dimanche 23 février 2014

Je pense à Ivanna


Copyright : Louloutte. Oui, on n'a pas une vie facile...
 
 
Hier après-midi, je devais rejoindre Louloutte (à ne pas confondre avec Loulou), à Nantes, dans un café-resto très agréable. Dans la volonté de s'offrir une petite parenthèse, on s'était laissé tenter, quelques jours plus tôt, par une séance découverte de réflexologie.
 
Un truc qui te détend, normalement.
 
Une demi-heure avant le début de la séance, j'appelais Louloutte pour la prévenir que je serais un peu en retard, puisque j'allais prendre le tram et que bon, bref, ça allait être compliqué d'être pile à l'heure. J'avais pris mes précautions, car on savait tous que la ville risquait d'être explosive, en ce samedi, avec la tenue de la manifestation anti-aéroport Notre Dame des Landes.
 
Et là, à l'autre bout du fil, plus personne, d'un coup. Puis Louloutte me raconte qu'elle venait d'entendre une explosion. Quelques minutes plus tard, le ciel était noir de fumée.
 
J'allais donc à Nantes pour me détendre, normalement. Je sais pas pourquoi, j'avais un doute, d'un coup.
 
Une fois à la gare, le conducteur du tram a indiqué qu'il s'agissait du terminus. Je devais donc finir le trajet à pied, et en sortant, je découvrais des scènes dignes d'une guerre civile. Des sirènes de pompiers, des véhicules qui arrivaient à vive allure, dévalant le boulevard de la gare dans une urgence effrayante, des piétons circulant sur la voie de tram désormais accessible, les écharpes ou les foulards sur le nez pour ne plus sentir cette odeur pestilentielle de caoutchouc brûlé. Au loin, des visions d'apocalypse, des incendies, de longues flammes léchant le ciel désormais noir.
 
J'ai fait comme tout le monde, j'ai marché. Et là, j'ai pensé à Ivanna.
 
Ivanna, c'est cette jeune femme ukrainienne que nous avons prise en covoiturage, il y a trois semaines. Du haut de ses 22 ans, elle en savait, des choses. De son accent très marqué, elle nous a raconté ce que vivait son pays, ce qu'enduraient ses proches. Elle a parlé de sa tante, qui avait fait construire, avec ses propres deniers, un hôtel de cinq étages, et qu'elle devait aujourd'hui reverser 90% de son chiffre d'affaires global à la mafia locale. Si elle avait refusé, elle aurait simplement tout perdu.
 
Ivanna nous racontait cela presque nonchalamment, sans cacher pour autant son inquiétude et son dégoût pour ce gouvernement qui pillait les Ukrainiens. Je lui ai demandé ce que devenait Timochenko, elle ne savait pas vraiment. Toujours en prison, oui, mais on n'en entendait plus trop parler.
 
Je suis arrivée à mon rendez-vous, aussi détendue qu'un string taille 36 sur les fesses d'un sumo, un rien bousculée par ces images qui s'entrechoquaient, là, devant moi, mais aussi celles que j'imaginais de l'Ukraine, de ces rues en flamme qu'on avait tous découvertes depuis quelques jours, sur nos écrans.
 
Au moment de rentrer dans le resto, j'ai cru que l'hélico de la gendarmerie, immobile dans le ciel depuis un bon moment, allait se faire percuter par... un avion. Ironie du sort : selon les détracteurs, les avions passent très bas dans le ciel nantais, parce que les partisans de l'aéroport Notre Dame des Landes imposent aux pilotes de survoler la ville. Et ce, pour conforter le besoin pressant d'une nouvelle infrastructure.
 
J'ai finalement goûté au bonheur de me faire bichonner les pieds, dans un étrange calme. Nous étions comme coupés du monde. Dehors, l'hélico restait immobile dans le ciel toujours noir et les casseurs s'amusaient à construire des barricades et à piller les pavés de la rue Kervégan. Ils ont détruit le centre-ville, sciemment. Dehors, à quelques milliers de kilomètres de là, Timochenko goûtait enfin à la liberté, diminuée, pleine de gratitude pour ce peuple décimé qui avait choisi de se battre.
 
J'ai pensé à Ivanna. Je me suis demandée ce qu'elle ressentait, à cet instant. J'ai pensé à ma culpabilité, de m'offrir du bon temps pendant que la révolte grondait partout ailleurs.
 
On se sent si petit, parfois.
 
 

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