lundi 18 septembre 2023

La marche d'une repentie


 Un an. Il y a un an, je sentais une sorte de basculement en moi. Je savais qu'il se passait quelque chose, sans pouvoir mettre le doigt dessus. Je voyais double, sentais mon visage se paralyser, les vertiges s'amplifier et j'allais mettre le pied à terre, enfin.

Dans deux jours, je poserai le pied sur le Chemin de Compostelle. Comme pour ancrer définitivement mon être dans un devenir autre, et reléguer par là même Abricotine au rayon des souvenirs, en conservant une gratitude éternelle pour cet amas de cellules, et le vent nouveau qu'elle a su faire souffler.

Poser un pied devant l'autre... Me reviennent en tête ces images d'Anne et Patrick, ce couple de marcheurs que j'avais rencontré alors même que ma petite entreprise venait de naître. Je me souviens de leurs mots, de leur soif d'introspection, de leur vision de la marche. Eux, gros randonneurs, qui avaient choisi de sillonner partout en France, à pied, pour rencontrer des entrepreneurs, justifiaient ce choix naturellement. La marche permet de laisser infuser les idées. Elle est le symbole du temps long.

A l'époque, j'avais trouvé l'initiative géniale, mais il me semblait impensable d'adopter une telle attitude. Si j'abordais déjà  cette nécessité de privilégier l'être au faire, tout, dans ma vie, contredisait cette belle intention. J'étais une boule de nerfs, concentrée sur l'idée de répondre au désir de l'autre, chassant les états d'âme pour produire, de plus en plus. Quel en était le sens? Je pense que je n'avais même pas le temps d'y songer.

Et me voilà donc, à quelques heures de mes 49 ans, à boucler mon sac pour Compostelle, de façon minimaliste, avec une idée en tête. Avaler des kilomètres. Mordre (un peu) la poussière. Regarder mes chaussures s'enfoncer dans le sol. Et, surtout, lever suffisamment la tête pour apercevoir le coin de ciel bleu.

Aller à sa propre rencontre, se tester, écouter le silence, se challenger, suivre le rythme lent des pas qui s'enchaînent, chercher ses limites, ou savourer, tout simplement, les raisons d'emprunter le chemin de Compostelle sont multiples et personnelles. Je ne cherche pas vraiment à savoir quelle forme prend ma quête; c'est un tout, une évidence, l'envie d'éprouver pleinement la nature, de se sentir vivante, comme une sorte de clin d'oeil au karma qui s'est bien amusé, parfois, avec moi, mais qui, aujourd'hui, se montre clément.

Sur ces chemins que j'imagine caillouteux, je ne vais pas chercher quelque chose qui me manquerait. Je me sens comblée, actuellement, pleine d'entrain et d'envies. Je vais retourner à la vie active, en rentrant, et j'ai besoin de ce petit pas de côté pour relier l'avant et l'après. Comme un joint que l'on collerait entre deux matières si différentes, entre l'inertie d'une vie en arrêt maladie et le rythme endiablé que j'imagine d'un quotidien entre travail, loisirs et respect de soi. Un joint qui, miraculeusement, réunirait deux univers a priori incompatibles.

Je ne suis pas si différente de cette femme en détresse, à la vue double et aux migraines intenses, qui a vu son modèle s'écrouler un jour de septembre, à l'occasion d'une annonce un peu surréaliste - une tumeur cérébrale, pensez donc. Je me sens pourtant totalement éloignée des aspirations d'alors. Aucune envie de courir, encore et toujours, et après quoi?

Je vais juste marcher. Non pas pour oublier, mais pour dérouler le fil des pensées, pour s'abstraire des diktats et autres injonctions. Marcher pour se sentir libre, en vie, et sauter à pieds joints dans le monde réel, qui peut certes mettre nos nerfs à rude épreuve - je serais Bisounours de l'oublier - , mais qui peut aussi s'apparenter à un jeu permanent, où on invente au quotidien les nouvelles règles.

J'en prends conscience : au delà de ce désir d'introspection, j'ai envie de m'amuser, sur ce chemin. D'y prendre un réel plaisir. Je m'imagine déjà, après les trois premiers jours réputés difficiles, rire de ma naïveté. Peut-être serai-je en train de pester contre mon optimisme à deux balles, qui ne m'exonérera pas des ampoules et autres joyeusetés inhérentes à ce type de parcours.

Ce ne sera sans doute pas si facile, et alors? Si je commence à flancher, je me promets de repenser à cette vague de vulnérabilité qui s'est emparée de mon corps éreinté, voilà un an. Et je saurais alors qu'on peut surmonter la peur, le découragement, la fatigue, que le bout du chemin n'est jamais si loin. Mieux, il peut ouvrir les portes de nouveaux horizons.

Parole d'une repentie

2 commentaires:

  1. Merveilleux texte Stéphanie ! Moi aussi je me souviens de notre rencontre et de ta frénésie d'alors...... Quel chemin parcouru depuis un an, ton apaisement fait plaisir à voir et je te souhaite le meilleur sur ce merveilleux chemin de Compostelle. Je t'embrasse, avec beaucoup d'affection. Anne

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  2. Quelle belle manière de partager ton chemin...soit ta voie/voix et ce chemin (de compostelle) que tu prends n'est pas un pas de côté ou une bifurcation mais il est le choix que tu fais de créer ce joint à ta vie...à toi m'aime..."bon vent" et à bientôt j'espère de tes nouvelles

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