Cimetière de robes. Dans ma naïveté, j'ai cru pouvoir m'occuper d'elles, un jour. |
Vous me croyez si je vous dis que je ne vois pas les semaines passer? Moi qui pensais faire ma Marie Kondo à ranger tous mes placards et astiquer ma cuisine, me voilà débordée, avec des tonnes de lessive (propre, quand même) à ranger, des robes au sol (un jour où j'ai cru que j'aurais le temps) dans ma chambre, une cuisine débordée de partout, un salon avec des bouquins de pâtisserie au sol et des tas de cahiers emplis de notes inquiètes (audit de la situation actuelle de la boîte) ou ambitieuses (on va tout casser)... La routine, quoi, comme lorsque je bossais entre 12 et 15 heures par jour (dans l'ancien temps) (Il y a deux mois) (Vous voyez bien).
Il n'y a en fait dans ce bronx qu'une pièce parfaitement rangée: celle de mon ado.
Je vous jure.
Mon ado range sa chambre au cordeau (et fout tout le superflu dans les pièces d'à côté) (ben oui, sa tactique est efficace, pour lui, mais plombante pour les autres) (les autres étant moi-même). Passe l'aspi tous les jours, mais uniquement dans sa chambre, évidemment. Vous comprendrez bien que je serre beaucoup les dents pour ne pas m'énerver.
Mais la lutte est rude. Le stress est là, insidieux, prêt à surgir à la moindre occasion. Il monte de façon vertigineuse et aspire tout le reste de raison dont je peux disposer.
Vous l'aurez compris, un facteur vivant permet d'enclencher rapidement le phénomène. Mais parfois, je me l'inflige toute seule. Par exemple, lorsque je découvre une première photo de moi-même prise en début de semaine, où j'ai l'impression de peser à peu près 100 kg. J'en parle à ma copine, auteur de cette photo- la challengeuse - et elle me raconte alors son secret (douloureux): une ventouse bleue qui aspire la cellulite. Je lui explique que dans mon cas, il faudrait un aspirateur industriel mais je me rassure en pensant à mes nombreuses séances sur Germain, mon fidèle destrier. Le stress redescend.
Quelques jours plus tard, rebelote. Sauf que cette fois, on dirait que je suis tombée dans l'obésité morbide, sur la photo. Là, c'est plus de l'aspiration, mais de l'amputation qui devient nécessaire. Après "Balance ton porc", c'est "Balance ta graisse". "Suce-toi la peau comme moi!" me recommande Amélie (elle assume, m'a-t-elle dit).
Je rentre à la maison, à la fois contente - parce que ma "petite sortie" était vraiment belle (en gros, on apporte victuailles et matériel au CHU) et teintée d'émotion - et terriblement stressée de réaliser que je suis devenue obèse. Je partage mon angoisse avec mon ado, le roi de l'empathie qui, sentant sans doute que là, c'est vraiment la fin pour moi, commence par me rassurer:
"Meuh non, tu ne ressembles pas à ça, en vrai. C'est la photo qui fait ça"
Ouf.
Avant de poursuivre: "Enfin, si tu veux, tu peux toujours faire un régime".
L'empathie à son top, oui.
Le soir, j'ai mangé quelques légumes et basta. Appétit coupé. Nuit difficile (mais ça, ce n'est pas nouveau, merci mon copain le stress). Je cherche des images apaisantes dans mon esprit agité. Rien à faire, ça turbine et met mon sommeil à mal.
Le lendemain matin, je reçois le lien vers une vidéo: "La voie du corps pour relâcher le stress en confinement". Allez, pleine de bonnes résolutions, je m'installe sur le canapé, j'éteins le portable et je démarre les exercices. Il est question d'auto-massage. Un moment, il faut passer ses mains autour de son ventre pour masser le tube digestif. La dame explique que si, "à certains endroits", ça fait un peu mal, il ne faut pas hésiter à insister un peu avec ses doigts, "pour dénouer le stress".
Comment te dire, madame, si j'insiste un peu sur chaque parcelle sensible, j'y suis encore ce soir. Tout n'est que douleur. Je repense à Amélie et sa ventouse bleue qui me racontait sa souffrance à chaque passage sur sa cuisse. Aïe.
Au moment où je remonte vers les épaules dans ce même mouvement "doux et bienveillant" (ah ah), mon ado arrive. Il vient de se lever, le cheveu hirsute, le plaid porté comme une toge, les claquettes Adidas qui vont bien et l'air aimable de l'être de 16 ans qu'il est. Il s'installe lourdement sur le canapé, à côté de moi, allume sa console de jeu, prend son bol de céréales, commence à manger et s'arrête un instant sur la vidéo.
"Ah, trois vues? Une vraie influenceuse!"
Alors là, je tangue entre le rire et l'agacement. Allez trouver la paix intérieure avec un ado qui gigote à côté de vous en mangeant bruyamment ses céréales... Allez rester zen avec en fond le bruit de mitraillettes dans un jeu-vidéo...
Quand je lui ai demandé de la mettre gentiment en sourdine pour que j'essaie d'être plus zen (= donc plus cool avec lui), et qu'il n'a évidemment pas obéi, j'ai supposé qu'il serait difficile de poursuivre la voie du corps pour relâcher le stress en confinement. J'ai regardé la dame, un peu désolée, comme si elle pouvait deviner ce qui se tramait de l'autre côté de l'ordi (d'autant que ce n'était pas du direct). J'ai regardé mon ado, avec sa manette greffée à même la main. Je me suis vue, la main posée sur l'épaule. J'avais perdu une bataille, clairement.
J'aurais pu me jeter sur le chocolat pour faire taire temporairement le stress, ce qui aurait fini de m'achever. A la place, j'ai bondi sur Germain.
Je crois que Germain me hait. Il grince, à force. Mais moi, j'aime Germain. Avec lui, le stress finit par disparaître, comme le reste de neurones dont je dispose.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire