Lundi matin, je suis retournée à l'école.
C'est donc avec une ceinture de maintien que j'ai fait le chef, de nouveau.
Je crois que j'ai lancé un style. Un rien timorée dans l'idée de devenir une grande esthète de la cuisine cabossée, j'ai néanmoins demandé un coup de main à mon chiro préféré (enfin, c'est surtout lui qui m'adore, il peut partir souvent en vacances grâce à mes passages répétés chez lui) pour qu'il me remette droite comme un i.
Bingo. J'ai dit au balai de partir, maintenant, faut pas rester là, monsieur, oh. Mon autorité (enfin, surtout celle de mon chiro) a payé. Mon compte bancaire aussi. Hum.
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Mardi matin, est-ce parce que j'étais droite comme un i, genre, un peu sévère? En me présentant à mes nouveaux petits camarades, mon chef m'a appelée "Mercotte".
Du coup, devant mon air atterré, mon chef m'a expliqué: "mais si, Mercotte, les macarons, toussa. Vous aimez faire la patoche, c'est tout!"
Après, comme j'étais chef et que le chef va voir chacun de ses marmitons (eh eh eh, j'adore l'abus de pouvoir immédiat que me confère ce statut), je suis allée leur demander... leur prénom, je leur ai donné leur tâche de la journée et en partant, j'ai précisé que je m'appelais Stéphanie, hein, et pas autre chose (enfin si, petite chef ou chef, je réponds aussi, modestement, évidemment).
Dans la foulée, parce qu'il fallait que je cuisine pour le "perso", je me suis fendu d'une fricassée de volaille sur un espace de 0,78 m2 environ, rapport que plein de petits nouveaux sont arrivés, qu'une mère n'y retrouverait plus ses petits et que là, c'est un peu le gros bordel, soyons honnêtes.
Déjà qu'avec un poste travail de ministre, je trouve le moyen d'être à la bourre, alors là, je vous explique pas le Bronx. J'en suis ressortie encore toute chose, avec ce sentiment terriblement angoissant de régresser un peu plus chaque jour.
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Mercredi, j'avais des devoirs à la maison. L'occasion de refourguer Loulou, ce futur-ado-déjà-désagréable, chez les grands-parents, pour avancer. L'occasion, aussi, de prendre ma première vraie pause (entendez, affalée toute la journée sur le canapé avec, certes, l'ordi sur les genoux, parce qu'on a un métier, quand même, les gens) (enfin, presque) depuis ma fin de stage chez Vincent Guerlais.
L'occasion, enfin, de réintroduire
le fameux P'tit Beurre à ma table, en récompensant mes parents pour leur courage, leur mérite et leur patience (il faut au moins ça) lorsqu'ils ont ramené Loulou à la maison le soir.
Oui, courage, mérite et patience de supporter cet être certes jeune, mais qui goûte déjà un peu trop aux joies de la provocation et qui est revenu, le sourire sournois aux lèvres, avec des Vans aux pieds, les chaussures dont il rêvait et que j'avais refusé de lui acheter, moi la méchante mère sans cœur (on m'appelle Mercotte, souvenez-vous, ça rime avec
Javotte...). Dois-je préciser que le Loulou en question est actuellement handicapé du talon, avec une suspicion de maladie de Sever (ça claque, hum) et que les chaussures en toile, ben non, c'est pas une bonne idée?
Bref, il a obtenu ce qu'il a voulu, en me regardant bien dans les yeux. Là, il va peut-être pouvoir m'appeler Mercotte.
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Jeudi, j'avais IEA.
Ce service traiteur qu'on assure, avec l'école, où nous étions deux, chef compris, l'an passé, et cinq hier. Beaucoup trop. Du genre à se marcher dessus.
Si j'ai pu passer au dessus de ce sentiment d'habiter dans un placard, une fois encore, j'ai eu bien plus de mal à encaisser ma discussion matinale avec l'un des stagiaires. Nous étions au brief du matin et le chef avait annoncé qu'on travaillerait tous chez nous, le lendemain, réunion et fermeture du centre oblige. Laurent Bagbo - c'est son surnom à l'école - s'est plaint de ne rien pouvoir faire, n'ayant pas internet.
On rejoint ensuite le coin pâtisserie, tous les deux, et je lui en reparle. Il me dit qu'il n'a pas internet chez lui... parce qu'il n'a pas de chez lui, en fait. Il dort dans sa voiture.
Ah. Ok. Qu'est-ce que je fais de ça? Evidemment, il ne m'a pas demandé de lui rendre service, de l'héberger ou que sais-je encore, mais quand tu prends la bombe dans la face, tu en fais quoi? Tu la rends et tu dis, ah, ok, c'est cool, tu goûtes à ma pâte à... bombe - justement - en attendant?
J'ai cherché une solution, quelque chose, est-ce qu'il n'y avait pas moyen de... Il a repoussé l'idée en disant que c'était une épreuve de la vie, toussa, et puis, quelques heures plus tard, alors que nous finissions le service à l'IEA, il s'est vanté qu'il irait faire la chasse aux cougars, le soir. Pour trouver l'amour, a-t-il précisé. Et un toit?
Je ne vais pas mentir, ça m'a trotté dans la tête toute la journée. Ce qui est compliqué, c'est que le type n'est pas spécialement sympathique (cette histoire de cougars, bon, bref...) et qu'en plus, il a rabaissé ses critères de cougar quand il a su que j'avais 40 ans. 10 ans de moins d'un coup, qu'il a pris, son curseur, mais le plan drague à deux balles dans une cuisine surchauffée, euh, comment dire... J'ai eu moins envie de lui proposer mon canapé.
N'empêche, on fait quoi de ces situations extrêmes?
Le soir, heureusement, j'ai pu reprendre ma tenue de Mercotte, non pas en pâtissant, c'te blague, mais en jouant la grande méchante auprès de Loulou, qui avait choisi ce jour pour aller voir un copain à Trifouillis-les-Oies, après le collège, alors qu'il avait, dans le même temps, une radio à passer pour voir si Sever l'avait attaqué.
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Ce vendredi, je travaille donc à la maison, avec Internet, veinarde que je suis, et surtout, c'est les vacances scolaires ce soir. En bonne mercotte, je peux l'avouer: je vais pouvoir souffler et envoyer le pré-ado chez son papa. C'est moche, hein?
Ah, et que Mercotte ne m'en veuille pas, j'imagine bien que c'est juste une attitude pour l'émission, ce côté cassant et désagréable, n'est-ce pas? Hum?