mercredi 20 septembre 2023

La douce nostalgie de Didier

 


Il a le teint hâlé et le verbe facile. "Il y a 10 ans, j'étais à Santiago" nous dit-il, alors que nous marchons, sac à dos, dans les ruelles du Puy en Velay, en route vers le séminaire. On sent la nostalgie pointer chez ce septuagénaire, qui a démarré le Chemin voilà 16 ans, pour atteindre son point d'arrivée six ans plus tard.

Lever à 5h du matin, 10h de train et de car; le voyage a été un peu long, le sac, quoique minimaliste, reste lourd pour nos épaules mais nous poursuivons cette conversation impromtue, ragaillardies par l'enthousiasme de notre interlocuteur.

"Vous connaissez les 3 questions que l'on pose sur le chemin?" "Comment t'appelles-tu? D'où viens-tu ? Et comment vont tes pieds?" Avant d'ajouter, dans un grand sourire : "Et parfois, on te demande où tu vas dormir, histoire de poursuivre la route ensemble."

Je le regarde avec tendresse, il nous souhaite un "buen camino" et nous rejoignons le séminaire pour cette nuit au Puy, et notre cellule, moins sommaire que ce que j'imaginais. Le soir, on s'attable et goûtons avec appétit la cuisine des religieuses. C'est bon, c'est simple, à l'instar des discussions qui animent le dîner. Ici, pas d'artifice ou de jugement, il s'agit juste de faire un pas devant l'autre et de suivre le chemin.

On demarre demain par une vingtaine de kilomètres et un peu de dénivelé. Cela sera-t-il difficile ? Je refuse de me poser la question. On verra.

Et que viens-je chercher dans ce périple de 200km à pied? Ce matin, bercée par le ronron du train et les yeux tournés vers ce drôle de ciel, encombré par des traînées blanchâtres, je n'avais pas de réponse.

Le cerveau, lui, était déjà en marche, distillant des images de vieilles pierres, de poussière, de chemins caillouteux. Je ne cherche pas à lutter, la surprise n'en sera que plus belle. Je suis partie le coeur léger, l'esprit apaisé, avec l'envie simple de respirer, de rire, d'en baver, aussi, un peu, signe d'un dépassement de soi physique, pour éprouver la vigueur de mon corps et de mon mental.

Le coeur léger, oui, malgré une enveloppe corporelle qui s'est épaissie depuis un an. 8 kg pris, seulement 2 de perdus depuis, ma forme physique n'est pas optimale. Mes jambes portent le poids d'une année vierge de toute activité professionnelle et du traitement médical.

Mon esprit, lui, est en revanche allégé de nombre d'injonctions, y compris celles que je m'infligeais. Au moment de partir, on m'a dit : "Ressource-toi bien". Étonnant, tant je me sens ressourcee et en paix avec moi-même. Compostelle, c'est le joint entre cette sérénité actuelle et les années passées d'errance, de servitude, mais aussi la frénésie qui, je le suppose, m'attend ensuite. Je veux être bien armée pour qu'elle glisse sur moi. Pour ne pas me laisser atteindre. Marcher pour prendre de la hauteur, simplement.

Chacun a ses raisons d'être là, mais, à ecouter les échanges, tout au long de la journée, je sens qu'on a à la fois ce désir de partager cette quête tout en protégeant nos aspirations profondes. 

Je repense à cet éclat dans le regard de Didier. Pas sûre de percer le mystère inhérent au pèlerinage, mais j'en suis sûre : l'aventure va être belle.

1 commentaire:

  1. Belle aventure à toi. Elle sera ce qu'elle sera mais ce qui est certain c'est que tu avances sur ton chemin et ta conscience s'expense et t'ouvre à ce chemin que tu crée chaque jour. Merci de tes écrits, de tes partages

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