jeudi 26 mars 2020

L'histoire de la cagette suspecte

Confinement, jour... Pff, j'ai arrêté de compter. Eh  oui,  déjà. C'est fou comme cette épreuve nous remue. Elle fait émerger tout un tas de sentiments et d'émotions, des flux continus de pensée, un besoin de silence dans le silence, un désœuvrement profond suivi d'une rage soudaine.

Je ne sais pas vous, mais je trouve les journées étonnamment courtes. Bon, les nombreuses insomnies qui te laissent HS ne sont pas étrangères à cette sensation. Assommée, je me lève tard, réalise ce qui se passe - d'où l'envie de rester sous la couette - avant de jaillir du lit, comme touchée par la mouche-de-la-colère, et j'enquille. Les appels et mails - comptable et conseillère de banque sont devenues mes deux plus fidèles interlocutrices - réponses aux groupes d'entraide whatsapp, tentatives de se rassurer sur le sort financier de la boîte. Je passe par tous les états, les pires... mais pas trop les meilleurs.

Bon, le confinement m'aura permis de mettre à jour tous les documents réglementaires que j'avais un peu délaissés (allergènes, taux de dilution du produit désinfectant, raison d'être du lupin dans ma carte salée, je vous explique même pas le kif) et en ça, eh bien, j'utilise le temps qui nous est donné pour rester dans le cadre. Mais dans quel cadre? Vers quel lendemain?

"Ça ne sert à rien de se projeter, arrête de t'inquiéter, maman", me dicte mon ado, à raison, sans doute. Mais personne ne peut maîtriser totalement ses angoisses, surtout quand elles concernent un pan majeur de ta vie. Loulou exprime juste un ras-le-bol, il me reproche d'être anxiogène et parano. Tout ça à cause de ça:

L'objet de la contamination? Parano, sors de ce corps


Oui, cette cagette que j'ai laissée 24 heures sur le pas de la porte après sa livraison. Je me refuse à sortir dans les supermarchés, les marchés sont désormais interdits (cherchez l'erreur, mais bon, on n'est pas à une incohérence près) et les légumes commençaient à manquer, alors voilà. Du bio, du local, on se fait plaisir. Mais pas sans peur. Et si c'était contaminé? Et si, chez nous, on allait l'attraper? Et si... Oui, je sais, c'est complètement fou mais on nage dans un tel surréalisme que n'importe quelle hypothèse devient plausible. Alors, pourquoi pas?

Quand j'ai osé dire à Loulou pourquoi je ne rangeais pas la cagette incriminée, j'ai bien vu ses yeux rouler de désarroi (si, si, les yeux peuvent rouler de désarroi) (quand je vous dis qu'on vit un truc de dingue).

J'en ai conscience: un enfant, mais aussi un ado, a besoin d'être rassuré. Et à force de ne pas l'être, le mien a un peu pété un câble, hier. Le ton est monté entre nous et je me suis dit que vivre à deux pour encore 4, 5, 6 semaines en confinement, dans ces conditions de guerre ouverte, euh, comment dire, ça n'allait pas être une partie de plaisir. Et que ça risquait de dégrader sérieusement notre relation, pour l'après.

Car, oui, il y aura un après. N'est-ce pas?

Aujourd'hui, on a hissé le drapeau blanc. J'essaie désormais de canaliser mon angoisse. Mais comment rester zen dans cette situation? Comment vivre sereinement, avec ces allers-retours de l'état? J'ai l'image d'une sorte de yoyo, qui serait vaguement articulé par Macron, lequel dirait à l'un de ses pantins:
"Vas-y, bloque-les chez eux, qu'ils comprennent l'urgence sanitaire"
et à l'autre:
"Fais bosser ceux que tu peux, faut que les sous rentrent."

Je caricature? Peut-être. n'empêche que s'il y a un tragique tri entre les patients (je n'ose imaginer les cas de conscience du personnel soignant, obligé de laisser une personne âgée pour choisir un patient plus jeune), il y en a également un pour déterminer quelles entreprises pourront poursuivre l'activité, après. Loin de moi l'idée de faire un parallèle absurde entre le maintien de vies et de sociétés, je constate juste que le cynisme va jusqu'à envoyer bouler des entrepreneurs soucieux de préserver la santé de leurs personnel et clients.

Alors même que la priorité serait d'endiguer la pandémie, pour rappel.

Les dossiers de chômage partiel sont rejetés, pour certains. Pour beaucoup trop. Les salariés doivent retourner bosser, alors même qu'ils devraient restés confinés chez eux, alors même qu'il n'y a pas d'activité. Je ne suis pas encore fixée, pour ma part, j'attends la sentence.

Une anecdote? Mon expert-comptable, qui défend ma cause, m'a demandé de ne pas évoquer de raisons sanitaires pour justifier l'arrêt de mon entreprise, le temps du confinement. Sans quoi, l'Etat refusera ma demande, alors même que cette dernière est justifiée (je n'ai plus de commandes, actuellement, et pour cause).

Non, mais, lisez-moi ce ton grave et plombant! Hey, la mouette, où est passée ton auto-dérision? Ah, mais je les déteste, en vrai, ces imbéciles! J'avais prévu un billet léger, et me voilà de nouveau remontée comme une pendule.

Bon, allez, demain, je vous raconterai comment je fais du sport avec du papier toilette. Y'a moyen de rigoler. Enfin.

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