mercredi 3 janvier 2024

Sans gueule de bois




Un temps bas, gris, de gros nuages menaçants, ce petit crachin breton caractéristique de la région, le cri glaçant des corneilles le long de la Loire... Oui, l'atmosphère était lugubre, ce matin. Par terre, dans le caniveau, comme un restant de gueule de bois, une canette, une écocup, des restes d'un réveillon tout proche, pour fêter la fin d'une année et le début d'une autre.

En moi, j'ai senti ce même basculement entre deux mondes.

Ce matin, j'allais au tribunal de commerce pour demander une liquidation judiciaire de mon entreprise. Etranges sentiments entremêlés, entre délivrance et pointe de nostalgie, détermination et vulnérabilité. La décision a beau être prise depuis longtemps, le cœur s'amuse toujours à lancer quelques miettes d'un passé idéalisé, à jouer les avocats du diable, à rendre l'esprit incertain.

Et si... Et quand... Et avec...

Mon cerveau, qui n'a pas pourtant pas besoin d'un tel tourbillon, se laisse submerger par les questionnements stériles. Mon corps tremble. Mon cou est douloureux - un torticolis me tenaille depuis deux jours, allez savoir pourquoi...

L'instant s'avère solennel et, je ne peux le nier, un rien pénible. L'attente dans la salle dédiée interminable. La boule au ventre, je me lève, ouvrant cette porte vers le néant. Oui, je vais chercher le néant, prier pour qu'il ne reste rien de ce que j'ai pourtant fièrement développé des années durant, pour lequel j'ai tant sacrifié.

Je m'assois, telle un automate, en face du président de la séance, de deux juges et de la greffière. J'écoute leur introduction, attendant patiemment qu'ils me cèdent la parole pour justifier ma décision. Et là, j'embarque Abricotine dans mon laïus, telle une alliée improbable qui expliquerait - qui explique, au fond - pourquoi j'ai remisé au placard mon bébé, mon entreprise, cette création qui m'a pris tant d'énergie, qui m'a apporté tant de joies mais autant beaucoup de sueur et quelques larmes.

Loin d'être un caprice, cette demande de liquidation judiciaire devenait inexorable puisque jamais plus je ne m'épuiserai de la sorte.

Deux semaines plus tôt, je m'étais cassé les dents, face à un jury perplexe - les fonds n'étaient pas épuisés, l'entreprise n'était donc pas en cessation de paiement. Cette fois, les juges ont accepté ma demande, me libérant de ce fil à la patte. Ma petite entreprise ne m'appartient plus. Sa fin intervient à un moment de ma vie où les priorités ont changé, où les perspectives ont bougé, où la vie me semble plus sereine que jamais. Des regrets? Plus vraiment. Ainsi va la vie.

La gueule de bois, très peu pour moi. En sortant, j'ai regardé le ciel. Il restait bas et sombre. Pourtant, je sentais poindre en moi cette lueur particulière, mélange d'optimisme béat et d'envie de croquer la vie, comme une gamine qui aurait donné son jouet à quelqu'un qui en aurait besoin davantage, pour avancer vers un avenir nouveau, le cœur léger et sans remords.


D'ailleurs, s'il fallait encore un signe, je dois admettre ma stupeur de découvrir, quelques jours plus tôt, que cet arbre de Pen Bé, qui pliait mais ne rompait pas, dont je vous avais parlé comme d'un "symbole de résilience et de sagesse", n'est tout simplement plus aujourd'hui.

Il n'a pas résisté aux éléments, sans doute à la dernière tempête Ciaran. Il a fallu trancher, le couper. De lui, de sa forme majestueuse et étrange, il ne reste que ce tronc.

Comme quoi, même ce que l'on imagine indestructible peut disparaître, sans que la face du monde en soit changée. 

Et c'est OK.

1 commentaire:

  1. Rho mais quelle nouvelle !!!! Cette si jolie entreprise qui nous a tant soutenu, qui m’a permis de te découvrir. Mais c’est ta décision, ton chemin de vie, celui que tu choisis pour rebondir, celui avec lequel tu dois être raccord.
    On se prend un moment de partage prochainement ? La décision prise, je te souhaite une douce et belle année à venir.
    Des bises.

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