vendredi 4 avril 2014

La kamikaze du cul de poule

Il fronce les sourcils.
 
Oh non, pas encore!
 
Je devrais être habituée, depuis le début de ma reconversion, à ces airs sceptiques qui ont un atout majeur, celui de renforcer plus encore ma détermination.
 
N'empêche que ça fait toujours un peu bizarre. D'autant plus quand le contact initial avait été bon, au téléphone, quelques jours plus tôt.
 
A sa décharge, le monsieur avait bien voulu me recevoir alors même que j'avais été très confuse au bout du fil. Et, surtout, je dois l'avouer, il avait en face de lui un véritable zombie.
 
J'avais dû dormir deux heures, dans la nuit, tournant et retournant nombre de questions et, y'a pas à dire, la vieillesse est une garce, elle ne supporte pas le moindre écart et te le fait payer cash.
 
Oui, mes yeux étaient plus petits que ceux d'un hamster sous ecsta. On est d'accord, ça donne moyennement envie.
 
Bref, je suis arrivée à la chambre des métiers en imaginant que des élastiques me tiraient les paupières par le haut, tel Gaston Lagaffe (vous voyez un peu l'esprit), me pinçant pour me réveiller.
 
Comme je vous le disais hier, j'ai décidé de faire compliqué. Puisque je veux me lancer dans la pâtisserie, je passe... un titre de cuisinier.
 
Mais c'est parce que je veux AUSSI cuisiner, tout bêtement. Et qu'en pâtisserie, les places sont chères, très chères. Quand j'ai tenté de peser le pour et le contre en appelant tous les centres de formation du département, voire au delà, j'ai constaté qu'il n'y avait que deux écoles dans la région: à Sainte-Luce sur Loire, où j'habite (!), tout près de Nantes, et... au Mans. La ville que j'ai quittée en 2010, après quinze ans passés là-bas. Ah ah.
 
Là, j'ai bien compris l'épaisseur des barrages. Pas de place, soi-disant, pour les gens au delà de 26 ans, trop de rêveurs ou d'utopistes, 40 candidats pour 10 places...
 
Et puis, j'ai rencontré Patricia. Qui m'a confirmé la nécessité de posséder un CAP Pâtisserie pour vendre des douceurs... et qui l'a elle-même passé en candidat libre, l'an dernier. Autant vous dire qu'elle sait de quoi elle parle.
 
Maman a des mains d'or, vraiment, et au moment d'entamer sa formation toute seule, comme une grande, elle avait une longueur d'avance (doux euphémisme) sur ma polio et moi. Mais elle a défriché le terrain et m'a livré tous les trucs et astuces pour potasser intelligemment. J'ai à peu près une tonne de bouquins à lire et décortiquer, deux milliards de dacquoise, Joconde et autres pâtes feuilletées à tester, mais enfin, c'est le lot de tous ces grands malades qui s'improvisent toqués, non?
 
Avec Bobo le petit robot, il y avait aussi ces deux livres dans ma commande...
 
Mardi, donc, c'est à peu près ce que j'ai expliqué au responsable de la formation, à la Chambre des Métiers. Son visage s'était déjà détendu à la lecture de mon CV, et là, il m'a regardé droit dans les yeux. "OK, passez votre CAP en candidat libre si vous voulez. Mais appelez-moi en décembre, à l'issue de votre formation en cuisine, pour qu'on discute." Et, comme sur un plateau, il m'a proposé une place pour la session 2015-2016 (!) si jamais ça ne passait pas la première fois, ou si j'avais renoncé à jouer la kamikaze toute seule.
 
J'ai eu envie de le serrer dans mes bras, et je me suis souvenu que ça ne se faisait pas trop. Comme je n'avais ni papa, ni maman, auprès de moi, j'ai gardé mon affection pour plus tard, et je lui ai dit, comme pour le conforter:
 
"Mais vous savez, ce n'est pas une lubie, hein"
 
Fausse bonne idée.
 
"C'est ce que me disent les 40 candidats" a-t-il relevé, en haussant les épaules et cachant à peine un soupir.
 
Et un boomerang dans les dents, un.
 
"On en voit combien, de ces femmes entre 35 et 40 ans, dont les enfants ont grandi, et qui veulent faire des gâteaux pour le baptême du dernier? Celles-là, qu'elles restent dans leur garage!"
 
Oups. Vous voulez dire que mes ambitions sont aussi banales qu'un facho au front national? (cliché? Cliché. J'assume)
 
"Là, je vois un projet, et ça, ça m'intéresse", a ajouté le monsieur.
 
Vraiment, j'ai été à deux doigts de le serrer dans mes bras. Et fort, en plus.

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