de "Voyage, Voyage" (Non, Désireless n'est pas russe, a priori, c'était juste un intermède avant la série de pseudo-stars dignes de l'Eurovision).
Une concurrence directe à l'autre chanteur du groupe, François, qu'Amélie, toujours, a déjà surnommé François Damiens, pour sa troublante ressemblance avec l'acteur belge. Il y a aussi Christine et Quentin, dont je vous ai déjà parlé, Brigitte, contrainte de passer son titre malgré 17 ans d'expérience en cuisine. Il y a aussi David, à peu près le plus gros gourmand que la terre ait portée si je m'en réfère au nombre de fois où je l'ai surpris une douceur dans la bouche. Et puis quelques autres que je n'ai fait que croiser, pour l'instant, chacun étant affairé à droite et à gauche.
Propulsée dans cet univers en inox sans ambages, je découvre peu à peu les personnalités, leurs casseroles, leurs talents, leur vie et leurs envies au détour d'un tas de pommes de terre à éplucher, au bac à légumes, ou bien en goûtant le coulis de poivron de l'un, l'assaisonnement de la ricotta de l'autre.
Je n'ai passé que trois jours avec eux et pourtant, les liens se tissent tellement vite dans ce contexte que je les assimile déjà à des compagnons de route... Joyeux ou un rien cabossés par la vie, blasés ou enthousiastes, timides ou exubérants, ils donnent corps à cette aventure qui commence et dont je découvre chaque jour les codes.
En y laissant un peu d'hémoglobine et de morceaux de chair, certes, mais avec une envie qui me conforte dans cette drôle de voie.
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